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ni à la théorie des solutions de Van 't Hoff d'assimiler les corps dissous aux gaz parfaits, ni à la théorie électromagnétique d'identifier la lumière et les altérations périodiques d'un champ électrostatique et électromagnétique.

Ce n'est donc certes pas avec l'acception qu'elle avait reçue dans les sciences biologiques que la classification naturelle a pu être introduite dans la théorie physique. Il ne reste alors, en l'absence d'une définition explicite qui en fixe le sens nouveau, qu'à examiner si un des sens usuels est recevable, et à moins d'appeler naturelle la classification qui plaît le mieux à nos habitudes d'esprit, qui heurte le moins nos idées préconçues ce qui serait de l'arbitraire pur - nous sommes bien obligés de dire que c'est celle qui nous paraît la plus conforme à la nature. Mais cette conformité à la nature, c'est la vérité objective. Donc la tendance innée vers une classification naturelle qui guide le disciple de Duhem, ne diffèrerait pas, au fond, du vague et indéracinable espoir qui anime d'autres savants, d'arriver malgré tout à la vérification des hypothèses. Ce que les uns et les autres se proposeraient, avec une conscience plus ou moins claire. du but, ce serait d'édifier la théorie de telle manière que rien, dans l'état actuel de nos connaissances, ne s'oppose à ce qu'elle soit un jour reconnue comme objectivement conforme à la réalité.

On est conduit à la même conclusion si on considère la nature des rapports sur lesquels il s'agit de baser la classification naturelle. Dans les sciences biologiques sont seules en question des ressemblances de formes ou de fonctions; tandis qu'en physique il s'agit de rapports de dépendance proprement dits, c'est-à-dire de rapports de cause à effet. Si donc nous transportons à ce second cas le sens de l'expression classification naturelle dans le premier, nous sommes tenus de dire que la classification naturelle à laquelle nous tendons est l'ordre qui repro

duit le plus exactement possible l'ensemble des rapports de causalité qui existent dans les choses. Mais cet enchaînement des causes et des effets n'est possible que d'une seule manière, celle qui se trouve réalisée dans la nature. Si donc nous poursuivons dans les théories physiques une classification naturelle des lois, cette classification ne saurait être autre chose que leur enchaînement réel et notre but véritable n'est autre que la connaissance de cette vérité objective que Duhem ne se croit pas en droit de nous accorder.

En résumé donc, la théorie physique n'a pas pour but immédiat de nous dévoiler la vraie constitution de la nature, objectif nébuleux dont on ne saurait dire d'avance s'il est accessible ou non, simple mirage au sentiment de quelques-uns. On ne lui demande que de formuler un schéma logique qui fasse dériver toutes les lois d'un petit nombre de principes, afin de nous permettre de nous en servir plus commodément et de nous. indiquer des directions de recherche fructueuse. Donc, en adoptant une théorie, on ne se préoccupe pas de savoir si elle est vraie, ou plus vraie que d'autres; on s'assure seulement si elle est commode et féconde.

Mais alors des esprits hardis et prompts à aller jusqu'au bout de leurs principes tirent aussitôt de cette constatation une conséquence extrême si la théorie, disent-ils, ne doit pas être vraie, mais seulement commode et féconde, rien n'empêche d'adopter comme bases de théories voisines des hypothèses inconciliables, chaque fois que ce sera plus utile. On pourra même faire appel à des hypothèses contradictoires dans les diverses parties d'un même sujet. Et, en effet, plusieurs n'ont pas hésité à le faire, notamment chez les Anglo-Saxons. C'est ce qui rend la lecture d'un Maxwell si pénible pour le lecteur qui ne fait pas bon marché de la logique et de l'har

monie. Dans sa théorie de l'électricité, le grand physicien anglais ne se gêne nullement pour appuyer ses développements mathématiques sur des postulats qui se contredisent d'un chapitre à l'autre. Comme le dit fort bien Duhem, qui s'en impatiente, il traite ses développements mathématiques comme de simples modèles, au même titre que les constructions mécaniques tant affectionnées par Lord Kelvin, O. Lodge, et d'autres savants de la même école.

Si choquante que paraisse au premier abord une pareille liberté, il faut reconnaître que la logique pure n'a rien à y objecter. Du moment que la commodité est plus grande, il est conforme à l'essence de la théorie physique de ne pas reculer devant l'emploi d'hypothèses inconciliables. « Deux théories contradictoires, dit Poincaré, peuvent, en effet, pourvu qu'on ne les mêle pas, et qu'on n'y cherche pas le fond des choses, être toutes deux d'utiles instruments de recherche. » Mais la logique pure n'est pas seule à avoir à dire son mot ici. Il convient, d'abord, de respecter le sentiment esthétique qui porte le savant à rechercher l'harmonie dans ses constructions logiques et à fuir l'incohérence. C'est un des mobiles le. plus puissants de l'esprit de recherche scientifique.

Il faut s'abstenir avec le même soin de heurter de front ce désir tenace enraciné dans notre esprit d'arriver tôt ou tard à une classification naturelle, c'est-à-dire à un enchaînement de rapports qui soit une image aussi fidèle que possible des rapports réels qui peut-être nous resteront toujours cachés. Comme il n'y a pas de contradiction dans la nature, il est évident qu'un ensemble de théories qui s'appuient sur des principes inconciliables ne peut la représenter exactement. Tout au plus tolérons-nous qu'on recoure provisoirement, dans l'élaboration d'un chapitre nouveau de la science, à des hypothèses en désaccord avec celles qui servent de base à d'autres parties; mais nous en souffrons secrètement, et

toujours nous y mettons intérieurement cette réserve plus ou moins consciente que ce n'est là qu'une phase tout à fait passagère de l'évolution, un échafaudage destiné à disparaître à l'achèvement de l'édifice.

Pour conclure, les théories scientifiques sont essentiellement des outils de recherche et des instruments de classification, et si certains esprits ne veulent pas désespérer d'arriver un jour, en cheminant de proche en proche par la voie des hypothèses, à la vérité objective, ils se rendent parfaitement compte qu'un tel résultat ne peut être escompté pour un avenir prochain.

Les théories succèdent donc aux théories, mais combien on se tromperait en se représentant le savant navré au milieu des ruines de ses systèmes qui s'écroulent les uns sur les autres comme des châteaux de cartes ! Ce savant, ne le nions pas, a existé, et même il se rencontrait fréquemment au siècle dernier. De nos jours, il est devenu plus rare. Pour être dans le vrai, il faut plutôt songer à l'artisan qui a devant lui, au-dessus de son établi, un casier dans lequel sont rangés une foule d'outils divers. Sur l'établi, ou entre les mains de l'artisan, le visiteur d'occasion verra un jour des burins, le lendemain des limes ou des forets. Dira-t-il alors que les burins ont fait faillite et que sur leurs débris s'élève le règne des limes ou celui des forets ?

Le physicien fait comme cet artisan. Ses théories sont des outils. Toutes ne sont pas aptes à toutes les besognes. Alors il les met temporairement de côté et les serre dans le casier pour les reprendre en temps opportun. En réalité, il en est bien peu qui ne soient en usage dans quelque coin de l'atelier de la science à un moment donné, même lorsque la vogue est passée à d'autres. Ainsi la théorie cinétique des gaz, dont les lacunes et les insuffisances sont reconnues depuis longtemps par ceux-là

mêmes qui lui restent fidèles, n'est point du tout périmée. On a renoncé à l'employer à certains travaux, mais elle rend encore de très bons services pour d'autres. Entre les mains des J.J. Thomson, des Rutherford, etc., elle fournit actuellement une carrière des plus brillantes dans l'étude des décharges électriques dans les gaz et de la radioactivité.

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Et cela n'est pas pour nous surprendre, puisque l'électricité, de son côté, est considérée maintenant comme formée de particules discrètes, d'électrons. Autre renouveau d'une théorie bien démodée, celle des fluides électriques, qui n'a jamais cessé d'ailleurs d'être employée dans l'enseignement. - Ce retour de faveur ne pouvait que déplaire à Duhem, qui s'en exprime ainsi (Notice, 1913) : « L'école néo-atomiste, don: les doctrines ont pour centre la notion d'électron, a repris avec une superbe confiance la méthode que nous nous refusons à suivre... Cette confiance, nous ne pouvons la partager; nous ne pouvons, en ces hypothèses, reconnaître une vue divinatrice de ce qu'il y a au delà des choses sensibles; nous les regardons seulement comme des modèles ». N'exagérons rien: Duhem récuse les hypothèses atomiques comme révélatrices de ce que l'expérience ne peut atteindre, non comme représentations symboliques ou modèles de ce qu'elle a conquis. Mais il nous a dit assez clairement ce qu'il pense des modèles pour que personne ne puisse se méprendre sur la tendance de passages tels que le précédent : ce n'est certes pas un encouragement à pratiquer les méthodes électroniques.

Ainsi, perpétuellement, les théories se suivent et se remplacent, sans qu'on puisse dire jamais ni celles qui sont définitivement condamnées ni celles qui pourront se flatter d'un règne durable.Elles sont choisies pour leur utilité présente, qui se mesure en somme à l'étendue croissante de leurs surfaces de contact avec la réalité. N'en rencontrera-t-on pas une un jour, qui s'adaptera si

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