Sayfadaki görseller
PDF
ePub

la réaction thermidorienne à Paris ont eu pour principale source des mémoires rédigés longtemps après les événements, sur des souvenirs forcément inexacts, surtout quant à la chronologie des impressions successives, et non pas sous le coup des sensations du jour.

Ces sensations quotidiennes, dont la notation est indispensable pour décrire véridiquement les vicissitudes de l'esprit public dans cette ville de Paris, qui était alors vraiment une ville et une capitale, il n'est guère possible d'en trouver une image authentique que dans deux sortes de témoignages, trop peu consultés par les historiens jusqu'ici, à savoir les journaux quotidiens et les rapports de police ou administratifs. Sans doute les journaux sont autant de pamphlets, et le fait divers y est rare, surtout au lendemain du 9 thermidor; mais, peu à peu, la liberté de la presse devenant enfin une réalité, les gazetiers, sans se faire déjà reporters, mêlent plus de récits et de descriptions à leurs diatribes, et, si l'on est patient, on arrive à entrevoir, dans les articles trop belliqueux et dans les narrations trop académiques des « papiers-nouvelles », la figure, le costume et les gestes des Parisiens de 1794 et de 1795, l'aspect de la rue, le Palais-Royal, les cafés, les salons, les faubourgs. Les rapports de police n'ont presque rien de policier, en ce sens qu'ils n'ont pas pour objet de moucharder bêtement et calomnieusement des ennemis du gouvernement, et aussi ne sont-ils pas l'œuvre de mouchards. D'hon

nêtes gens les rédigent, à savoir les membres de la << Commission de police administrative de la Commune de Paris ». Cette Commission a été nommée par la Convention, pour remplacer la municipalité élue, guillotinée comme robespierriste. Remplacer, c'est trop dire: elle n'a pr sque aucun pouvoir, les Comités de gouvernement ayant reçu la charge d'administrer directement Paris. Ses fonctions sont principalement d'observer et de noter ce qu'elle observe. C'est une agence de renseignements, et elle remplit ce rôle avec un zèle, non seulement civique, mais impartial et (semble-t-il) perspicace. Les inspecteurs de police et les officiers de paix, dont les bulletins lui servent à faire son rapport général quotidien, ont tout l'air de braves gens qui cherchent à bien voir tout ce qui se passe, à saisir et à transmettre tous les éléments de l'esprit public, sans flatter ni un homme ni une idée. Au milieu des passions déchaînées, ces agents se forment une sorte d'esprit critique, et ce n'est pas seulement au gouvernement d'alors, c'est aussi à l'histoire qu'ils se trouvent rendre un précieux service, par leurs récits patients et minutieux du train quotidien de la vie parisienne. Ils rectifient et complètent les gazettes, et celles-ci peuvent servir à colorer leurs récits par des traits de passion, par une image plus vive de la lutte des partis. Je n'ai pas du tout l'intention, en ces quelques pages, de dégager de ces deux sources, rapports et journaux, le tableau du Paris thermidorien qu'elles contiennent: je vou

drais seulement montrer, par des exemples, quel profit un historien habile en pourrait tirer.

I

Dans les anciens récits de la réaction thermidorienne à Paris, on voit surtout la rixe quotidienne des montagnards et des modérés, les muscadins, les collets verts et noirs, les cadenettes retroussées, la belle Cabarrus. Dans les sources que je signale, on voit aussi ces choses et ces personnes, et je les y montrerai, mais on y voit d'abord et surtout la famine. Paris a faim, Paris ne mange pas à sa suffisance, Paris se meurt d'inanition: voilà, dans les journaux et les rapports, le fond de l'histoire de Paris depuis la chute de Robespierre. Paris se résignera-t-il à mourir de faim? Paris se révolterat-il pour avoir du pain? C'est le problème qu'agitent les journaux et les rapports. C'est la grande question, l'obsédante et perpétuelle question : toutes les autres sont présentées comme en dérivant, ou comme y étant subordonnées.

Ainsi, d'après les rapports, pourquoi les ouvriers parisiens avaient-ils laissé faire le 9 Thermidor? Pourquoi n'avaient-ils pas défendu victorieusement ce Robespierre, leur idole? Parce que, le 5 thermidor, la commune robespierriste avait publié un tarif du maximum des journées de travail, tarif

injuste, impopulaire, en ce qu'on ne l'avait pas établi sur le maximum du prix des comestibles et des objets de première nécessité. Quand les municipaux passèrent en charrette pour aller à la guillotine, les ouvriers les huèrent en criant : F... maximum ! Le 13 thermidor, le Comité de salut public fit une proclamation pour dire « qu'il allait s'occuper des moyens propres à rectifier cette opération, afin que le prix de la journée de travail puisse être proportionné à celui des subsistances ». Cette promesse, qui d'ailleurs ne fut pas tenue, suffit à tranquilliser les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau.

La patience des ouvriers fut très grande, et ils ne témoignèrent nulle hostilité au gouvernement thermidorien, tant qu'ils eurent du pain. Ils se soumirent sans trop de murmures au décret du 4 fructidor an II, qui supprimait l'allocation de quarante sous par jour accordée, sous Robespierre, aux citoyens indigents pour leur permettre d'assister aux assemblées de section. Quand, le 16 frimaire an III, le Comité de salut public, en arrêtant que la fabrication et la réparation des fusils à Paris seraient entièrement à l'entreprise, jeta sur le pavé les nombreux ouvriers que la République employait à cet effet dans ses ateliers, on craignit une sédition, et des patrouilles nombreuses parcoururent les rues. Une partie des ouvriers congédiés se réunirent pour protester; mais leur protestation ne fut pas écoutée, et ils se soumirent avec un calme parfait sans écouter

les muscadins, qui voulaient les rallier à leurs bandes militantes. Les lois qui interdisaient aux ouvriers toute coalition, toute grève, furent appliquées sans difficulté, comme le montre l'échec, au milieu de l'indifférence publique, des tentatives de grève des garçons boulangers (fructidor an II et vendémiaire an III), des ouvriers des messageries (vendémiaire an III), des allumeurs de réverbères (ventôse an III). Les inspecteurs signalent tous un bon esprit gouvernemental dans le peuple laborieux, pendant les six premiers mois qui suivirent la chute de Robespierre.

Pourquoi cet esprit des ouvriers, si docile, si résigné, si soumis à la Convention et aux Comités à la fin de 1794, se changea-t-il, presque brusquement, au début de l'année 1795, en un esprit d'opposition, de rébellion, sinon chez tous, du moins chez quelques-uns, qui vont, à deux reprises, entraîner les autres? Sont-ce les robespierristes qui prennent leur revanche? Le Courrier républicain dit que, le 27 ventôse an III, les bons citoyens dispersèrent, aux Tuileries, des goupes où « des tricoteuses de Robespierre parlaient du règne de leur bon ami, qu'elle trouvaient très salutaire, et où des hommes à grands sabres, qui leur avaient sans doute servi de souteneurs dans quelques lieux que la décence ne permet pas de nommer, appuyaient ou partageaient les discours de ces femelles carnivores ». Mais ce n'est pas dans les faubourgs que se montrent ces prétendues tricoteuses, et les inspec

« ÖncekiDevam »