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relever les différences entre des degrés mesurés sur des arcs aussi peu distants. En 1733, la dispute battait son plein. Les savants se partageaient en deux camps. Les uns tenaient pour une Terre aplatie: on les appelait les Newtoniens; les autres affirmaient que la Terre était allongée vers ses pôles: ils s'intitulaient Cartésiens, et invoquaient les deux Cassini, père et fils, et même Jean Bernoulli, — qui aimait à contredire Newton, le rival de Leibniz, et faisait valoir cet allongement pour rendre quelque crédit aux « tourbillons » de Descartes (1). Alexis Clairaut entra en lice: Newton compta un défenseur en plus, et un défenseur qui bientôt allait lui assurer le triomphe final.

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A ce moment, l'Académie des Sciences, acceptant les idées de deux de ses membres les plus en vue, La Condamine et Maupertuis, décida pour trancher la question de solliciter du Roi l'ordre que deux Commissions de savants partissent en mission géodésique : l'une se rendrait au Pérou et fonctionnerait à l'Équateur même ; l'autre irait en Laponie et opérerait dans la zone glaciale. Les degrés du méridien augmentent-ils ou diminuent-ils, de l'équateur aux pôles? Toute la question était là (2). En comparant entre eux ou avec le

(1) Clairaut, dans la belle Introduction de sa Théorie de la Figure de la Terre (1743), donne l'historique de cette dispute entre Cartésiens et Newtoniens, et l'exposé des divers arguments invoqués en cette question par les partisans des Tourbillons cartésiens et par les partisans de la Gravité newtonienne.

(2) Un arc de méridien est dit de 1 degré, quand les verticales élevées aux extrémités de cet arc font entre elles un angle de 1 degré. Une verticale en un point de la surface du sphéroïde terrestre est la direction du fil à plomb en ce point, direction perpendiculaire au niveau des eaux et au plan tangent au sphéroïde en ce point. - Les personnes peu versées dans la géométrie de l'ellipse, se persuadent aisément (par exemple, Bernardin de Saint-Pierre, en une page étrangement prétentieuse de ses Études de la Nature) que, sur une Terre aplatie aux pôles et renflée à l'équateur, un arc de 1 degré dans les régions polaires est plus court qu'un arc de 1 degré dans les régions équatoriales elles s'imaginent que ces verticales se rencontrent toutes au centre de la Terre, et oublient que l'attraction du bourrelet équatorial, formé par le renflement, fait dévier vers lui les fils à plomb. Sur une Terre sphérique, les verticales coïncident toutes avec les rayons du globe. Sur une Terre aplatie aux pôles et ren flée à l'quateur, les méridiens se déforment et deviennent des

degré de France les degrés mesurés à ces distances extrêmes, et mesurés avec la dernière précision, on ne pourrait manquer de clore le débat. Les académiciens La Condamine, Bouguer et Godin acceptèrent la mission du Pérou. Ils quittèrent la France en mai 1735. Arrivés à l'équateur, ils mesurèrent à partir de Quito, un arc de méridien de plus de 3 degrés d'amplitude; leurs travaux de haute Géodésie et ensuite leurs nombreuses recherches scientifiques furent traversés d'obstacles et se prolongèrent plusieurs années; certains de leurs aides moururent à la tâche.

La mission de Laponie avait été confiée à Maupertuis. Clairaut avait vingt-trois ans il consentit, ainsi que trois autres académiciens, à accompagner son ami et, malgré la supériorité de son propre génie (la remarque est de Joseph Bertrand), il l'accepta pour son chef. Maupertuis était, du reste, le plus ancien des cinq jeunes savants qui formèrent l'expédition, et en dépit de son incorrigible présomption et de son enfantine vanité, il savait être agréable; entreprenant et actif, ancien capitaine aux dragons, sa science incomplète et superficielle ne l'empêcha point d'être un chef excellent. Assez sage pour se faire guider et aider par Clairaut dans la préparation théorique et pratique de la difficile entreprise, il s'enferma avec lui pendant plusieurs mois, loin de l'agitation de Paris, dans une tranquille demeure du Mont-Valérien les seuls visiteurs admis étaient leurs trois prochains compagnons de voyage. Il fallait méditer le plan des observations à faire, vérifier ou faire construire des instruments de Géodésie ou d'Astronomie d'une précision extrême, s'exercer au maniement de chacun de ces délicats outils, l'opérateur devant se faire pour chaque outil tout une éducation. Notons ici un détail, sur lequel, hélas ! il nous

ellipses les verticales en des points d'un même hémisphère (autres que le pôle et autres que des points de l'équateur), c'est-à-dire les perpendiculaires aux plans tangents, se redressent, comme si leur zénith se rapprochait du pôle, et ne se rencontrent plus au centre de la Terre, mais au-delà du plan équatorial; par suite, l'angle formé par deux verticales inclinées entre elles d'un angle de 1 degré a son sommet d'autant plus éloigné de l'arc qu'il embrasse, que cet arc est plus voisin du pôle : cet arc de 1 degré croît donc, s'il se rapproche du pôle.

faudra revenir. La retraite si sage du Mont-Valérien fut plus d'une fois troublée par une visiteuse bien peu austère, qui viola toute consigne. On sait, en effet, que, les cendres de Molière étant refroidies depuis nombre d'années, la race des Femmes savantes avait repris vie. Or, une femme savante, -il s'agit de la marquise du Châtelet, la belle et peu sévère amie de Voltaire, s'était émue de la célébrité naissante d'Alexis Clairaut et, éprise de Géométrie, s'était piquée de recevoir de ce jeune Maître des leçons de cette science. On la vit donc, nous ignorons combien de fois, franchir à cheval la distance de Paris au Mont-Valérien et aller demander à Clairaut des leçons de Géométrie, dont nous aurons à reparler (1).

Le 2 mai 1736, les académiciens Maupertuis, Clairaut, Camus, Le Monnier et Outhier s'embarquèrent à Dunkerque, sur un petit vaisseau frêté pour eux, Le Prudent. A la fin du mois, ils arrivaient à Stockholm : le roi de Suède les combla de faveurs; approuva qu'André Celsius, le célèbre astronome suédois d'Upsal, les accompagnât (2); fit prendre

(1) Le fait de ces visites est admis par Grandjean de Fouchy, Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, et raconté par lui dans l'Éloge de Clairaut (voyez ACAD. DES SC., Hist., 1765). Ami d'enfance de Clairaut, Fouchy avait fait partie en sa jeunesse, avec Clairaut, La Condamine, Nollet et d'autres futurs académiciens, d'une Société d'Arts qui se fonda à Paris vers 1716 et dura Mme du Châtelet, durant l'hiver et le printemps de 1730, peu. résida continuellement à Cirey, en Lorraine; mais il n'était point rare de voir arriver à Paris sur son cheval préféré, l'Hirondelle, cette amazone accomplie. Maupertuis fut plus encore et plus tôt que Clairaut le « maître de Géométrie » de l'étrange amie de Voltaire; cf. Correspondance générale de Voltaire, lettre à Maupertuis, 29 avril 1734: avant cette date, la marquise avait déjà appris l'anglais et la Géométrie. Maupertuis, Clairaut, les frères Daniel et Jean Bernoulli, fils de Jean Bernoulli et neveux de Jacques, furent souvent les hôtes de Voltaire et de son étrange et savante amie, à Cirey.

(2) Ce savant professeur d'Upsal, qui séjournait depuis quelque temps à Paris, avait quitté Paris peu avant Maupertuis et Clairaut, et était allé à Londres se procurer certains instruments, entre autres un excellent petit quart-de-cercle, et s'entendre avec le physicien Graham pour la construction d'un superbe secteur à grand rayon, qui fut construit sous les yeux de Graham : une lunette de cuivre de 9 pieds de longueur en formait le rayon et était munie d'un

des mesures pour que tous les secours utiles leur fussent assurés, et régla qu'en Laponie on mettrait à leur disposition une troupe de soldats finnois, aptes aux incroyables labeurs qui là-bas attendaient l'expédition. Au solstice d'été, les savants atteignirent Tornea, située à l'extrémité septentrionale du golfe de Bothnie, sous le 66e parallèle, à quinze lieues françaises du Cercle polaire : le soir de leur arrivée, ils virent le soleil rester visible à minuit au-dessus de l'horizon et traverser le méridien du côté nord; du reste, depuis plusieurs semaines ils n'avaient plus de nuits : dès le 20 mai, à leur passage à Stockholm, ils avaient pu « lire à minuit dans des livres à fort petits caractères » (1). Les soixante maisons de Tornea, la minuscule ville suédoise, occupaient le milieu d'une île (qui en été devient une presqu'île) à l'embouchure du Tornea-Elf : le fleuve, dégelé, charriait encore ses glaçons ; il descend du nord au sud et dans la partie inférieure de son cours suit assez bien le méridien. On décida de mesurer à partir de Tornea un arc de méridien d'une amplitude de près d'un degré et qui s'éloignât peu du fleuve. Les points extrêmes étaient la flèche de l'église de Tornea (65° 50′ 50′′) et la cime du mont Kettis (66° 48′ 20′′), situé sur la rive gauche du fleuve. Au prix de plusieurs mois de fatigues, de souffrances et même de périls, on couvrit d'un immense réseau de triangles géodésiques la région qui englobait cet arc : il fallut se frayer à la hache un chemin dans des forêts impénétrables, escalader des montagnes escarpées et glissantes, hisser jusqu'à leurs cimes les matériaux des signaux qu'on devait y construire et qui devaient être visibles à dix ou douze lieues de distance. L'hiver arriva. Le 21 décembre, on commença à mesurer directement « à la perche », avec un luxe presque inouï de savantes précautions, la base de la triangulation, c'est-à-dire une ligne rigoureusement droite, qui dépassait trois lieues et demie françaises. On eut la bonne fortune d'établir cette base sur une surface merveilleusement

limbe de 5 degrés et demi. Celsius avait rejoint les savants français à Dunkerque. Au cours même de l'expédition, Celsius apprit que le Roi de France lui faisait attribuer une rente de douze cents livres : le Roi de Suède fut sensible à cette gracieuseté faite au savant suédois.

(1) Outhier, Journal d'un Voyage dans le Nord, en 1736 et 1737. IVe SÉRIE. T. III. 12

unie, la surface même du large fleuve, qui était profondément gelé: le fleuve, vers le mi-chemin entre Tornea et Kittis, suivait quelque temps une ligne droite, bien orientée selon le méridien. Ce mesurage se fit par un de ces froids d'hiver comme la Laponie en connaît, « froid si grand, que la langue et les lèvres se geloient sur le champ contre la tasse, lorsqu'on vouloit boire de l'eau de vie, qui était la seule liqueur qu'on pût tenir assés liquide pour la boire, et ne se détachoient que sanglantes, et le froid gela les doigts de quelques-uns »> (1). On était en la longue nuit polaire, que le soleil à l'horizon interrompt quelques moments chaque jour à midi; mais les longs crépuscules quotidiens, la blancheur de la neige et les. continuelles et splendides aurores boréales donnaient assez de lumière pour qu'on pût travailler quatre à cinq heures par jour. En sept jours, la base fut mesurée : deux « troupes différentes » de travailleurs, opérant séparément, trouvèrent le même résultat à 4 pouces près, savoir 7406 toises 5 pieds 2 pouces (près de 14 kilom. 1/2). Le froid devint ensuite effroyable. Il fallut se calfeutrer dans Tornea. En mars, on put reprendre les besognes: on vérifia diverses mesures; on s'assura de la précision des instruments; on releva astronomiquement les positions des points extrêmes du réseau, Tornea et Kittis, et de certains autres points (2); on observa au delà du Cercle polaire, à Pello (66° 48' de latitude), village finnois voisin du mont Kittis, le pendule à secondes, qui battit par jour sidéral 59,1 secondes de plus qu'à Paris (3), En mai, l'œuvre que les académiciens étaient venus accomplir, était achevée, et la possibilité du retour s'annonçait

(1) Maupertuis, La Figure de la Terre (ouvrage indiqué plus loin), p. 52.

(2) La triangulation avait donné pour la distance de Tornea à Kittis, réduite au méridien, 55 023 1/2 toises, et les observations astronomiques fournirent pour différence entre les latitudes de ces deux stations 57′ 28′′ 2 /3. On en déduisait, pour l'arc de 1 degré, une longueur de 57 438 toises. Maupertuis, ouvr. cité, p. 125.

(3) De cette accélération, il résultait, en vertu de la relation gt2 = πl, que le pendule à secondes, qui à Paris avait une longueur de 440,57 lignes (d'après de Mairan, ACAD. DES Sc., Hist.., 1735), réclamait, transporté au Cercle polaire, un allongement de 0,6 ligne (ou 1,4 millimètre). Maupertuis, ouvr. cité., pp. 172-180. Ce phénomène confirmait l'aplatissement polaire du globe.

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