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Louis XVI monta sur le trône en 1774; alors les lois n'étaient point l'expression de la volonté générale, et n'avaient que trop rarement pour but la satisfaction des intérêts du peuple. Le roi se trouvait, avec ses courtisans, le seul législateur: il n'y avait qu'arbitraire et provisoire. Le royaume était divisé en provinces dans l'ordre politique; en gouvernements dans l'ordre militaire; en diocèses dans l'ordre ecclésiastique; en bailliages et ressorts de parlements dans l'ordre judiciaire; en généralités dans l'ordre administratif dans l'ordre des contributions, on comptait des divisions encore plus nombreuses. Par conséquent, chaque localité était tiraillée par huit ou dix régimes différents ou opposés, variant à chaque instant dans le choc des passions individuelles.

Les priviléges particuliers, les barrières des villes, les péages multipliés, les douanes intérieures, entravaient le commerce et l'industrie. Une pièce d'étoffe, fabriquée dans le nord de la France, n'arrivait dans le midi qu'après avoir payé des droits onéreux dans chacune des sept provinces qu'elle traversait.

Le roi, les grands, disposaient arbitrairement de la liberté des citoyens. Quand un homme leur déplaisait, il était enlevé sans aucune forme de procès, jeté à la Bastille ou dans un autre cachot. Là, il passait quelquefois sa vie entière dans l'isolement et l'oubli absolus.

La population était d'environ vingt-cinq millions

d'habitants, divisés en trois ordres : le clergé, la noblesse et le tiers-état. Le premier comprenait soixante mille religieux ou religieuses et quatre-vingt mille prêtres. La noblesse était composée de quatre-vingttrois mille individus. Le tiers-état, qui comptait vingt-quatre millions huit cent mille personnes, formait le troisième ou dernier ordre.

Le clergé, dont les vertus avaient illustré les premiers siècles, avait oublié sa mission. On n'embrassait plus la carrière ecclésiastique par une vocation sainte, mais par amour de l'oisiveté et des richesses. Les évêchés, les abbayes, toujours très-lucratifs, ne se donnaient qu'aux plus habiles courtisans. La plupart des évêques touchaient les revenus de leurs places sans en remplir les fonctions, et vivaient dans la plus fastueuse débauche. Les moines surtout, malgré leurs vœux de pauvreté et de chasteté, donnaient l'exemple des vices les plus scandaleux. Sans honte et sans conscience, ils retenaient à leur profit les biens que la piété des hommes leur avait confiés pour le soulagement des pauvres.

En 1788, le clergé possédait, rien qu'en immeubles, près de quatre milliards; il prélevait, en outre, sur le peuple une contribution appelée dîme2, qui s'é

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2 L'obligation de payer la dîme avait pour origine la supposition insérée dans un capitulaire du synode de Francfort, en 794, que le diable, ayant dévoré les épis de blé de ceux qui ne voulaient pas la payer, avait ainsi causé une famine (Baluze).

levait au cinquième, quelquefois au tiers, du revenu net des terres, et qui produisait une somme de 80 millions par an. En outre, il vendait tous les actes de son ministère.

La morale des évêques et des abbés se ressentait de leur vie dissolue; ils n'étaient plus les vengeurs des opprimés, la lumière des peuples et des princes ; ils aidaient ceux-ci à dépouiller les pauvres, et prêchaient une soumission aveugle au despotisme. Ils avaient besoin des abus de la monarchie qui maintenait les abus de l'Église. Toutefois il y avait dans le clergé beaucoup d'hommes charitables, éclairés et pieux, victimes de l'orgueil et souvent de la cupidité de leurs supérieurs; c'étaient, pour la plupart, des curés de campagne, végétant dans la pauvreté à côté de riches bénéficiers, qui, par dédain, leur donnaient le nom de bas-clergé. Ainsi, la fraternité évangélique se voyait méconnue par ses principaux ministres, qui déshonoraient l'Église en l'asservissant; là, comme partout, une minorité aristocratique dominait.

Plus grande encore était la décadence de la noblesse. Les nobles, qui jadis avaient servi la patrie en combattant pour elle, passaient maintenant leur vie au jeu et dans la débauche; ils exigeaient en outre de leurs vasseaux des droits féodaux les plus absurdes et les plus humiliants, tels que ceux de mainmorte, corvées, banalités, etc. 1.

1 Des paysans étaient obligés tantôt de battre les étangs pendant

Le progrès des mœurs avait, à la vérité, fait tomber en désuétude plusieurs de ces droits féodaux dans une foule de localités; mais il en subsistait encore assez pour l'humiliation et la misère du tiers-état. Lorsque des malheureux réclamaient contre tant de charges, les intendants, les procureurs fiscaux, leur intentaient des procès toujours gagnés par les seigneurs'.

Le roi n'admettait aux grades de l'armée que des nobles, de sorte que les braves soldats de la France, sans aucun espoir d'avancement, se voyaient souvent commandés par les moins dignes, et non par ceux qu'avait distingués le talent ou le courage.

Les places de la magistrature, vénales et héréditaires, devenaient souvent le partage des intrigants, des fils de parvenus et des maltôtiers. L'esprit de corps, dans la magistrature, avait étouffé tout autre sentiment, au point qu'il était presque impossible de soutenir un procès contre l'un de ses membres. Malheur à l'accusé s'il était l'ennemi d'un juge ou de sa famille! on le condamnait, quoique innocent. Il n'était pas nécessaire d'être convaincu d'un crime pour en subir le châtiment; il suffisait d'être « véhémentement soupçonné. » En outre, on soumettait les prévenus à la question et à la torture. Les juges appliquaient arla nuit pour empêcher les grenouilles de troubler le sommeil de leurs seigneurs, tantôt de s'atteler à leurs charrettes, de souffrir la dévastation des champs par le gibier et les chiens de chasse, de payer enfin des cens et des impôts de toute nature.

1 Rapport du marquis de Montesquiou.

bitrairement les peines selon leur caprice, ils infligeaient à l'accusé une simple amende ou la mort. La pénalité se mesurait à la qualité du contribuable: atroce contre les roturiers, faible contre les nobles convaincus des mêmes délits.

Les degrés de juridiction étaient tellement multipliés, qu'il y en avait, dans beaucoup de cas, jusqu'à six, et qu'il fallait postuler plusieurs années la solution du moindre procès. Souvent les plus habiles jurisconsultes étaient indécis sur la compétence du tribunal appelé à connaître d'une affaire. On comptait des juges civils, des juges criminels, des juges ecclésiastiques, et une foule de tribunaux d'exception. Il

y

avait des tribunaux comme des délits privilégiés; de sorte que les nobles, même demandeurs, pouvaient distraire leur adversaire de ses juges naturels pour l'appeler devant le tribunal de leur propre domicile.

II. La noblesse possédait la moitié du territoire, sans contribuer en aucune façon aux charges de l'État. Le clergé n'y contribuait pas davantage; il avait, à la vérité, fait quelquefois des dons volontaires, mais nullement proportionnés à ses richesses. Tout le fardeau retombait sur le tiers-état, qui, après avoir payé la dîme, les droits féodaux, les plaisirs de la cour, était obligé d'entretenir les armées, la marine, l'administration.

Des contributions aussi vexatoires ne pouvaient être protégées que par une législation barbare: les traitants, les employés des fermes et de la régie acca

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