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LXXXVI

25 avril.

Tout à l'heure seront lus et souscrits en session publique les premiers décrets du premier Concile du Vatican, dix-neuvième œcuménique.

Quand j'écris cette chose si simple, moi enfant du dix-neuvième siècle, me souvenant de la révolution de juillet que j'ai vue, de la révolution de février que j'ai vue, me souvenant de la révolution de 1789 que mon grand-père a vue (elle lui a même volé son moulin, le beau moulin de Noyers, au diocèse de Sens, et c'est pourquoi je suis journaliste); me souvenant aussi de Voltaire, et de M. de La Bédollière, et de M. About, que j'ai lus; quand, dis-je, j'écris cette chose si simple, me souvenant de tout cela, je crois rêver. Mais je sais que je ne rêve pas, et je sais encore que je rends témoignage d'un miracle, et que Dieu plein de miséricorde continue à se jouer des desseins des hommes.

Lorsque Adam et Ève eurent mangé du fruit défendu, pour devenir comme des dieux et faire la première révolution démocratique, laquelle consis

tait à mettre Dieu dans la condition de simple habitant du Paradis, sauf à l'exclure plus tard, Dieu se prit à railler. Voilà, dit-il, Adam devenu semblable à l'un de nous! Puis il montra qu'il était le maître. Alors commença la tragédie humaine, et le combat s'ouvrit entre la liberté de l'homme et la puissance de Dieu, entre la liberté de la mort et la puissance de la vie. Que de fois la mort a cru vaincre, que de fois elle a crié J'ai la connaissance du bien et du mal, j'ai vaincu l'amour, j'ai vaincu la vie, j'ai vaincu et expulsé Dieu, et je suis Dieu!

Il y a cent ans, ce cri retentit comme un coup de tonnerre. Voltaire était le roi et le prophète du monde. Tous les maîtres de la terre, devenus ses disciples, flagellaient le Christ et lui disaient: Prophétise qui t'a frappé! Le monde, un jour, s'était réveillé arien; à la voix de Voltaire, il y a cent ans, il se réveillait athée. La mort frappa où elle voulut, tant qu'elle voulut. D'un coup de faux, elle mettait à ras de terre plus d'églises, plus de demeures et plus d hommes qu'un faucheur, en allongeant son bras, ne saurait raser de brins d'herbe. Et pour qu'il ne restât rien de cette antique floraison coupée, après la faux passait la charrue, pour en arracher jusqu'aux racines. Ainsi, dans le monde moderne, le bourreau fut suivi du législateur. Et tout le monde catholique ne parut plus bientôt que cet ossuaire aride qui fut montré à Ezechiel Dieu dit à son prophète: Fils de

l'homme, crois-tu que ces ossements puissent revivre? Il répondit: Seigneur, vous le savez! Si Dieu avait fait aux vivants et aux croyants de notre époque, il y a quarante ans, il y a vingt ans, la même question, quelle autre parole leur foi eût-elle pu répondre? Domine, tu nosti! Qui eût prévu le Concile? Mais voilà que le Concile signifie ses décrets au monde, et le monde obéira.

En ce moment, Rome, c'est-à-dire un abrégé des peuples, remplit la basilique vaticane. Les portes de la salle conciliaire sont ouvertes; le Concile est assis, présidé par le Pape entouré du Sacré Collége. Dans le Sacré Collége, il y a un homme, notre cardinal de Bordeaux, qui a reçu la bénédiction de Pie VI détrôné, prisonnier et mourant, et on lui disait : C'est le dernier pape! Il est là, il voit Pie IX vivant, libre, sur son trône, roi de la vie et de la mort, ouvrant et fermant le ciel, proclamant la vérité qui est la vie et qui enfante la vie, jetant l'anathème et la foudre à l'erreur qui est la mort.

Qu'en dis-tu, Voltaire? qu'en dites-vous, Frédéric le Grand, Catherine la Grande, Napoléon le Grand, et toi aussi, Havin le Grand, dernier héritier de Voltaire ?

A la messe, aujourd'hui, l'Église chante la parole. de saint Jean: Et hæc est victoria quæ vincit mundum fides nostra. Quis est, qui vincit mundum, nisi qui credit quoniam Jesus est Filius Dei?

Quel accent prend en cette rencontre l'Alleluia de Pâques, qui retentit durant tout le cours du saint sacrifice! Que ces choses sont solennelles et divines, mais inexprimables! Il y a une lumière d'or, un air vif, une tranquillité de joie et un rayon d'allégresse partout. Qui pourrait peindre cette physionomie de Rome, cette douceur de la terre, du ciel et des àmes?

25 avril.

Une lettre du R. P. Newman, où je suis nommé injurieusement, et une publication posthume de M. de Montalembert (le Testament du P. Lacordaire), où je suis injurié furieusement, exigent que je leur oppose quelques souvenirs. En ce genre, j'ai beaucoup remis, beaucoup négligé, et je m'en suis bien. trouvé. Néanmoins, il convient de se défendre parfois. C'est inutile devant la prévention et superflu devant la sympathie; mais plus respectueux pour la gloire. Newman, Montalembert, Lacordaire qui est impliqué et invoqué ici, sont de grands noms; une accusation qu'ils signent ne saurait passer comme une attaque des gazetiers et des concordiers. Avec ces derniers, ils m'imputent de faire « le plus grand tort à la religion. » De leur part, ce n'est plus tout à fait rien. J'ai répondu dans le temps; la prospérité

de l'Univers m'a donné raison. Les patrons et lecteurs de l'Univers ne sont point des insensés qui se méprennent sur les intérêts de l'Eglise ni des traîtres qui les veulent livrer. Mais enfin, voici des adversaires qui méritent considérablement, même lorsqu'ils s'abusent; et puisque l'accusation revient, il faut rafraîchir la réponse.

Je suis d'ailleurs en bonne passe pour réfléchir à mes torts de journaliste envers l'Église, envers la religion et envers la société. Je l'ai dit récemment : depuis trente-deux ans accomplis je me donne ces torts. Ce fut au temps de Pâques, en 1838, à Rome, que je résolus d'abandonner le service des idoles. Car j'avais alors des « idoles, » et elles me traitaient bien. Le vrai Dieu s'était montré, il fallut suivre. Comment ai-je suivi si mal, et me trouvé-je, après trente-deux ans, agenouillé devant une autre « idole » (1)? Je viens de méditer là-dessus.

J'y ai mis une bonne heure, le temps d'aller de la Trinité-des-Monts au Latran, à pied, posément, en homme qui sent le triple poids de l'âge, de l'horreur qu'il inspire au monde, et du soleil d'avril. Plus d une fois en 1838, j'ai fait ce chemin-là. Ni les ans, ni le soleil d'avril, ni la réputation ne me pesaient alors; et en vérité je traînais un plus accablant fardeau le fardeau d'une erreur chère que je croyais

(1) Dans la lettre de Montalembert, hélas! il était question de « l'idole du Vatican. »

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