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à côté d'un adversaire redoutable des alliés puissants, l'attira probablement dans Genève, et fit de son procès un épisode de la lutte qui déchirait la cité républicaine.

§ 2. Arrestation de Servet, et premières informations judiciaires.

En arrivant dans Genève, Servet était descendu à l'hôtellerie de la Rose, et il s'y tenait, à ce qu'il assure, soigneusement caché pour n'être point reconnu, en attendant l'occasion de se procurer un bateau pour gagner par le lac le chemin de Zurich et s'en aller de là au royaume de Naples (1). Mais malgré son dire, il est probable que dans le logement où il conservait son incognito, il n'était pas resté sans communication avec les gens du dehors. Toujours est-il qu'en dépit des précautions qu'il avait prises, ou plutôt parce qu'il n'était pas resté aussi complétement reclus qu'il le prétend, sa présence dans Genève fut découverte, l'éveil donné, et lui-même reconnu. S'il faut en croire une relation contemporaine (2), il aurait pris fantaisie d'assister à l'une des prédications qui se faisaient dans les temples de Genève, et c'est là que, même avant le début du prêche, il aurait été aperçu et dénoncé. Ce qui est certain, c'est que ce furent des membres du corps des ministres qui constatèrent son identité, et que son arrestation eut lieu un dimanche, 13e jour du mois d'août 1553 (3).

Calvin en fut l'instigateur. A peine informé par ses collègues de la découverte qu'ils avaient faite, à la suite sans

(1) Interrogatoire du 23 août, no 28.

(2) Historia de morte Serveti, dans Mosheim, p. 448.

(3) Registre de la Compagnie des pasteurs, aux Pièces justificatives.

doute de renseignements antérieurement reçus, il s'adressa à l'un des syndics pour obtenir de lui, en vertu de la compétence assignée à sa charge par les édits criminels (1), l'emprisonnement de Servet (2). Le magistrat lui octroya aussitôt sa demande, et jamais Calvin ne dissimula la part qu'il avait prise à l'incarcération de l'hérétique. « Je ne veux point nier, dit-il (3), que ce n'ait esté à ma poursuite qu'il fut constitué prisonnier. » Cette démarche du réformateur, une fois qu'il était instruit de la présence de Servet dans ses domaines, n'a rien que de parfaitement naturel; il devait sous peine d'abdication, tout faire plutôt que de souffrir à côté de lui dans Genève un homme qu'il considérait comme le plus grand ennemi de la Réforme, et la position critique où il voyait celle-ci au sein de la République, était un motif de plus pour écarter, si cela était possible, le nouvel élément de dissolution qu'aurait créé le libre séjour de Servet.

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Dans la situation de Calvin, et au point de vue où il s'était lui-même placé, il ne pouvait hésiter sur le parti qu'il fallait prendre. Sans doute, en se mettant une nouvelle affaire sur les bras, il compliquait les difficultés de sa position, mais ce n'était pas là ce là ce qui pouvait faire reculer cet inflexible génie. Né pour la domination et pour la lutte, il devait toujours courir les chances de celle-ci au profit de celle-là. Un échec dans la poursuite de Servet ne lui était pas après tout plus funeste que celui qu'il aurait reçu on n'osant pas user envers l'Espagnol des moyens répressifs dont il s'était jusquelà servi pour venir à bout de moins redoutables adversaires, ou d'hérétiques moins odieux.

(1)

« Quant quelcque plainte viendra qun chascun des Sindicques ait la puissance de mander ceulx quil appartiendra, et faire emprisonner, si mestier est.» (Edits criminels du 28 janvier 1543.)

(2) Epist. Calvini ad Sulzerum, 9 sept. 1553.

(3) Déclaration, p. 1318.

Calvin, nous le savons par sa lettre à Viret, tenait depuis longtemps Servet pour un impie et pernicieux blasphémateur, dont les opinions distillaient au sein de la chrétienté le plus funeste poison. Cette conviction, fortifiée de l'irritation qu'avaient produite en lui les attaques de l'hérétique, ne pouvait le laisser un instant indécis sur le parti qu'il devait prendre. Souffrir impunément Servet dans Genève, c'eût été en quelque sorte pour Calvin s'en exiler lui-même; c'eût été trahir sans combattre la cause de Dieu, démentir tout son passé et rendre impossible dans la rivale de Rome la continuation de son œuvre. La route où Calvin était entré ne lui laissait plus le choix entre la tolérance et la persécution. L'homme qu'une dénonciation calviniste avait fait arrêter, juger et condamner au feu sur le sol français, ne pouvait trouver un abri dans la ville d'où était sortie cette dénonciation. L'honneur de la Réforme, tel que le comprenait Calvin, y était engagé, et jamais sans doute il ne crut faire une œuvre plus conforme aux intérêts d'une cause pour lui si sacrée, que lorsqu'il se décida à provoquer l'arrestation de Servet. Les doctrines prêchées par ce dernier lui paraissaient le renversement complet de l'édifice chrétien, voire même de toute religion (1); tolérer leur auteur, et ne le pas punir, eût été se rendre en quelque sorte solidaire, devant l'opinion publique, de son horrible impiété. D'ailleurs, sans tenir compte de ce qu'en auraient pu penser les ennemis de la foi calviniste, tout ménagement envers lui eût été de la part de Calvin, comme nous l'avons dit, un désistement non motivé du système qu'il avait jusque-là suivi à l'égard des adversaires théologiques placés à sa portée.

En effet, non content de chercher à les confondre par la discussion, il sollicitait contre eux l'intervention civile; le magistrat devant, selon lui, tout aussi bien connaître du blas

(1) Déclaration, p. 1388.

que

phème et de l'hérésie que des meurtres et des vols, puisque les crimes en matière religieuse n'offrent pas moins de gravité que ceux en matière civile, et l'emportent même en culpabilité sur ces derniers, autant que l'âme, objet de leur atteinte, l'emporte sur le corps et la vie physique. « Telle diversité ne se trouvera point en l'Escriture, dit-il quelque part, qu'on doyve faire meilleur marché des iniures faites à Dieu de celles qui attouchent les hommes (1). » Calvin n'avait pas compris comme on les entend de nos jours, les relations entre l'Eglise et l'Etat; bien qu'il assignât à l'un et à l'autre une sphère d'action parfaitement distincte, il n'en admettait pas moins dans l'ensemble de l'organisation sociale leur mutuel concours, et leur intime union (2). Tout son système de discipline ecclésiastique se basait sur ce double rapport de divergence et d'unité : à l'endroit de l'hérésie, on retrouve la même pensée. Le serviteur de l'Eglise peut dénoncer l'hérétique, et le confondre théologiquement, mais son jugement est l'exclusive mission du magistrat, dont l'un des plus sacrés devoirs est de punir les atteintes portées à la majesté divine.

<< Bien est vrai, dit Bèze, que quand on s'est bandé contre la doctrine de Dieu qu'il annonçoit, Calvin n'en a jamais rien. quitté, et a pourchassé, selon les saintes lois ici établies, que les moqueurs de Dieu fussent traités selon leurs démérites. Mais, ajoute le biographe, il ne jugea jamais personne, car ce n'étoit point son état, et il n'y pensa oncques, et si on lui a demandé avis, c'étoit non point pour confondre les états que Dieu a distingués, mais pour être réglés selon la parole du Seigneur (3). »

L'autorité de cette parole ne s'associait pas dans l'esprit

(1) Déclaration, p. 1321.

(2) Voyez les Ordonnances ecclésiastiques de 1561.

(3) Discours sur la vie et mort de Me Jehan Calvin.

du réformateur à la théorie du libre examen, telle qu'elle a été dès lors proclamée. Il n'admettait nullement dans les questions de foi l'éclectisme et l'indépendance, mais le règae de la vérité absolue, et par conséquent l'unité de doctrine la liberté c'était, selon lui, l'affranchissement de l'erreur et la soumission à la vérité, ce n'était point la promiscuité des opinions.

« Je laisse là, dit-il en argumentant contre les partisans de la tolérance, leur belle maxime qu'il fault souffrir toutes disputes contraires, pource qu'il n'y a rien de certain ne resolu, mais que l'Escriture est un nez de cire, tellement que la foy que tous Chrestiens tiennent de la Trinité, de la prédestination, de la justice gratuite, sont choses indifférentes desquelles on peult débattre à plaisir (1). » Puis revenant ailleurs sur le même sujet : « Que sera-ce, dit-il, de Dieu et de Jesus Christ, si la doctrine est incertaine et comme mise en suspend? Et quelle opprobre fait-on à Dieu en disant qu'il a tellement entortillé son langage en l'Escriture saincte, qu'il ne s'est fait que iouër des hommes, leur tenant le bec en l'eau ? Or, si nous n'avons religion certaine et resolue en l'Escriture saincte, il s'ensuyvra que Dieu nous a voulu occuper en vain par ie ne say quelles fallaces, comme s'il nous parloit de cocquecigrues. Que reste-t-il à telles gens, sinon d'anéantir l'Escriture saincte pour avoir un chemin plus court d'imaginer tout ce qui leur viendra en la teste? Cependant on voit clairement que tous mocqueurs de Dieu, et pareillement tous mutins, en débatant que les Princes et Magistrats ne doyvent point maintenir par glayve la vraye religion, plaident leur cause particulière (2). x

D

Calvin croyait plaider la cause de l'Evangile et de Dieu, laquelle pour lui se confondait avec la sienne, et remplir

(1) Lettre du 20 février 1555; dans Henry, II, Beil., no 2. (2) Déclaration, p. 1321.

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