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formellement reconnue comme telle, sans doute; mais il est impossible d'en tenter la vérification. Tout ce qu'on peut essayer, c'est de comparer à l'ensemble des expériences l'ensemble des hypothèses, qui sont innombrables. La moindre expérience scientifique, en effet, met en œuvre une infinité d'hypothèses, parce qu'elle suppose la théorie de tous les instruments mécaniques, thermiques, optiques, électriques, dont on se sert; sans compter les théories de continuité et de simplification qui permettent de formuler les lois ou de construire leurs courbes sans se laisser arrêter par les écarts que présentent les mesures individuelles, etc. L'experimentum crucis, capable de décider entre deux hypothèses, est donc radicalement impossible.

Il est permis de trouver ces objections à tout le moins exagérées. L'emploi des instruments ne présuppose nullement les grandes théories physiques, c'est-à-dire les vastes systèmes coordonnés de lois, qui nous occupent principalement ici, mais seulement les lois elles-mêmes; ou, si l'on veut, leurs degrés inférieurs de systématisation, c'est-à-dire les théories particulières. Pour me servir correctement d'une lunette de cathétomètre, je n'ai nul besoin de savoir si la lumière doit être considérée comme une émission, comme une vibration de l'éther ou comme une alternance rythmique de tensions électrostatiques et électrodynamiques : il me suffit de connaître les lois de la réfraction. Quand je voudrai faire une expérience cruciale, telle que la célèbre expérience de Foucault sur les vitesses de propagation de la lumière dans l'air et dans l'eau, les mesures que j'exécuterai n'impliqueront donc aucune des hypothèses fondamentales sur la nature de la lumière; et par conséquent, je pourrai, sans pétition de principe, les utiliser pour choisir entre l'hypothèse des ondulations et celle de l'émission. Quant aux autres hypothèses, celles qu'on pourrait appeler accessoires hypothèses de continuité, etc. elles sont, le plus sou

vent, identiquement les mêmes dans les deux théories à comparer. Si la question est bien posée, elles n'auront d'ailleurs aucune influence sur le résultat, puisque c'est la même expérience, interprétée diversement dans l'une et l'autre hypothèse, qui doit décider entre elles.

Ce qui reste vrai, c'est que, en règle générale, nous ne pouvons comparer qu'un nombre limité d'hypothèses, parce qu'il nous est ordinairement impossible de les énumérer toutes; et en ce sens il faut admettre avec Duhem, qu'il n'y a pas d'experimentum crucis capable de prouver définitivement la vérité d'une hypothèse. On peut choisir entre deux hypothèses; on ne peut pas éliminer toute autre hypothèse imaginable.

Il semble donc bien difficile de suivre Duhem dans son opposition apparemment irréductible à l'idée que la théorie scientifique soit un instrument commode de découverte. Mais cette opposition est-elle, après tout, aussi radicale dans la doctrine qu'elle paraît l'être dans les mots ? L'intransigeance de la négation ne se serait-elle pas raidie un peu artificiellement dans l'ardeur de la polémique ? C'est une opinion qui peut se soutenir par de bonnes raisons.

Il est bien remarquable, en effet, que tout en se refusant à voir dans la théorie un moyen d'arriver à la véri té, Duhem ne sait pas davantage se résoudre à n'y voir qu'une simple liste de lois ou un procédé mnémotechnique, comme le paraissait exiger logiquement la position. qu'il avait adoptée. Toujours il fait appel à une analogie mystérieuse, à une conformité supérieure entre nos conceptions et la réalité, en un mot à ce qu'il appelle une classification naturelle, que nous poursuivrions inlassablement dans tous nos efforts pour ramener nos concepts scientifiques à l'unité. Or, chose bien étrange chez un penseur si épris de rigueur logique, cette classification

naturelle à laquelle il attache une si haute importance, nulle part, à notre connaissance, il ne cherche à la définir : il semble même renoncer à la comprendre et se résigne à l'accepter, en quelque sorte, les yeux fermés. Nous croyons bien que là gît la cause de son désaccord apparent avec l'opinion communément reçue.

Mais il faut, ici, l'entendre lui-même : « Bien souvent, ce sont des causes tout accidentelles, des analogies toutes superficielles qui ont conduit les observateurs à rapprocher, dans leurs recherches, une loi d'une autre loi. Newton a fixé dans un même ouvrage les lois de la dispersion de la lumière qui traverse un prisme et les lois des teintes dont se pare une bulle de savon, simplement parce que des couleurs éclatantes signalent aux yeux ces deux sortes de phénomènes.

» La théorie, au contraire, en développant les ramifications nombreuses du raisonnement déductif qui relie les principes aux lois expérimentales, établit parmi cellesci un ordre et une classification... Ainsi, parmi les lois qui régissent le spectre fourni par un prisme, elle range les lois auxquelles obéissent les couleurs de l'arc-en-ciel ; mais les lois selon lesquelles se succèdent les teintes des anneaux de Newton vont, en une autre région, rejoindre les lois des franges découvertes par Young et par Fresnel; en une autre catégorie, les élégantes colorations analysées par Grimaldi sont considérées comme parentes des spectres de diffraction produits par Fraunhofer ». Aux yeux de Newton qui les scrute sans être arrivé encore à une théorie satisfaisante, aux yeux de l'observateur non initié dont ils caressent le regard, tous ces beaux chatoiements de lumière colorée se ressemblent ; la théorie survient qui péremptoirement y distingue des catégories parfaitement tranchées. Et pourtant, pas plus que le spectateur ignorant, elle n'a pénétré la vraie nature des phénomènes : de quel droit prétend-elle disjoindre ce que tout le monde unit?

C'est que « plus elle se perfectionne, reprend Duhem, plus nous pressentons que l'ordre logique dans lequel elle range les lois expérimentales est le reflet d'un ordre ontologique ; plus nous soupçonnons que les rapports qu'elle établit entre les données de l'observation correspondent à des rapports entre les choses; plus nous devinons qu'elle tend à être une classification naturelle ». Et ailleurs : « L'aisance avec laquelle chaque loi expérimentale trouve sa place dans la classification créée par le physicien, la clarté éblouissante qui se répand sur cet ensemble si parfaitement ordonné, nous persuadent d'une manière invincible qu'une telle classification n'est pas purement artificielle, qu'un tel ordre ne résulte pas d'un groupement purement arbitraire imposé aux lois par un organisateur ingénieux. Sans pouvoir rendre compte de notre conviction, mais aussi sans pouvoir nous en dégager, nous voyons dans l'exacte ordonnance de ce système la marque à laquelle se reconnaît une classification naturelle; sans prétendre expliquer la réalité qui se cache sous les phénomènes dont nous groupons les lois, nous sentons que les groupements établis par notre théorie correspondent à des affinités réelles entre les choses mêmes ».

Nous avons tenu à laisser la parole à Duhem lui-même afin de ne pas courir le risque d'aggraver, du fait de notre interprétation, l'imprécision que nous semble garder le concept de la classification naturelle. Il nous faut maintenant l'examiner de plus près.

Constatons d'abord qu'il est emprunté aux sciences biologiques. La Botanique et la Zoologie sont dans la nécessité inéluctable de mettre de l'ordre dans la foule immense des êtres vivants dont elles s'occupent. Dans les premiers essais, on avait choisi arbitrairement un organe, on en avait comparé toutes les manières d'être dans la série animale ou végétale, et constitué des groupes dans chacun desquels l'organe envisagé avait les mêmes IVe SÉRIE. T I.

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caractères. C'est ainsi que le célèbre système de Linné répartissait tous les végétaux en vingt-quatre classes basées sur l'examen des étamines. Le procédé fournit une classification artificielle, déjà très utile pour aider le savant à se reconnaître dans ses richesses, mais qui a l'inconvénient de rassembler parfois dans une même catégorie des êtres très dissemblables à première vue et de rejeter dans des catégories distinctes des êtres qu'on s'étonne de ne pas voir rapprochés.

Les méthodes naturelles, au contraire, sont basées sur toute l'organisation des êtres vivants, c'est-à-dire sur l'ensemble de leurs caractères et non sur un caractère unique, de telle sorte que les espèces pourvues du plus grand nombre de traits communs soient les plus rapprochées. Ces méthodes sont bien plus satisfaisantes pour l'esprit. Il faut remarquer pourtant que la part de la convention est loin d'y être négligeable; car il faut faire un choix parmi les caractères utilisés pour la classification et assigner à chacun son rang d'importance. Cet élément subjectif joue un grand rôle dans l'élaboration des méthodes de classification. De là vient qu'en Botanique il y a, non pas une, mais plusieurs classifications naturelles celle de Jussieu, celle de Decandolle, celle de Brongniart...

Que veut donc dire Duhem quand il parle de notre invincible besoin de tendre vers une classification naturelle de ces êtres de raison qu'on appelle les lois physiques? Cette classification sera-t-elle, comme en Botanique, celle qui ne se basera pas seulement sur un caractère unique ou un petit nombre de caractères, c'est-à-dire de rapports qui les unissent, mais au contraire sur le plus grand nombre possible, de manière à ne pas trop contrarier les rapprochements que nous établissons spontanément? Non, évidemment, car alors nous ne pardonnerions ni à la théorie des vibrations lumineuses de séparer les lois du prisme de celles des lames minces,

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