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ministration. Étudier son cœur au flambeau de Dieu, c'est la grande théologie. Qui se connaît bien à cette lumière connaît bien tous les hommes, et, je l'ose dire, connaît la volonté de Dieu, la grandeur de son amour, la beauté de sa justice, et sait ce que Dieu veut du genre humain et pour le genre humain. Or, c'est ici la science suprême de l'évêque, celle qu'il doit répandre dans le monde, celle qu'il doit apporter au Concile. Quant au reste, il y a des bibliothèques et des théologiens que l'évêque missionnaire peut consulter comme un autre, et dont un autre n'a pas moins besoin que lui pour ces circonstances qui se sont offertes dix-neuf fois en dix-neuf cents ans. Demandera-t-on que tout évêque soit toujours prêt à éclairer un concile? On y trouverait des difficultés, même en Europe. Le grand droit de l'homme est de n'avoir pas de génie; son principal devoir, qui renferme tous les autres, est de vivre pour Dieu, dans la voie que Dieu lui a tracée, quelque déviation que prétende lui imposer le monde. Ce devoir, qui l'a plus magnifiquement embrassé que l'ouvrier apostolique, et qui le remplit d'un cœur plus magnifiquement dégagé des choses humaines? Ouvrier de la première heure, il travaille jusqu'au soir et par delà, pour partager son gain à ceux que la dernière heure voit à peine arriver. Il donne à Dieu toutes choses, sa terre natale, ses sueurs, son sang, ses larmes, son berceau, sa vie et sa tombe; il prend une croix au pied de laquelle

sa mère ne sera pas; il va mourir dans les épines d'une terre aride, qui ne fleurira qu'après avoir dévoré ses ossements. Qu'ils disent clairement leur pensée, ceux qui, devant ces hommes et contre ces hommes, armés de rhétorique et d'arithmétique, les conjurent de songer au salut des àmes et de réfléchir sur les choses de Dieu! Estiment-ils que ces hommes trop simples n'ont pas le zèle prudent des âmes, ne savert pas voir ou ne considèrent pas assez les vrais intérêts de Dieu? Croient-ils que ces hommes ne sont pas dans les conditions voulues pour que Dieu leur accorde des lumières que la science peut bien chercher, mais qu'elle ne reçoit que du miracle, et qui ne sont données que pour le salut présent et futur des sociétés humaines?

Je lis les brochures de ceux qui se déclarent euxmêmes seuls savants, et j'entre dans une ombre glacée où le doute et les fantômes remplacent les sérénités de la lumière et la chaleur saine de la vie. Les systèmes se déroulent et se contredisent, les masques se succèdent. Je n'entends plus Dieu, je n'ai plus ses promesses, je me demande enfin si Dieu a su construire son Eglise. L'a-t-il posée sur la pierre ferme, ou bien, avec un très-grand dédain des angoisses de mon intelligence et de mon cœur, l'a-t-il ébauchée sur les pierres roulantes et sur le sable mouvant, pour être perfectionnée et transformée plus tard par qui voudra?

Mais j'écoute les Apôtres, et mon cœur brùle. Tout est amour, certitude, divine clarté. Je vois les envoyés vivants du Dieu vivant. Je vois les pieds poudreux, la tête couronnée d'épines, le corps labouré de cicatrices, le flanc percé, mais les bourreaux vaincus, la tombe changée en berceau, des églises qui naissent, la lumière et la charité qui se répandent. Ah! je le reconnais : c'est Lui! Ceux-ci sont en Lui, et Il est en eux. Ils parlent sa langue tendre et lumineuse, ils font son œuvre invincible et immortelle, et pour dernière ressemblance, se tournant vers le Chef qu'Il leur a laissé, ils lui disent: Tu es Pierre, confirme-nous. Tu es le Pasteur, enseigne-nous le pâturage. Pais par nous les agneaux que le Seigneur Jésus nous a confiés par ta main et pais-nous directement nous-mêmes qui sommes les brebis!

Je déplore d'être obligé de finir. Je voudrais vous raconter la vie de ces hommes, du moins les traits qui échappent à leur modestie soigneuse de se taire. Ils cachent leur vie, ou, pour mieux dire, elle est cachée à leurs propres yeux. Ils savent que Dieu les emploie à quelque chose de grand, ils ne se savent pas grands par eux-mêmes et ne connaissent en eux que la misère de l'humanité. C'est à peine si l'on peut saisir dans leurs récits quelques traits de cet héroïsme qui veut s'ignorer et qui en vient à bout. Ecoutez pourtant ceci.

L'un d'eux, alors simple missionnaire envoyé par

son évêque dans un canton éloigné, pour étudier si l'on y pouvait établir un prêtre, arriva au terme de sa course sans argent et sans moyens de revenir. De son dernier dollar, il avait acheté un flacon de vin, afin de pouvoir dire la messe, ressource suprême et unique pour résister aux tortures de l'abandon. En ce lieu vivaient des hommes, des Européens, et parmi eux des Français. Il les avait salués dans la langue de la patrie, et ces hommes, parce qu'il était prêtre, ne lui avaient pas répondu. Il s'établit sous un arbre, à quelque distance des maisons où il ne pouvait espérer un abri, et il vécut des semaines entières, sans pain, de racines inconnues qu'il essayait à tout risque et de coquillages qu'il mangeait crus, n'ayant pas d'ustensile pour les faire cuire. Mais la dureté persévérante des hommes et la longue impuissance de sa prière était un plus grand tourment. Parfois, quelque habitant du village, passant, lui jetait une injure et s'éloignait. Personne qui voulût non pas lui serrer la main, mais seulement l'entendre; pas un vieillard, pas une femme, pas un enfant. Encore qu'il continuât d'espérer, cette horreur de Dieu lui déchirait le cœur, et il sentait baisser sa vigueur corporelle ruinée par la fièvre et le chagrin.

Un jour, il vit venir à lui un jeune homme grand et beau, qui lui dit pour première parole : En grâce, avez-vous à manger? C'était un prêtre envoyé à sa recherche par l'évêque. Il était mourant de fatigue et

de faim, et il n'avait aucun moyen ni de l'emmener ni de repartir lui-même. A cause de la pauvreté de l'évêque et de l'inexpérience du pays, il était venu sans ressources. La charité seule avait pu le soutenir jusqu'au terme. Il se coucha par terre, implorant un peu de nourriture. L'autre lui présenta les coquillages dont il vivait principalement, des moules énormes, hideuses à voir, et dont l'aspect seul soulevait le cœur. L'affamé n'y put toucher, et son hôte désolé entrevit dès ce moment que l'infortuné mourrait de faim. Ce dernier coup l'accabla. Il se sentit vaincu. Peu de jours après, les deux missionnaires, étendus sous le soleil brûlant, dévorés de fièvre et de vermine, se dirent: Nous mourrons ici. Que l'un de nous fasse effort et célèbre une dernière messe : il communiera l'autre et nous bénirons Dieu.

C'était le jour de l'Assomption. Ils tirèrent au sort pour dire la messe. Le sort échut au premier arrivé. Il offrit le saint sacrifice pour son frère mourant, couché près de l'autel de terre, et pour lui-même, qui comptait aussi mourir. Il dut s'y reprendre à vingt fois, désespérant souvent de pouvoir achever, et cette véritable messe des morts dura près de trois heures. Enfin le moribond put donner la sainte hostie à l'agonisant et consommer le triple sacrifice où le prêtre et l'assistant s'immolaient eux-mêmes avec la victime; et la consolation des mourants était grande en cet acte suprême de foi et d'amour, bien capable

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