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expériences personnelles. D'autres contemplatifs ont consigné, dans des Notes spirituelles ou dans des Autobiographies, les événements de leur vie intérieure: S. Jean de la Croix ne se raconte nulle part. Cependant les témoins de sa vie nous le représentent comme un homme de sublime oraison; et dans ses écrits théoriques, « nous devinons le prolongement d'une expérience » (p. 231). Serait-il téméraire de chercher à préciser cette dernière impression, en discernant çà et là, sous la plume du Docteur, la résonance immédiate de ses états d'âme ? M. B. ne désespère pas de réussir, en quelque mesure, cette auscultation délicate; il nous dit, en deux chapitres originaux, le secret de sa méthode. S. Jean de la Croix, on le sait, est un théologienpoète, qui greffe tous ses développements doctrinaux sur les thèmes lyriques enfermés dans les strophes de ses fameuses Canciones. Or, si le théologien utilise largement l'expérience d'autrui, les données traditionnelles et l'Écriture sainte, en revanche le poète ne nous livrerait-il pas directement une expérience intime? Il faut évidemment distinguer ce qui, dans les « Cantiques », serait thème emprunté, ou bien allégorie voulue, didactique, de ce qui est métaphore spontanément jaillie ou symbolisme profond et universel comme le rythme vital de l'esprit. Cette analyse esthétique, pratiquée par M. B. avec une ingéniosité sinueuse qui répugne à se fixer dans une affirmation catégorique, n'amène, avouons-le, que des conclusions assez vagues. Ce n'est point, du reste, à la précision de celles-ci qu'on mesurera la valeur de l'effort critique déployé : il se justifierait par le seul avantage de nous avoir fait goûter la sensibilité exquise ou brûlante de l'austère mystique. Après cela, l'on peut se demander encore si l'intention didactique et la convention littéraire n'eurent pas sur la rédaction des Canciones une influence plus grande que ne croit M. B.

Le Livre IV, dégageant « la synthèse doctrinale »> renfermée dans les Traités de S. Jean de la Croix, constituerait, à lui seul, un appréciable volume (pp. 375-709). L'exposé se distribue en quatre longs chapitres, qui répondent aux quatre grandes étapes de l'âme entrée dans la voie mystique: 1o « La négation initiale » de tout le sensible : « élaboration d'une nouvelle perception du monde » (p. 377). 2o « La cri

tique des appréhensions distinctes », c'est-à-dire « l'élaboration d'une pensée neuve », libre de tout mode défini (Ibid.). 3o « L'expérience abyssale », procurant, par delà les distinctions de la conscience ordinaire, « la régénération psychique... et la lente divinisation de l'être purifié » (Ibid.). 4o Enfin, « l'état théopathique », « épanouissement en nous d'une vie divine », accompagné d'un regard nouveau « sur un univers retrouvé » en sa substantialité vraie (Ibid.).

Il est superflu d'insister sur l'intérêt psychologique et métapsychologique d'un pareil programme. L'effort consciencieux et sympathique de l'auteur pour comprendre la pensée du Saint n'est jamais infructueux ni banal. M. B. ne prétend certes pas avoir résolu les nombreux problèmes que soulève l'interprétation de la doctrine analysée. Mais que ses pages, abondamment documentées, pleines de notations fines, puissent aider beaucoup à l'intelligence du texte de S. Jean de la Croix, et se rangent parmi les instruments de travail désormais indispensables pour l'étude du Maître espagnol, nous sommes heureux de le proclamer.

Ne dissimulons pas, d'ailleurs, que nous devrions, si les limites de ce compte rendu le permettaient, formuler des réserves sur plusieurs points (1). Nous exprimerons seulement deux desiderata généraux. D'abord, le développement de ce beau travail gagnerait à être plus serré et plus net nous songeons aux Livres III et IV. Ensuite et ceci nous paraît plus grave -M. B. a-t-il saisi complètement certaines nuances communes à tous les contemplatifs catholiques, sans en excepter S. Jean de la Croix ? Chez eux, la dévotion au Verbe incarné, la participation à la grâce sacramentaire, l'assimilation de la formule dogmatique et l'appartenance à l'Église visible s'insèrent au coeur de la religion personnelle loin d'être seulement des obligations extérieures, que le contemplatif subit sans en vivre, elles constituent sa vie surnaturelle même dans le corps mystique

(1) Celles mêmes qu'appelleraient aussi quelques-unes des Notes, très intéressantes, ajoutées par M. B. à son édition des Aphorismes de S. Jean de la Croix (BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES HISPANIQUES, fasc. IX, 1924).

du Christ. Dira-t-on que les écrits du moine espagnol sont bien sobres là-dessus ? Qu'importe ? il y a des choses qui vont de soi, même lorsque les textes ne les soulignent pas d'un trait appuyé.

On a l'impression que M. B. n'attribue pas toute leur valeur aux facteurs spécifiquement catholiques de l'ascension mystique. La cause en est peut-être qu'il considère trop S. Jean de la Croix à travers un idéal fort élevé, sans doute d'esthète et de philosophe : un idéal surhumain (plutôt que surnaturel) d'intellectualité pure. L'idéal de la Mystique chrétienne, tel que l'entend la tradition catholique, est à la fois plus foncièrement divin et plus simplement humain. Nous croyons, par exemple, que notre Saint, poursuivant uniquement et humblement l'amour surnaturel de Dieu, n'eut qu'un souci très secondaire d'art et de métaphysique. Il aurait éprouvé quelque inquiétude (ou quelque amusement) à s'entendre qualifier d'âme « hautaine » (au sens noble de ce mot) et même aurait trouvé excessive, de la part de son biographe, une certaine préoccupation artistique de la dramatisation intérieure, du « tragique » d'âme. Ou bien encore, il eût malaisément partagé l'« irritation >> (si fréquente) de M. B. devant des « platitudes » littéraires ou des naïvetés dévotes parfaitement inoffensives. Ou bien enfin - et ceci pourrait prendre une signification exégétique — il eût, plus facilement que ne croit son critique, admis, effectué même, dans un esprit de paix et de modestie, ou pour le bien majeur des âmes, les remaniements, parfois inesthétiques, qu'ont subis ses premiers manuscrits. Un saint véritable ne se conçoit guère sans une large mesure de cette simplicité, nous allions dire de cette « facilité » évangélique, forme charmante de l'humilité chrétienne.

Bref, au portrait si attachant et largement fidèle, dessiné par M. B., nous craignons qu'il ne manque une dernière touche, la plus délicate, celle probablement à laquelle le Saint eût attaché le plus de prix.

J. MARECHAL, S. J.

XXIII. — IL CARO-VITA, par le professeur MARIO MARSILI LIBELLI. Une broch. de 30 pages. Firenze, 1925.

M. le Professeur Mario Marsili Libelli, Vice-président

de l'Académie économico-rurale de Florence, nous présente un discours remarquable sur la vie chère.

Il ne s'arrête pas aux explications communes: les mercantis et les spéculateurs. Le prix est ce qu'il doit être, et rien d'autre. La vie chère peut être un phénomène général, et dans ce cas purement apparent, puisqu'il revient à affecter chaque prix d'un coefficient. Elle peut être un phénomène partiel, et réel, mais alors essentiellement transitoire. D'où vient cette vie chère partielle ? Une classe sociale mieux organisée peut avoir obtenu par la force un supplément de rémunération sans accroître sa productivité. Ou bien, par un changement dans les modes et les préférences, certaines marchandises auront été plus recherchées. L'augmentation des frais de production peut retomber, à un certain moment, sur les producteurs eux-mêmes et faire naître pour eux la vie chère. Enfin il n'est pas impossible que les variations monétaires affectent d'abord telles ou telles classes de la société.

En tout cas la vie chère ne devient dangereuse, et ne réclame l'attention des pouvoirs publics, que si elle est due au relèvement général du coût de la production.

L'exposé de M. Mario Marsili Libelli nous paraît judicieux en tout point, sauf en une remarque incidente dont nous ne saisissons pas la portée, et qui fait porter au régime capitaliste la responsabilité de la vie chère.

FERNAND BAUDHUIN.

XXIV. LE SENS DU RÉEL, par RENÉ HUBERT, Professeur à la Faculté des Lettres de Lille. Un vol. de 147 pages (19-12) de la Bibliothèque de Philosophie contemporaine. Paris, Alcan, 1925. 8 fr.

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Ce petit livre est une tentative de rajeunissement du néo-criticisme. Il ne contient que trois chapitres. Dans le premier, l'auteur donne un « essai sur la systématisation du savoir scientifique ». Dans le second, il esquisse « une théorie de la sensation ». Dans le troisième, il expose le << fondement logique de l'existence sociale ». Ces trois chapitres sont très étroitement liés. Pour s'en convaincre, il suffira de lire le paragraphe suivant de la conclusion:

« Ce que nous pensons dans nos sensations, ce sont les relations intelligibles qu'elles présentent, et, si l'on parvenait à prouver que ces relations intelligibles ne sont pas seulement l'œuvre de la conscience individuelle,... mais qu'elles nous offrent le résultat d'une lente élaboration collective,... il faudrait en venir à l'affirmation que c'est parce qu'il y a une société qu'il nous paraît qu'il y a un univers. »

L'idée fondamentale de M. Hubert est non seulement ingénieuse, à notre avis, elle est vraie dans une large mesure. Que les catégories de l'ordre scientifique changent de sens avec le progrès des découvertes et des mathématiques, découvertes dues à la collaboration sociale, cela est indéniable. M. Brunschvicg et, avant lui, M. Cassirer, l'ont abondamment prouvé.

Que les catégories de l'action contingente revêtent différentes formes, cela n'est plus douteux après les nombreuses études sur la moralité des peuples primitifs. Mais au-dessus des catégories et de l'action contingente, il y a la connaissance et l'ordre métaphysique, exercés, selon l'expression scolastique, dans toute construction scientifique et dans toute action contingente. En d'autres mots : il y a, immanente à l'activité phénoménale qui a besoin de la sensation et du contingent comme matière, et dont le résultat est donc changeant, l'activité nouménale qui atteint l'être tel qu'il est en soi, et qui par conséquent est immuable. Le grand mérite des philosophes scientifiques modernes, c'est qu'ils renouvellent, appuyés sur l'expérience, la construction dont Kant a jeté les bases dans son « analytique transcendantale », Leur grande erreur consiste en ce qu'ils oublient que l'intelligence est non seulement la faculté d'un principe subsistant qui prolonge, pour ainsi dire, la sensibilité, mais bien plus encore la faculté d'un principe subsistant qui est esprit, quoique le plus infime.

H. THIELEMANS, S. J.

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