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Turin épouvanté s'attendait à quelque grande catastrophe, et si les confédérés n'eussent promptement réprimé ces fureurs, il aurait fallu peutêtre gémir sur des malheurs plus affreux encore que ceux qu'on redoutait.

L'effervescence apaisée, le généralissime Suwarow fit son entrée triomphale dans Turin, et se rendit d'abord à l'église métropolitaine de SaintJean, pour remercier Dieu de la victoire. Il fut admis de fort bonne grâce au baiser de paix, et à la célébration des saints mystères, par l'archevêque Buronzo, qui peu de jours auparavant préconisait la république, et publiait maintenant des pastorales, où il appelait le général russe l'envoyé du Seigneur et le nouveau Cyrus. Il permit même que l'on vendit, sous ses yeux, certaines images exposées à l'admiration du stupide vulgaire; images où la Russie, l'Autriche et la Turquie étaient représentées avec les attributs de la sainte Trinité. C'est malgré moi que j'entre dans le détail de semblables misères; mais l'amour de la vérité m'y force, et il faut bien aussi que la postérité connaisse toutes nos folies.

Cependant l'artillerie de la citadelle foudroyait la ville; les confédérés tiraient contre la citadelle; de nouveaux désastres paraissaient inévitables. Placés entre les Français, les Russes, les Autrichiens, les républicains et les royalistes, les infortunés habitans n'apercevaient la fin ni de

leur effroi ni de leurs souffrances. Enfin, pour ne pas anéantir le siége du gouvernement royal, il fut convenu entre les deux partis, que le feu cesserait réciproquement du côté de la ville. Les nobles faisaient une cour assidue à Suwarow, et cherchaient à le circonvenir. Les plus sages lui conseillaient la modération, les autres voulaient qu'il fit main basse sur les républicains. Le Russe, malgré son caractère violent et acerbe, écouta les premiers de préférence aux seconds, parce qu'il se réglait sur la raison, et non sur l'esprit de parti ou de vengeance des localités. Quoique arrivé des régions polaires, il pensa qu'il valait mieux calmer les esprits par le retour de l'ordre, que de les aigrir par une sévérité qui eût enfanté de nouvelles haines et de nouveaux déchiremens. Il chargea donc le marquis Thaon de Saint-André de réorganiser l'armée royale. Celui-ci fit une proclamation pour exhorter les soldats piémontais à se rallier sous leurs antiques drapeaux, promettant l'oubli du passé à quiconque, ayant été forcé par les circonstances de servir les gouvernemens nouveaux, rentrerait promptement sous l'obéissance du roi. Ensuite, de l'avis du marquis et des autres chefs du gouvernement royal, Suwarow créa, sous le nom de conseil suprême, une administration provisoire qui devait exercer ses pouvoirs jusqu'au retour du monarque. Il y appela le marquis Thaon, les chefs des trois secrétaireries, les

premiers présidens du sénat, et de la chambre des comptes, l'avocat et le procureur-général, l'intendant-général des finances, le ministre de la guerre et le directeur du contrôle général; ordonna aux anciens magistrats de reprendre leurs fonctions, et voulut que le conseil suprême choisît, parmi les lois rendues pendant l'absence du roi, celles qui seraient reconnues bonnes à conserver. Le désordre général des affaires, surtout le chaos des finances, rendait la tâche du conseil des plus difficiles à remplir. Sans parler du gouffre creusé par la guerre, des vexations, des fraudes et des rapines commises par les administrateurs des armées russe et autrichienne, non moins avides que ceux des armées de la république : cette peste du papier-monnaie rongeait continuellement le Piémont. Pour s'en défaire, le conseil décida que ce papier aurait cours, non pas à sa valeur nominale, ni même au taux fixé par les lois précédentes; mais bien à sa valeur de change, c'est-à-dire qu'il ne serait plus considéré que comme marchandise; mesure juste en elle-même, à ne considérer que les rapports des particuliers entre eux; mais condamnable, de la part du gouvernement. Ce décret parut exorbitant; et si le dernier gouvernement avait excité de vives réclamations en réduisant le papier au tiers de sa valeur primitive, la loi nouvelle, qui en ordonnait l'acceptation à la valeur de change, trouva sans contredit une opposition

beaucoup plus violente encore. Cette loi fut rendue, dit-on, à la sollicitation du comte Balbo surintendant des finances. Laissons de côté la perte qui résultait pour les individus, de la différence entre la valeur primitive des billets, et la valeur de change; il est évident que la loi promulguée sous le gouvernement établi par les Français, ne blessait que les intérêts privés, tandis que la loi nouvelle compromettait à la fois, et les intérêts privés, et la morale publique, en ouvrant une porte à l'agiotage, fléau corrupteur des états. D'un autre côté, il devenait presque impossible de trouver des vivres pour cette multitude de paysans, et pour tant de soldats étrangers. Une saison rigoureuse ajoutait encore aux difficultés du moment; et comme tout l'avantage était du côté des plus forts, les vainqueurs, qui venaient, à les entendre, comme alliés et amis, vivaient dans l'abondance, pendant que les Piémontais éprouvaient toutes les horreurs du besoin; jusque-là que plusieurs moururent faute d'alimens. Les chevaux de l'armée mangeaient le blé de Turquie, principale nourriture des campagnes, et les habitans affamés tendaient vainement la main, et n'en obtenaient pas. On vit alors, spectacle affreux et inaccoutumé en Piémont, on vit des hommes, en proie au tourment de la faim', chercher, dans la litière des chevaux, les grains échappés à l'animal, et se repaître de ces misé

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rables restes. Ajoutez à cela que si les paysans, réprimés par les chefs, avaient cessé, du moins en partie, le pillage et la persécution, les cosaques, les pandours, et je ne sais quelle autre peste de cette sorte, commençaient à voler pour leur propre compte. L'attachement aux Français était le prétexte, l'avidité le véritable motif, la violence le moyen, la rapine le résultat. Insultés en public, les Piémontais ne trouvaient pas plus de sûreté dans leurs domiciles. Au défaut de la force, les pillards avaient recours à la ruse. Dans les rues et dans les environs de Turin, le brigandage se multipliait sous toutes les formes. Les uns enlevaient les montres en criant: Jacob! jacob! c'est-à-dire, jacobin; mais qu'on fût ou non jacobin, la montre n'en était pas moins enlevée. D'autres tâtaient les cheveux, persuadés que tous les jacobins devaient les avoir coupés: s'il arrivait qu'on les portât courts, ils criaient: Jacob! jacob! et faisaient à l'homme un mauvais parti. Se trouvait-on sur la grande route pour ses affaires? ils couraient après vous en criant: Jacob! et il fallait se racheter par de l'argent, quand on ne pouvait se soustraire par la fuite. Un républicain de ma connaissance fut poursuivi de cette manière par une bande de pandours qui criaient: Arrête, jacob, arrête! nous sommes les soldats de l'empereur! Ils s'imaginaient, ces gens grossiers, que parce qu'ils étaient soldats de l'empe

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