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d'honneur aux hypothèses, plus ingénieuses que solides, sur lesquelles reposent les Lettres de Bailly. Toutefois, le ton d'urbanité qui règne dans sa discussion, l'érudition qui s'y montre sans pédantisme, la gaieté décente qui tempère, sans l'altérer, la gravité du sujet, assurent du moins à cet écrit polémique une place distinguée dans notre littérature, et Voltaire, vivant encore, eût applaudi lui-même à l'adversaire spirituel et poli qui ne combattait ses opinions qu'en se prosternant devant son génie.

Peu s'en fallut que les Lettres sur l'Atlantide, en ajoutant à la réputation de leur auteur, n'attirassent sur lui une persécution dangereuse. On ne savait pas encore en France que la législation ne doit jamais, sous peine de tyrannie et d'absurdité, interdire l'examen et commander la croyance, parce que, hors des mathématiques, il n'est pas d'objet sur lequel l'esprit humain puisse se croire à l'abri de l'erreur; parce que défendre la discussion, c'est bien souvent protéger le faux contre le vrai, et prostituer la sanction légale aux préjugés du législateur. Un journaliste accusa Bailly d'avoir substitué sa cosmogonie à la cosmogonie de Moïse. L'accusation pouvait avoir des conséquences graves; déjà le livre et l'auteur étaient menacés d'un réquisitoire. Pour conjurer l'orage, Bailly usa d'un moyen qui, dans une occasion semblable, avait déjà réussi à Sainte-Foix : il dénonça lui-même son dénonciateur, et suivit avec tant de vigueur sa plainte en calomnie, que le garde-dessceaux intima au journaliste l'ordre de se rétracter. Grâces à cette injonction, l'affaire n'alla pas plus loin.

Il eût été d'autant plus injuste de persécuter Bailly, que ce philosophe, modéré par caractère plus encore

que par prudence, s'était imposé, dans sa conduite et dans ses écrits, une circonspection que des esprits plus ardens traitaient de faiblesse. Lié avec les auteurs de l'Encyclopédie, partisan de leurs doctrines, il avait pourtant refusé de concourir à ce grand ouvrage, que l'autorité ne voyait point avec faveur. On prétend même qu'assez long-temps il reçut du gouvernement une pension connue sous le nom de prix de sagesse, dont le ministère avait coutume de récompenser la docilité des écrivains, que Batteux sut conserver après l'avoir obtenue, et dont Thomas, plus indépendant, mérita d'être privé. Ce qui paraît plus certain, c'est que la bienveillance du gouvernement ouvrit à l'historien de l'astronomie les portes de l'Académie des inscriptions, et plus tard celles de l'Académie française (1), où Bailly fut appelé à succéder au comte de Tressan. Il se trouva ainsi membre des trois académies. On a cru qu'en briguant cette triple distinction, Bailly s'était proposé de balancer les titres de Condorcet, son concurrent pour la place de secrétaire de l'Académie des sciences : le caractère de Bailly, trop simple pour se prêter à ces manoeuvres, rend la supposition peu vraisemblable. Quoi qu'il en soit, Condorcet, appuyé par le crédit de D'Alembert, obtint la préférence. L'Académie ne pouvait que s'honorer par l'un ou l'autre choix aussi, : D'Alembert répétait-il souvent dans les réunions académiques : « Si Condorcet n'était pas mon ami, c'est Bailly » qui mériterait d'être notre secrétaire. »

La même année qui vit l'entrée de Bailly à l'Académie française fut également pour lui l'époque d'une com

(1) En 1784.

mission fort délicate. Il s'agissait de vérifier la découverte de Mesmer, devenue de nos jours un objet d'examen et de réflexions sérieuses pour les hommes les plus éclairés, mais alors mal présentée et mal connue, entourée d'un appareil de charlatanisme qui la rendait suspecte aux yeux des sages, et d'ailleurs en butte aux préventions d'un ministre qui n'aimait point Mesmer. Bailly fut chargé d'examiner, avec d'autres commissaires, les phénomènes du magnétisme animal : malgré l'influence défavorable au professeur allemand, son rapport fut un chef-d'œuvre d'indépendance et d'impartialité. Ce rapport lui fit le plus grand honneur dans l'opinion publique.

Parmi les commissaires se trouvait Franklin, célèbre dans l'histoire des sciences et dans l'histoire de la liberté. Franklin était lié avec Bailly: leur connaissance avait commencé d'une manière fort singulière. Bailly avait une maison de campagne à Chaillot ; c'était là qu'il se retirait souvent pour travailler en liberté. Le hasard conduisit également à Chaillot le philosophe américain. Bailly, apprenant son arrivée, n'a rien de plus pressé que d'aller lui rendre visite. Il entre chez Franklin, qui le connaissait de réputation, et qui le reçoit de l'air le plus cordial. « Bonjour, Monsieur Franklin; comment » vous portez-vous? - Fort bien, Monsieur. » Après ces premier mots, Bailly s'assied à côté de Franklin, et, craignant d'être indiscret en lui adressant une seconde question, attend que son hôte prenne la parole. Franklin, naturellement silencieux, plus silencieux encore en sa qualité d'ambassadeur, n'ouvre pas la bouche. Après un silence assez long, Bailly, pour entamer la conversation, offre à Franklin une prise de tabac; Franklin fait signe

de la main qu'il n'en prend point. Cette muette entrevue dura environ deux heures : enfin, Bailly se lève, Franklin le reconduit, lui serre la main en répétant cès seuls mots fort bien. Telle fut l'origine des relations de ces deux hommes célèbres. Bailly aimait à raconter cette anecdote, et disait souvent que fort bien étaient les seuls mots qu'il eût jamais obtenus de Franklin, lorsqu'il se trouvait têté à tête avec lui.

En 1786, l'Académie des sciences désigna des commissaires pour l'examen d'un projet relatif à la construction d'un nouvel Hôtel-Dieu. Bailly, nommé l'un des commissaires, fut encore chargé du rapport. Il déploya, dans cette nouvelle tâche, autant de lumières et de connaissances que de philanthropie (1). Ses vues, dictées par l'humanité la plus pure et la plus éclairée, avaient obtenu l'approbation du gouvernement, lorsque la révolution vint en arrêter l'accomplissement.

Déjà s'avançait cette révolution qui lui préparait une si vaste carrière de gloire et d'infortune. Depuis le règne de Louis XIV, la société avait fait un progrès immense; étranger à la marche du siècle, le gouvernement seul était resté immobile, et ce désaccord des moeurs et des institutions, de l'esprit public et de l'administration, présageait une secousse violente, à moins que l'autorité elle-même ne se hâtât de prévenir les exigences de l'opinion. Turgot et Malesherbes, ministres trop peu de temps, avaient ouvert la route des réformes sans pouvoir la parcourir toute entière; leurs faibles successeurs, un seul excepté, avaient abandonné leurs traces. Enfin les besoins de l'État, la rivalité des pou

(1) Le Rapport sur l'Hôtel-Dieu parut imprimé en 1787.

voirs, avaient amené la résolution que la raison seule aurait peut-être long-temps encore sollicitée en vain. La nation venait de recouvrer ses droits; l'opinion publique allait recouvrer ses organes.

Appelés par le vœu de la France entière, solennellement promis par le monarque, les états-généraux allaient enfin s'ouvrir : après deux siècles d'intervalle, la représentation nationale allait s'assembler encore, et sa réunion, si long-temps désirée, promettait à la nation attentive la réforme des abus qu'un long arbitraire avait accumulés. Le tiers-état, d'abord exclus des assemblées législatives, ensuite admis dans une proportion insignifiante, avait obtenu dans les nouveaux états une représentation égale en nombre à celle des deux autres ordres, et cette première concession, qui semblait entraîner comme une conséquence nécessaire la délibération par tête, présageait le triomphe du droit sur le privilége. Les Français étaient loin de s'attendre qu'une conquête si légitime dût être achetée par de si sanglans combats et de si déplorables catastrophes. L'espérance et l'allégresse étaient dans tous les cœurs. Voilà sous quels auspices s'ouvrirent les assemblées électorales.

Les districts de Paris s'assemblèrent le 21 avril 1789. On voit, dans les Mémoires de Bailly, l'impression qu'il ressentit en entrant, pour la première fois, dans une réunion de citoyens appelés, après une suspension si longue, à l'exercice des droits politiques : il crut respirer un air nouveau. Son caractère, universellement estimé, attira sur lui tous les suffrages; il fut nommé, le premier, électeur de son district. Peu de jours après (le 26 avril), l'assemblée des électeurs le choisit pour son secrétaire; le 12 mai, cette même assemblée le

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