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<< la preuve acquise que les Égyptiens, à une époque très reculée, comptaient plus de deux cents règnes antérieurs à la XVIIIe dynastie », le Canon, qu'il faudra « présenter au public avec des gants d'une certaine couleur », confiet-il à son frère, lui avait révélé « que l'opinion de l'excessive antiquité de la nation était en vigueur vers le XIe siècle avant notre ère» (1).

Et bientôt, en face des pyramides, auxquelles le protestant Cuvier accordait timidement onze siècles avant Jésus-Christ, sa pensée plongera dans cette antiquité, et dépassera même les quarante siècles de Bonaparte. A Thèbes, partout, sur les monuments et dans les tombes, les dates marquées ajouteront encore aux lumières tirées des papyrus de Turin. Il écrit à son frère (2) : « J'ai des résultats (ceci entre nous !) extrêmement embarrassants sous une foule de rapports et qu'il faudra tenir sous le boisseau; mon attente qui était aussi celle de Fouriern'a point été trompée, et beaucoup de choses que je soupçonnais vaguement ont pris ici un corps et une certitude incontestable ». Dans un écrit, qui ne devait pas être publié en France, la Note Sommaire sur l'histoire d'Égypte, composée à la demande du vice-roi, et remise le 29 novembre 1829, il plaçait résolument les pyramides dans les premières dynasties; il plaçait aussi deux des Amenemhat avant les Hyksos; chose que, pour ne pas manquer à sa parole, il ne se serait jamais permise chez nous, où les quinze premières dynasties passaient à tort pour attentatoires à la Bible (3).

D'autre part, si Champollion se trompa sur la nature de certains textes, s'il interpréta mal les symboles des saisons égyptiennes, il n'en acquit pas moins le sentiment très net que le calendrier comptait des milliers

(1) Loc. cit., pp. 87, 89, 90-91, 187.

(2) Loc. cit., t. II, p. 250, lettre écrite de la Vallée des rois, le 25 mars 1829.

(3) Loc. cit., pp. 429-430.

d'années. Quelle confirmation pour ses vues si,comme nous, il avait pu connaître que, sous les premiers rois de la XIIe dynastie, bien avant l'invasion des Pasteurs ; que sous la VIe et la Ve dynastie, bien avant le Moyen Empire et Abraham, les textes mentionnent les cinq jours épagomènes, « les cinq par dessus l'année» (1) ? Cela suppose nécessairement une année divisée en douze mois de trente jours, complétée par les cinq intercalaires, depuis longtemps déjà. En effet, sous la Ve dynastie, le peuple égyptien était loin de ses premiers pas dans la vie sociale; les textes, qu'il gravait dans les pyramides, remontaient bien plus haut, derrière lui se dressaient les trois grandes pyramides, qui marquent l'apogée d'une première civilisation étonnante.

Champollion comprit-il ce qu'avait de forcément incomplet son Mémoire sur les signes employés par les anciens Égyptiens à la notation de la division du temps ? Voulait-il le revoir à loisir? Jugea-t-il plus prudent de différer ? Malgré de vives instances, il ne se résolut pas à le publier(2). Aussi bien sa dernière heure le guettait. « Quand on a trouvé ce qu'on cherchait, a dit Joubert, on n'a pas le temps de le dire: il faut mourir ! »

Le fondateur de l'Égyptologie ne put donc pas faire valoir les trésors amassés sur les rives du Nil ni nous donner l'histoire rêvée. Du moins en a-t-il tracé, au jour le jour, les linéaments, sans cesse rectifiés, d'une main si sûre qu'aujourd'hui encore il fait notre admiration, et qu'il demeure l'initiateur par excellence.

Il n'avait pas eu le temps non plus de mettre en pleine lumière les prémisses de son raisonnement dans la lecture des hieroglyphes, ni de déduire les preuves ou d'enchaîner les faits qui l'avaient amené aux résultats. Si bien que, pour le grand nombre, il parut d'abord avoir emporté

(1) Cf. E. Meyer, Chronologie égyptienne, trad. A. Moret, p. 8. (2) Édité par son frère en 1841. Dans deux Lettres à Gazzera, 1832-1833, Salvolini s'était approprié ce Mémoire.

son secret. Joint que ses papiers, dérobés par son dernier confident, Salvolini, demeurèrent perdus jusqu'en 1840 (1). Ses disciples eux-mêmes se trouvèrent arrêtés comme devant un mur. « Qui oserait calculer, a dit E. de Rougé (2), la hauteur des barrières que la mort prématurée de Champollion éleva subitement devant les premiers adeptes de la science hiéroglyphique ? »

II

Un homme, par bonheur, se rencontra dans la suite, esprit logique, esprit critique, ayant reçu le manteau du prophète, qui, sans se laisser dérouter (3), devait lier les intuitions du maître, forcer l'obstacle, et promouvoir la marche de la nouvelle science. Cet homme, ce fut Emmanuel de Rougé lui-même, surtout à partir de 1846, après dix ans de préparation (4). Et la découverte triompha définitivement « parce que le génie y avait déposé un fond de vérité supérieur à toutes les objections » (5).

Dès lors, en France, on s'apprivoisa peu à peu avec l'Égyptologie; son flambeau était en bonnes mains; le préjugé chronologique perdit de son acuité. On l'examina enfin de plus près. Il ne reposait que sur la plus courte des chronologies laissées au libre choix. Mais son usage

(1) Cf. Notice sur les manuscrits autographes de Champollion le jeune perdus en l'année 1832 et retrouvés en 1840, par ChampollionFigeac, Paris, 1842 ; E. de Rougé, Discours prononcé à l'ouverture du cours d'archéologie égyptienne, 1860, dans Euvres diverses, t. IV, p. 51.

(2) Loc. cit., p. 220.

(3) « La méthode qui veut être en règle se sent déroutée devant le génie », a dit Sainte-Beuve.

(4) Vers 1842, parlant de lui à Wallon, Ampère disait : « Il y a dans un château de province un jeune homme qui se livre avec ardeur à la lecture des hiéroglyphes; il ira loin s'il continue. »> Maspero, Notice biographique du Vte E. de Rougé, p. 6, cf. p. 4. En Allemagne, par sa lettre fameuse à Rosellini, 1837, Lepsius venait également de s'engager dans la voie ouverte par Champollion. (5) E. de Rougé, Euvres diverses, t. II, p. 372.

IV• SÉRIE. T. IV.

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dans la Vulgate depuis trois siècles, son adoption par Bossuet et Rollin, l'avaient en quelque sorte consacré. Là s'étaient portées les attaques des adversaires, là aussi s'était portée la défense avec plus d'entêtement que de vraie science. Sous le Consulat et l'Empire, le préjugé avait gagné du terrain; sous la Restauration, il devint ultra la chute des zodiaques ne lui avait-elle pas donné les apparences d'une victoire ? Il revendiqua donc pour soi une « croyance obligée », et, sans se demander si ses titres étaient légitimes, tout ce qui de près ou de loin semblait déborder ses limites jalouses, on l'accueillait par une fin de non-recevoir préalable (1).

Ce préjugé, cependant, n'était pas encore mort. S'il sommeillait chez nous, à l'étranger, parmi certaines portions du protestantisme, il persistait vivace. François Chabas (2), catholique sincère, s'en aperçut bien, quand

(1) On a souvent donné une lettre de Champollion à Mgr Testa, lettre datée de Paris et du 23 mai 1827, comme appuyant le dit préjugé. Cette lettre n'est qu'un des faits espérés par le duc de Blacas. L'auteur marque sa bonne volonté et saisit l'occasion de montrer un point où la chronologie alors admise concorde en gros avec la série des faits et des dates concernant l'histoire des Hébreux en Égypte. On a trop fait état de cette lettre et trop étendu sa signification. Elle est avant tout une réponse à la thèse de Lanci et une précaution contre ce dernier. Elle n'a qu'une valeur tactique ou de circonstance. Voir cette lettre dans Wiseman, Discours sur les rapports entre la science et la Religion révélée, in-18, traduction de Genoude, 4o édit., p. 301, et dans Léon de Laborde, Commentaire géographique sur l'Exode et les Nombres, 1841, Introd., p. ix, n. 2, ici plus complète et ne laissant aucun doute sur son destinataire. Mile Hartleben, Champollion, sein Leben, etc., t. II, pp. 577, 601, s'y est méprise en donnant cette lettre comme adressée à Wiseman. (2) Chabas, né près de Briançon, en 1817, mort à Versailles en 1882. Établi commerçant à Chalon-sur-Saône en 1837, il vint tard à l'Égyptologie, 1852, mais bientôt en maître laborieux et des plus féconds. Il mena de vives et parfois âpres campagnes en faveur de la science de Champollion. En 1873, il refusa de quitter Chalon pour venir à Paris occuper la chaire laissée vacante par la mort d'E. de Rougé. Son nom est inséparable des noms de Mariette et de Rougé, en France, de Lepsius et de Henri Brugsch, en Allemagne, de Birch, Goodwin et Le Page Renouf, en Angleterre, tous fidèles disciples de Champollion, pour ne nommer que les principaux.

il publia, en 1863, les Papyrus hiératiques de Berlin, récits d'il y a 4000 ans. Quatre mille ans ! On tressauta en Angleterre. Des lettres vinrent à l'auteur, l'accusant d'infidélité, et prétendant «< alarmer sa conscience de chrétien et de père de famille ». Il répondait à un pasteur (17 décembre 1862): « J'ai trouvé dans l'Évangile d'assez forts motifs de croire à la divinité du Christ pour n'en pas chercher d'autres. La science peut faire son chemin sans entamer ma foi de chrétien » (1). Il disait de certains adversaires : « Les uns utilisent les écrits des anciens Égyptiens sans les comprendre et croient y retrouver des récits bibliques à peine altérés (2). La saine critique a, depuis longtemps déjà, fait justice de ces travaux complaisants; d'autres ne craignent pas de nier ouvertement les principes de notre science et d'y voir une illusion, sinon quelque chose de pire; puis, ayant rejeté cet élément embarrassant, ils affirment hardiment qu'il n'existe en Égypte aucun monument dont on puisse avec certitude faire remonter l'antiquité au delà de l'an 1012 avant notre ère (3). A ceux-ci nous répéterons ces mots d'un éminent égyptologue anglais (4): « Que l'ignorance est inexcusable quand on possède des moyens de la faire cesser ».

« Une autre classe de contradicteurs, disait-il encore, se compose de savants de bonne foi, qui s'attachent rigoureusement à l'arrangement chronologique de l'Ancien Testament et qui y trouvent d'infranchissables limites. Ils se montrent généralement fort durs pour ce qu'ils

(1) Euvres diverses, t. I, p. LII, n. 1, de la Notice biogr. Lettre à M. Malan, Vicar, 17 déc. 1863.

(2) Heath (D. J.), The Exodus Papyri, Londres, 1845, in-8°, pris au sérieux par Ch. Lenormant! Cooper (Basil Henry), The hieroglyphical date of the Exodus in the Annals of Thotmes the Great, Londres, 1860.

(3) Sir G. Cornwal Lewis, An historical Survey of the Astronomy of the Ancients, Londres, 1862.

(4) Le Page Renouf.

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