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être la liberté, et qu'il fallait quitter pour prendre une vérité rude, que je croyais être l'esclavage. J'étais un véritable enfant de ce siècle, discordant avec moi-même. J'aimais l'anarchie, et j'aspirais à la paix; la vérité me commandait, et l'erreur me plaisait; ma raison ne pouvait résister à la vérité, et ma faiblesse ne pouvait résister à l'erreur. Je reprochais à l'erreur de me séduire et à la vérité de me réduire. Si vous n'avez point été déchiré entre ces deux forces altières, vous avez ignoré les péripéties d'un terrible duel, ô Janicot! Mais si vous les avez mises d'accord, je vous plains.

Quant à moi, dans ce moment, je souhaitais une défaite totale ou de l'erreur ou de la vérité, pour arriver à la paix; et je faisais effort pour mettre ma volonté du côté de la vérité. Si j'y parvins, je l'ignore, tant j'étais en désarroi. J'aurais bien dit, comme M. Guizot: La paix partout, la paix toujours! J'avais horreur de la guerre, de toute guerre. Je voulais me dégager des mêlées politiques, n'y espérant de paix ni pour ma conscience ni pour ma raison. L'un des attraits de l'Église était qu'il n'y existe qu'un chef, et qu'on n'y récite qu'un credo, venu de Dieu. Je ne connaissais pas même de nom le gallicanisme. Enfant prodigue, ou plutôt enfant volé, rentrant à la maison paternelle, je ne pensais pas rencontrer là une branche cadette, des frères mariés à je ne sais quelles étrangères qui me diraient

que le père de famille a usurpé et que les enfants doivent le ramener au droit.

M'eut-on averti de cette monstruosité, ou je ne serais pas revenu, ou dès lors j'aurais pris la résolution de combattre les séditieux qui conjuraient pour réduire la puissance de la lumière et de l'amour. Mais la moitié de ma joie eût été perdue, puisque avant tout j'aspirais à la paix. Hélas! retrouver dans l'Église, retrouver par devoir l'esprit de dispute et de contradiction, quel écroulement de mon espérance! L'esprit de contradiction m'a toujours paru l'une des méchantes et sottes pestes de la vie.

Ne me sentant aucune pente aux choses héroïques, je me destinais à faire mon salut dans quelque emploi de petit homme de lettres, loin des journaux, loin des tribunes, loin des chaires, écrivant d'honnêtes petites choses au sein des pénombres où la polémique et la croix d'honneur ne tombent jamais. A vrai dire, je croyais m'ennuyer. La mystique gallicane m'avait fait entrevoir cet inconvénient. Avoir peur de Dieu et de ceux qui haïssent Dieu, supprimer Dieu et se supprimer soi-même autant que possible, se bien ennuyer dans le temps pour mériter peut-être de s'ennuyer dans l'éternité, c'est ce que la mystique gallicane, fille du jansénisme, promettait encore volontiers, en 1838, aux gens qui voulaient se convertir; et cette vue ne laissait pas de rendre le passage assez effrayant. Je passai néanmoins, attiré

J

par la vision de la paix. Non, jamais garçon de vingt-quatre ans ne s'est moins proposé d'irriter son époque! Pourtant l'irritation n'a pas manqué. Le chemin de Damas est un chemin de mécompte. Je pris le petit emploi, j'écrivis les honnêtes petites choses, et, en moins de trois années, j'arrivai, sans y penser, sur le fil de l'eau, tout droit à l'Univers. Plusieurs ont poussé ma barque et l'ont accrochée là, qui m'ont ensuite reproché amèrement d'avoir abordé. Pour moi, je m'en réjouis encore.

Il y avait en ce temps-là un homme jeune, pur, déjà célèbre, très-aimable, très-irritant aussi; écrivain irritant, orateur irritant; repris de justice à Paris et à Rome, pénitent à Rome, impénitent à Paris, comme pour irriter davantage. Il se nommait Montalembert. Quantité de pieuses gens et quantité d'autres le disaient né pour faire « le plus grand tort à la religion. » L'on serait étonné si je nommais les voix. Il allait son train, rendant plus que volontiers guerre pour guerre, cherchant la guerre. Dans ses écrits, il présentait la religion par le côté <«< irritant. » Il vantait le moyen âge, il croyait aux miracles, il comptait l'histoire d'une sainte qui avait soigné les lépreux et baisé leur lèpre, et fait cent autres choses scandaleuses. Dans ses discours politiques, il détachait la religion du drapeau blanc, ce qui la rattachait au drapeau tricolore; mais il avait un art d'irriter le drapeau tricolore autant que le

drapeau blanc. Les journaux légitimistes le détestaient, les journaux révolutionnaires l'exécraient, les journaux philippistes le détestaient, l'exécraient et le bafovaient. Il était l'horreur particulière du Journal des Débats, qui le traitait simultanément et furieusement de carliste, de jacobin et de néo-catholique. On décriait généralement ses idées, sa polémique, son ton, qui ne se ressentaient en rien d'une religion de paix et d'humilité. Le Siècle l'accusait de vouloir rallumer l'inquisition, le Journal des Débats le montrait à la tête des futures dragonnades, et l'Ami de la Religion, bien pensant, mais triste, laissait percer la crainte que ces excès ne finissent par faire saccager les « édifices religieux. » Bref, Montalembert possédait toute l'impopularité dont un catholique pouvait être orné vers l'an 1842. Je l'aimai de tout mon cœur, et je le pris pour chef.

Son impopularité ne me séduisit ni ne m'intimida. Lui-même, sans chercher follement à l'accroître, et sans s'occuper de la désarmer, il se bornait à n'en point tenir compte. Je lui savais gré de cette indifférence. J'ai toujours estimé que la conscience chrétienne devait se soustraire aux courants de la passion publique. Une popularité peut se rencontrer pour le juste. C'est un exemple très-rare, presque un miracle; Rome en a le beau spectacle présentement. Partout ailleurs dans le monde moderne, la popularité n'est guère qu'une sorte de couronne civi

que décernée à quelque trahison. Je penche à faire de cas des hommes qui travaillent pour la conpeu quérir ou pour la conserver; je refuse de me prèter à leurs calculs. Comme citoyen, je retiens le droit de parler selon ma conscience, quoi que veuille me dicter ou m'interdire la bête populaire. Que la société en soit ou non troublée, ce n'est point mon affaire. Si j'ai gardé les lois, je ne reconnais plus à la société que le devoir de défendre ma liberté dans les limites où elle a voulu la circonscrire. Quant à la bête populaire, qu'elle se contente du pouvoir de m'écraser. Je me rangeai derrière Montalembert, parce qu'il avait ce fier sentiment de la dignité du chrétien et du citoyen. Défendant uniquement la liberté de l'Église et subordonnant tout à cette cause absolument juste, il faisait ce qu'il fallait faire pour sauver dans le monde ce qui n'a pas mérité de périr, et pour restaurer le seul principe social qui puisse réparer tout.

Ce but si nécessaire et si laborieux, auquel M. de Montalembert dévouait son avenir déjà brillant, les rédacteurs de l'Univers lui avaient dévoué leur obscurité. Lorsqu'ils me firent l'honneur de m'accueillir, ils étaient impopulaires aussi, quoique inconnus. L'Univers possédait son mauvais renom de journal << fanatique. » Le petit Français n'invente pas les enfances qu'il débite; je connais la nourrice qui lui a présenté le biberon. En 1842, elle avait des élèves plus vieux que nous, qui marmottaient ces maximes

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