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LA PEUR DE L'ENFANT

DANS LES CLASSES DIRIGEANTES (1)

Des dix plaies qui désolèrent l'Égypte, celle qui mit le comble à l'épouvante de la nation, et arracha à l'obstination du Pharaon l'édit libérateur d'Israël, fut le coup porté à la population par l'extermination des premiers-nés. En ces temps-là, les époux n'entrevoyaient pas de perspective plus délicieuse que des fils et des filles leur faisant une couronne d'honneur et se pressant autour de leur table, comme les jeunes pousses au pied de l'olivier. Qui, alors, eût prévu des jours où une pluie de sauterelles semblerait plus redoutable que la disparition des enfants, où, prévenant les coups d'un glaive vengeur, des instigations criminelles et contre nature mettraient à la mode le dépeuplement volontaire des foyers?

Le mal cependant ne date pas d'hier: on en trouve des traces dans la Bible, et la Grèce en souffrit au Iv° siècle avant notre ère. Sparte, notamment, connut ce que nous appellerions aujourd'hui une crise de la famille, et même une crise du mariage, que le Gouvernement essaya vainement d'enrayer par des faveurs légales trois enfants libéraient les citoyens de certaines corvées; quatre, les affranchissaient de tout

(1) Conférence faite à l'assemblée générale de la Société scientifique le 22 avril 1909.

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impôt (1). Quant aux esclaves, ils étaient en cela comme en tout le reste à la merci de leur maître.

A son tour, Rome, amollie par un paganisme égoïste et jouisseur, trouva dans l'opulence même le principe de sa ruine elle n'eut plus ni la force d'aimer que demande l'union conjugale, ni la force d'élever les enfants qui en sont le fruit; et l'empereur Auguste fit une tentative inutile pour multiplier les mariages et accroître les familles (2).

La préoccupation de maintenir, dans leurs républiques idéales, soit l'aisance moyenne qu'ils prétendaient assurer à tous les citoyens, soit l'égalité des biens qui devait, pensaient-ils, prévenir tous les conflits sociaux, inspira aux deux plus illustres philosophes de l'antiquité, des vues et des conseils opposés aux familles nombreuses. Platon charge le pouvoir souverain de veiller efficacement à ce que dans son Etat idéal le nombre des foyers demeure invariablement le même (3); Aristote réglemente l'âge du mariage, et les conditions qui permettent de laisser la vie aux enfants (4). Infatuation statique, qu'excuse l'enfance de la science économique, mais qui s'égarait en cherchant l'ordre et la paix où elle ne pouvait trouver que la paralysie, la corruption et la mort.

Sous une image qui serait plaisante, si la réalité n'était si triste, un poète ovidien de quelque mérite nous a dépeint la peur de l'enfant dans la Rome décadente. C'est la «< complainte d'un vieux noyer » (5).

Jadis, en des temps meilleurs, les arbres rivali

(1) P. Guiraud. La population de la Grèce ancienne. REVUE DE PARIS, 1 novembre 1904.

(2) Lex Julia, de ordinibus maritandis, à joindre à la Ler Papia Poppaea. (3) Les lois, 1. 5, c. 8-10.

(4) Voy. Pöhlmann. Geschichte des antiken Komunismus und Socialismus, t. I, p. 601 ss.

(5) Nux. L'élégie fut publiée parmi les œuvres d'Ovide. L'auteur, dont le nom est inconnu, appartient au siècle d'Auguste.

saient de fécondité; et au moment de la récolte, les propriétaires déposaient sur le front des dieux champêtres des couronnes de reconnaissance. Maintenant, la vogue est au platane, dont l'ombre est épaisse, mais stérile. Et moi, pauvre noyer, planté au bord du chemin, je me vois traité en malfaiteur. On me lapide; les coups de gaule pleuvent dru sur ma ramée. Quel est donc mon crime? Je m'obstine à porter des noix. »

On l'aura remarqué, dans la société antique, la peur de l'enfant n'est liée à aucun danger de surpopulation: l'Italie se dérobe aux charges de la famille, alors qu'elle constate chez elle une forte baisse de la population. Les influences contraires à la natalité résident dans les spéculations politiques de théoriciens philosophes, dans la tyrannie oppressive des maîtres, et dans la paresse égoïste de citoyens démoralisés.

Les barbares qui se ruent sur l'empire romain ignorent, dans leur vigoureuse rudesse, les raffinements et les vices des sociétés décrépites. Ils sont trop jeunes pour ne pas aimer à répandre la vie; et par leurs incursions, les batailles qu'ils livrent, la résistance qu'ils rendent nécessaire, ils obligent les provinces qu'ils envahissent à se préparer des guerriers en multipliant les enfants.

Au moyen age, deux ennemis de la vie humaine, la guerre et la peste, ravagent l'Europe et lui font redouter le vide bien plus que le trop plein. La seule peste noire, qui sévit de 1346 à 1353, retrancha 23 millions d'hommes à l'Asie, et mit à peine trois ans pour enlever à l'Europe 25 millions d'habitants : plus d'un siècle fut nécessaire pour combler pareil déficit.

On observe, d'ailleurs, au cours du moyen âge et de l'époque moderne, de grandes fluctuations dans le peuplement des mêmes contrées. Ainsi l'Allemagne d'avant la Réforme possédait quelque vingt millions d'habi

tants (1) la guerre de trente ans et les luttes du XVIe siècle lui en ravirent la moitié.

Et même sans tenir compte de pareilles vicissitudes, si l'on songe, qu'à la fin du XVIIe siècle, l'Angleterre, avec le pays de Galles et l'Écosse (sans l'Irlande, qui avait alors 6 800 000 àmes) comptait, en chiffres ronds, 10 500 000 habitants (2); l'Italie, 19 000 000 (3); l'Allemagne, 24 500 000 (4); la France, 25 ou 26 millions (5); les Etats-Unis d'Amérique, 5 500 000 (6); la Belgique, 3 800 000 (7), l'on conclura sans peine que, jusqu'à l'aurore du XIXe siècle, la surpopulation n'avait donné ni aux hommes de science, ni aux hommes de loi, aucun sujet sérieux d'inquiétude actuelle ou prochaine.

Bien au contraire, pressés d'avoir des soldats pour leurs armées et des ouvriers pour leurs manufactures, les Gouvernements cherchent à accélérer le peuplement. Ils veulent des enfants, légitimes ou non; ils veulent des mariages précoces. Louis XIV exemptait d'impôts quiconque se mariait avant vingt ans et élevait dix enfants. C'était une maxime de Frédéric II. que le nombre des peuples fait la richesse des États » (8) ; et tandis que, sur la proposition de Pitt, le Parlement anglais votait un bill en faveur des familles nombreuses, Napoléon I promettait à tout père de famille ayant sept fils, d'en élever un aux frais de l'État ; le septième fils recevait un cadeau à son baptême, comme maintenant

(1) H. Pesch. Lehrbuch der national Oekonomie, t. II, n. 128, p. 548. (2) Recensement officiel décennal, reproduit notamment dans le WHITACKER'S ALMANACH FOR 1909.

(3) Galanti. Geografia, 1816, p. 212 ss.

(4) Conrad. Handwörterbuch der Staatswissenschaften, Bevölkerungswesen, p. 763.

(5) L'Abbé Espilly, chez Feller, I, p. 147 note, donne 20-25 millions. L'ANNUAIRE DU BUREAU DES LONGITUDES donne, entre 1800 et 1810, une population moyenne de 28 900 000.

(6) Recensements officiels parus notamment dans le WORLD.

(7) Delplace. La Belgique sous la domination française, I, p. 147, note 1. (8) (Euvres de Frédéric le Grand, IV, 4. Mémoires de 1763-1775, VI, 82.

pour

encore, en Belgique, il a l'honneur d'avoir le Roi parrain. Nous trouvons donc, sans étonnement, dans le traité politique qu'un conseiller du roi de Prusse, H. Beausobre, écrivait au début du XVIe siècle, jusqu'à vingt recettes pour augmenter la population (1).

Seuls, des politiciens philosophes, n'ayant pas à régenter des nations militaires, tel un Machiavel (14691527), regrettent un peuplement de la terre qu'ils. s'imaginent déjà excessif. Il faut leur joindre les énergumènes de la Révolution française. Selon Collot d'Herbois, << la transpiration politique devait être assez abondante, pour ne s'arrêter qu'après la destruction de 12 à 15 millions de Français ». On trouve cette note dans le journal de Guffroy, LE ROUGIFF: « Que la guillotine soit en permanence dans toute la république. La France aura assez de cinq millions d'habitants (2). »

Dans le courant du XIXe siècle, les accroissements de la population semblent tenir du prodige. L'Angleterre, le pays de Galles et l'Écosse passent de 10500000 à 33 millions d'habitants; l'Italie, de 19 à 32 millions et demi; la France, de 25 à 38 millions. Les 20 millions de l'Allemagne deviennent 60 millions; les 3 800 000 de la Belgique se changent en 7 millions; et, par un bond formidable, la population des Etats-Unis saute de 5308 484, au début du siècle, à 76 303 387 habitants en 1900.

Tel est, pour l'Amérique, l'effet principalement de l'immigration; telle est, pour l'ensemble de l'Europe, la merveille réalisée par deux sciences qui semblent opposées : la médecine qui guérit et la guerre qui tue. Proposition paradoxale, mais qui se justifie aisément :

(1) Telle est la tendance générale, exceptionnellement contrariée par quelques mesures restrictives de la nuptialité dans certains États d'Allemagne, en Bavière, et même dans certains cantons suisses. Voy. Conrad. Handwörterbuch, pp. 737-741.

(2) Taine. Les origines de la France contemporaine. La Révolution. t. 3, Le Gouvernement révolutionnaire, pp. 393-394.

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