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VARIÉTÉS

I

LE SENTIMENT RELIGIEUX ET LA SCIENCE (1)

M. Robert de Flers, directeur du Figaro, avait fait auprès des membres de, l'Académie des Sciences de Paris une enquête sur le sentiment religieux et la science et en avait publié les réponses dans son journal, du 2 au 25 mai 1926. La mort l'empêcha de les faire paraître en un livre séparé. Les éditeurs du présent volume ont pensé très justement qu'il fallait conserver ces documents caractéristiques de notre époque et les répandre. Les réponses y sont classées par ordre alphabétique des auteurs ; quelques lignes après chaque nom marquent les principaux titres du savant.

Dans l'article de tête, M. de Flers raconte l'origine de l'enquête l'idée lui en fut suggérée par «un membre de l'Académie des Sciences, dont la jeunesse et la gloire ont la grâce de coïncider », dit-il. « Pour ceux d'entre nous, lui confiait le savant (p. 12), qui estiment que l'affaiblissement du sentiment religieux est l'une des raisons essentielles du relâchement de la moralité publique, c'est une

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(1) Le sentiment religieux et la science. Enquête auprès des membres de l'Académie des Sciences, par ROBERT DE FLERS, de l'Académie Française, directeur du Figaro. Un vol. de 160 pages (18 x 14). Paris, éditions Spes, 1928. Prix 7,00 francs. volume est vendu au profit de la Société de secours aux Amis des Sciences.

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véritable douleur de songer, en dehors de toutes croyances personnelles, que l'on dresse sans cesse la Science contre la Religion et que c'est au nom de la première que l'on prétend détruire la seconde » (1). Pour établir la position actuelle des esprits sur cette grave question des rapports entre la Religion et la Science «< il serait d'un puissant intérêt de consulter les savants de l'heure présente et... la question qu'il conviendrait de leur adresser, en la dégageant de toute idée et de tout sentiment dogmatiques et confessionnels, devrait être celle-ci La Science est-elle opposée au sentiment religieux ? Il importe d'ailleurs de préciser que nous entendons ici parler de la Science au sens restreint du mot, de celle qui se limite aux faits, mais qui aussi a réalisé les « merveilles » qui frappent tous les esprits la vapeur, l'électricité, le radium... C'est elle, en effet, que l'opinion tient pour toute-puissante, et c'est

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(1) Dans le remarquable article qu'il écrivit sur l'Enquête du Figaro (Études religieuses, Paris, juillet 1926, pp. 5-27), le regretté Père LÉONCE DE GRANDMAISON montre le caractère d'actualité de cette enquête. Il cite un des plus récents manuels scolaires publiés en France Entretiens de Morale républicaine, par ANTONIN et LÉON FRANCHET, Paris, s. d. [1926]. « Vous lirez, dit-il, dans la Préface (p. XII), que la notion d'un Dieu anthropomorphe — c'està-dire personnel a fait son temps, comme la notion Terre, centre du monde, comme tant d'erreurs, de croyances et de superstitions que la Science a définitivement abolies. » Vous lirez (p. 128) : « Les savants disent... que tous les phénomènes de la pensée correspondent à des modifications physiques et chimiques de la matière cérébrale. Les animaux ont une âme, comme les hommes; mortelle, comme celle des hommes ». Vous litez (p. 138): « La Science crée le bonheur humain... la Science a fait de l'être primitif un homme moral... la Science a humanisé l'âme de l'être primitif et créé la conscience morale ». Vous lirez (p. 139) : « L'évolution dans laquelle l'humanité se trouve actuellement engagée a créé une opposition bien tranchée, une guerre sans merci entre la science, c'est-à-dire la recherche objective de la vérité, et l'ensemble des sentiments, des croyances et des survivances fétichistes qu'on appelle religion...», et enfin (p. 141), que « ce n'est pas seulement la première place, c'est la place unique à laquelle la science a droit dans le gouvernement des hommes ». Le Père ajoute que « la science, dont parlent ici MM. Antonin et Léon Franchet, avec beaucoup plus d'audace que de compétence, est surtout la science biologique ». Leurs affirmations se produisent donc sur le terrain même de l'enquête du Figaro.

à elle qu'elle songe aussitôt quand on lui affirme que la Science défend de croire. C'est donc aux représentants de cette Science-là, à l'exclusion de ceux des Sciences philosophiques et historiques, que devrait, je pense, se restreindre cette consultation, toute liberté étant d'ailleurs laissée aux enquêtés » d'élargir le débat de telle manière qu'il leur plairait » (p. 15).

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On posa la question dans les termes ci-dessus, aux seuls membres de l'Académie des Sciences de Paris. Le résultat de la consultation de ce milieu d'élite est en effet du plus haut intérêt et très symptomatique. Il confirme avec éclat le temps a fait justice, au moins dans les milieux intellectuels de nos pays, du préjugé, prôné par le « scientisme» d'antan, de l'incompatibilité entre l'esprit scientifique et l'esprit religieux.

que

En Belgique, même dans la presse quotidienne, les attaques menées contre la religion, au nom soi-disant de la Science, ont fait place à une neutralité qui affecte d'ignorer les croyances religieuses, ou du moins de les reléguer, plus ou moins respectueusement, avec une condescendance protectrice pour la faiblesse d'esprit des simples, parmi les affaires de conviction purement privée. Hélas! la partie de notre jeunesse belge entourée jalousement de cette neutralité areligieuse est exposée à croître dans une ignorance et une indifférence plus fatales encore que l'hostilité à la foi. Aussi n'y a-t-il pas lieu de s'exagérer l'avantage de l'apaisement des conflits aigus de jadis. Mais laissons ces graves considérations, qui n'ont pas leur place marquée dans cette Revue de sciences; enregistrons avec satisfaction un référendum très significatif.

Les éditeurs soulignent, pour tout commentaire, le fait que sur les quatre-vingt-huit membres de l'Académie, quinze seulement n'ont pas répondu volontairement, ou par raison d'absence ou de maladie ». Il y aurait peut-être lieu de commenter la formule choisie pour la consultation, et le sens qu'attachent certaines réponses au « sentiment religieux » ; mais une chose bien claire mérite d'être proclamée : pas un des savants consultés n'a pris à son compte l'affirmation d'un conflit entre les sciences naturelles et le sentiment religieux.

Deux restrictions seulement ont été faites, délicatement d'ailleurs; citons-les par souci d'objectivité.

M. Borel, après avoir reconnu comme un fait d'expérience, qu'il n'y a aucune incompatibilité psychologique entre le sentiment religieux et le goût et l'amour de la science, ajoute (p. 48) : « Par contre, on constate parfois une opposition pratique entre certaines manifestations sociales du sentiment religieux et la liberté de pensée et de discussion indispensable à la science. Quelle que soit l'opinion du savant sur les théories cosmogoniques de Galilée ou sur les théories biologiques de Darwin, il lui apparaît comme nécessaire que ces théories puissent être librement formulées et discutées sans que le tribunal de l'Inquisition ou les juges de Dayton (1) aient le droit de s'y opposer. Il semble d'ailleurs que de telles oppositions sont de plus en plus rares et de moins en moins approuvées par l'opinion publique. »

M. Jean Perrin écrit (pp. 124-125): « Si l'esprit religieux représente une certaine aspiration, sans dogme précis, vers un Idéal de Justice et de Bonté, avec l'espérance ou la conviction que, par des voies qui nous sont en ce moment inaccessibles, l'Univers réalise ou réalisera cet Idéal, alors il n'y a évidemment aucune opposition entre l'esprit scientifique et l'esprit religieux. Mais, s'il s'agit de dogmes précis, la question change. L'esprit scientifique habitue à être exigeant dès que l'on prétend établir ou rendre probable une hypothèse particulière. Et je regarde comme incontestable que la croyance en une quelconque des religions existantes a moins de chance de subsister et surtout de s'établir chez un homme habitué aux rigueurs du raisonnement scientifique qu'elle n'en trouve chez un homme étranger à la Science » (2).

Plusieurs académiciens se sont concertés pour signer une réponse collective.

«La Science apprend à être modeste et à respecter les opinions d'autrui », disent (p. 158) MM. Behal, D. Berthelot, H. Deslandres, J. Charcot, Guignard, G. Koenigs,

(1) Un tribunal de Dayton, aux États-Unis, condamna l'enseigne ment du Darwinisme.

(2) Qu'on nous permette de remarquer que M. Perrin semble ne reconnaître de rigueur qu'au « raisonnement scientifique » tel qu'il se pratique dans le domaine des sciences mathématiques et physiques. L'intelligence humaine, qui n'est pas limitée à l'objet de ces sciences, n'est pas davantage bornée à ce type de raisonnement logique; dans les autres domaines de connaissance, elle applique, avec une rigueur au moins égale, les raisonnements des méthodes appropriées.

A. Lacroix, M. Laubeuf, Louis Lumière, F. Mesnil, Paul Painlevé, Perrier, H. Sebert, H. Vincent.

«La Science telle que vous la délimitez (c'est-à-dire à l'exclusion des Sciences philosophiques et historiques)n'est pas plus opposée à l'idée religieuse qu'elle ne lui est favorable. Ce sont deux domaines distincts de la pensée humaine », disent (p. 157) MM. Charpy, J. Costantin, G. Gravier, Hamy, Henneguy, Joubin, Leclainche, L. Mangin, Marchal, M. Molliard, P. Viala, Wallerant.

Ces textes caractéristiques résument le contenu minimum des autres réponses. Celles-ci sont unanimes à reconnaître tout au moins la compatibilité de fait entre l'esprit scientifique et le sentiment religieux. Beaucoup affirment l'impossibilité d'un conflit en se basant sur la distinction des domaines respectifs de la science et de la religion. Beaucoup constatent explicitement les bornes de la science, son impuissance à fonder la morale, et proclament le besoin de la religion.

M. Moureu (1) le fait dans une sorte de confession, dont nous aimons à reproduire ce passage émouvant (pp. 115-118).

Pour répondre à la question « la plus haute, la plus grave » que vous m'avez fait l'honneur de me poser, je suis descendu en toute simplicité, dans mon for intérieur, passé et présent, et voici ce que j'y ai trouvé.

Que la science soit opposée au sentiment religieux, je l'ai peutêtre (je n'en suis pas bien sûr) cru jadis, au temps de ma jeunesse. J'avais reçu au collège une éducation religieuse rigoriste, provoquant dans certaines consciences des scrupules dont ma vive sensibilité eut longtemps à souffrir. Par la suite, la vie de famille et les réalités de l'existence m'apportèrent le dérivatif nécessaire. Mais je gardai de cette épreuve une amertume qui m'éloigna de la Religion. C'est dans cet état d'esprit que j'abordai les études scientifiques.

Avide de savoir, je fus, dès les premiers contacts, émerveillé et comme subjugué, et je me jetai avec enthousiasme dans les bras de la Science. En peu d'années, j'acquis une copieuse érudition. Et bientôt, grisé par ses conquêtes, je ne fus pas loin de penser que la Science était capable de résoudre tous les problèmes, que rien, ni l'essence de la vie, ni le principe et la fin des choses, n'échapperait à son étreinte. J'étais peut-être alors un « matérialiste >> considérant que la Divinité, l'immortalité de l'âme, sont des conceptions à l'usage des « simples d'esprit >> et dont doivent s'affranchir les esprits vraiment libres.

(1) Charles Moureu, professeur de Chimie au Collège de France.

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