deux cent mille francs du zodiaque offre qui présentait alors des avantages très réels, puisque nous n'avions pas encore supporté la dépense et, par conséquent, couru les chances du transport de ce monument depuis Marseille jusqu'à Paris. » Ils ne seraient pas regardants pour conserver à la France le planisphère. En bons spéculateurs, ils allaient jusqu'à indiquer le moyen de les rémunérer sans trop grever le Trésor. Louis XVIII donna enfin l'ordre d'acquérir le zodiaque. On le payait cent cinquante mille francs, c'està-dire cinq fois sa valeur (1). Il fut aussitôt exposé au Louvre (2) et la foule se vit admise à le contempler. L'empressement ne fut qu'un feu de paille. Les discussions entre savants eurent plus de consistance; elles se poursuivirent avec âpreté sur le terrain astronomique. En vain Champollion fit entendre de judicieuses remarques (3). Un mois avant la lecture des hieroglyphes, il écrivait au sujet des Observations contenues dans le Voyage de M. Lelorrain: « Il ne suffit pas de posséder à fond la savante théorie de l'astronomie moderne, il faut encore une connaissance exacte de cette science, telle que les Égyptiens eux-mêmes l'avaient conçue, avec toutes ses erreurs et dans toute sa simplicité. S'il ne se pénètre point de cette idée que l'astronomie égyptienne était essentiellement mêlée avec la religion, et même avec cette fausse science qui prétend lire dans (1) Cet achat eut un contre-coup fâcheux. Il rendit M. de Corbière timoré dans l'acquisition des antiquités égyptiennes. C'est ainsi que peu après il ne se décida pas à donner quatre cent mille francs pour la première collection Drovetti, offerte à la France, et qui valait des millions. Le musée de Turin en bénéficia. (2) Il y resta exposé un an, puis on le relégua peu glorieusement à la Bibliothèque du Roi, aujourd'hui Bibliothèque nationale, où il est encore. On n'apprendra pas sans plaisir que, grâce à un moulage, le zodiaque vient de reprendre sa place à son antique plafond restauré. (3) Lettre au Rédacteur de la Revue encyclopédique, no d'août 1822. l'état présent du ciel l'état futur du monde et des individus, le courageux explorateur du monument de Denderah se trouve sur un terrain dangereux, il s'expose à prendre un objet de culte pour un signe astronomique, et à considérer une représentation purement symbolique comme l'image d'un objet réel. » On n'entendit point ce rappel au bon sens. On acheva de compromettre le zodiaque lui-même. Plaignons le temps et la science dépensés par les Biot, les Saint-Martin (1), et tant d'autres, sur des prémisses qui menaient à tout et, par conséquent, à rien; qui même, tombant avec l'abbé Halma (2), après Visconti, sur le point juste, ne nous donnaient qu'une incertitude de plus. « Ce qu'on peut expliquer de vingt manières différentes ne mérite d'être expliqué d'aucune» (3). Plaignons aussi ceux qui maudissaient « la vilaine pierre noire », apportée en France; ceux qui tonnaient à la Chambre des députés contre ce monument d'athéisme et d'irréligion », cet épouvantail, dont personne, cependant, n'avait encore pu dire avec certitude la nature et l'âge. Déjà l'abbé Testa (4) et Visconti (5) avaient noté que, au moyen de leurs inscriptions grecques, on arriverait peut-être à dater les temples d'Esneh et de Denderah et, par le fait même, les zodiaques qui y sont contenus. C'est ce que tenta Letronne dès 1817. Aux calculs astronomiques il substitua l'élément philologique et archéologique. « Il me parut, dit-il (6), que, pour trouver un fondement solide (1) Biot, Recherches sur plusieurs points de l'Astronomie égyptienne, in-8o, Paris, 1823; J. Saint-Martin, Notice sur le zodiaque de Denderah, in-8°, Paris, 1822. (2) Halma (Nicolas), mathématicien et érudit, né à Sedan en 1755, mort à Paris en 1828, traduisit les œuvres de Ptolémée, publia en 1822 un Examen et explication du zodiaque de Denderah, suivi d'un Supplément. (3) Voltaire. (4) Appendice I de sa Dissertation. (5) Dans l'Hérodote de Larcher, 1802, t. II, pp. 570, 573. (6) Recherches, Introduction, p. xvIII. à des recherches sur l'histoire des temples de l'Égypte, il fallait transporter la discussion sur un autre terrain, et tâcher de découvrir des faits d'un ordre tout différent. » Les observations d'architectes, tels que Huyot et Gau (1), les inscriptions copiées par ces mêmes savants, par des membres de la Commission d'Égypte, et par d'autres voyageurs, lui révélèrent, à l'analyse rigoureuse et de tous les détails, que Grecs et Romains s'étaient faits Égyptiens en Égypte, y conservant les usages religieux et les arts propres aux pharaons de race, y bâtissant des temples où le mauvais style de la décoration trahissait une époque tardive (2). Or, parmi ces temples, se trouvait le petit temple d'Esneh, contenant l'un des deux zodiaques qu'on prenait pour les plus anciens, et ce temple, ainsi que l'attestaient ses sculptures et une inscription grecque décisive, ne remontait pas beaucoup au delà d'Antonin et d'Adrien (3). Il (1) Cf. Letronne, loc. cit., pp. xxv-xxx, deux notes significatives de Huyot et Gau. Huyot (Jean-Nicolas), né et mort à Paris (17801840), professeur à l'École des Beaux-Arts, Champollion lui dut de voir clair dans ses études de l'art égyptien ; Gau (François-Chrétien), né à Cologne en 1790, mort à Paris en 1835, visita l'Égypte, publia à son retour les Antiquités de la Nubie (1824), se fit naturaliser français l'année suivante, fut directeur de l'École d'Architecture (1824-1848). On lui doit la restauration de Saint-Julienle-Pauvre, le presbytère de Saint-Séverin, l'église de Sainte-Clotilde, exécutée d'après ses plans, au moins dans les grandes lignes (18461867). (2) C'était le renversement de l'idée qui est le pivot de toutes les recherches d'antiquités dans la Description de l'Égypte. Naturellement on se récria. Jomard, le grand manitou de la Description, parla de paradoxes et d'abus d'érudition! Cfr. Recherches nouvelles sur les monuments de l'art ancien en Égypte, lues à l'Académie des Inscriptions, le 7 décembre 1821, par Jomard; Parallèle des monuments égyptiens, avec des remarques sur le système des représentations appliquées à l'astronomie, lu le 1er février 1822, par le même. (8) Recherches, pp. 447 sq. Les bas-reliefs sont de la dixième année d'Antonin ou de l'an 147. Il est curieux de noter que la seule vue de l'architecture de ce temple avait donné à Jollois et à Devilliers l'impression d'un édifice d'extrême décadence, mais la présence du zodiaque coupa court à ce bon sentiment archéologique. se trouve aussi celui de Denderah, décoré de deux zcdiaques, dont le pronaos « peut-être commencé sous la domination grecque, ne fut achevé que sous le règne d'Auguste et de Tibère » (1), comme il est évident par sa dédicace: « En l'honneur de Tibère César, tout-puissant, nouvel Auguste, fils du dieu Auguste, Aulus Avilius Flaccus étant préfet, Aulus Fulvius Crispus étant épistratège, Sarapion Trykhambos étant stratège, les habitants de la métropole et du nome ont élevé ce pronaos à Aphrodite, déesse très grande, et aux dieux parèdres. La xxie année de Tibère César, le 21 Athyr. » Tout à coup, il vint à Letronne un appui aussi imprévu qu'éclatant: Champollion le jeune avait enfin retrouvé la clef des hiéroglyphes, 14 septembre 1822. Il lisait les noms des Ptolémées et des Césars copiés sur les monuments égyptiens, en particulier les cartouches de Tibère, de Claude et de Néron, relevés à Denderah même. Il irait bientôt visiter l'habitacle des fameux zodiaques (18281829). Et de l'édifice de Denderah il écrira que la décoration en est tout entière gréco-romaine, que les bas-reliefs en sont détestables (2). La partie la plus ancienne est la muraille extérieure du fond, où sont figurés, de proportions colossales, Cléopâtre et Césarion. Le haut de cette même muraille est d'Auguste, ainsi que les faces extérieures du naos, à l'exception de quelques petites portions dues à Néron. Le pronaos, celui du zodiaque rectangulaire, est en entier couvert des légendes impériales de Tibère, de Caius, de Claude et de Néron. Par contre, (1) Cf. Letronne, Inscriptions grecques et latines d'Egypte, t. I, pp. 87 sq. (2) Champollion distingue avec raison entre l'architecture et la décoration. La première, étant un art chiffré, est moins sujette à varier et se soutient mieux d'un âge à l'autre. Mais la seconde marche avec le temps, se dégrade et se contrefait. A Denderah, si l'architecture demeure encore « digne des dieux de l'Égypte et de l'admiration de tous les siècles », la décoration est l'image de la vieillesse de l'art et d'une décadence avancée. dans l'intérieur du naos, ainsi que dans la chapelle et les chambres construites sur la terrasse du temple, par conséquent dans la salle du planisphère, il n'existe pas un seul cartouche sculpté, tous sont vides et rien n'a été effacé même dans ceux qui terminent les deux colonnes perpendiculaires d'hieroglyphes dont s'encadre la grande figure zodiacale. Mais qu'on ne se hâte pas « de triompher, ajoute Champollion, parce que le cartouche du zodiaque est vide et ne porte aucun nom, car toutes les sculptures de cet appartement, comme celles de tout l'intérieur du temple, sont atroces, du plus mauvais style, et ne peuvent remonter plus haut que les temps de Trajan et d'Antonin »> (1). Il insiste, car on avait cru d'abord pouvoir dater sans réplique le planisphère par le mot autocrator qui se lisait écrit hiéroglyphiquement sur le dessin de la Commission d'Égypte (2), dans l'un des deux cartouches du zodiaque. Champollion lui-même y avait été pris tout le premier (3). Des doutes survinrent. Le croquis de Denon ignorait, en effet, ce détail et l'auteur, cependant bien attentif, ne se souvenait que de cartouches vides. Quand Lelorrain détacha le zodiaque, il n'y comprit pas la grande figure, qui resta en place avec ses deux lignes d'hiéroglyphes. On ne put donc à Paris tirer l'affaire au clair. Mais en Égypte, à deux reprises (17 nov. 1828 et 5 sept. 1829), des yeux et de la main, Champollion constata que les cartouches n'avaient jamais été que vides. Les cartouches ne signaient donc rien que ce que signait la décoration, bien suffisante d'ailleurs à dater le monument. Le mot autocrator était donc un faux matériel commis par Jomard ou un autre qui, croyant à un oubli, avait ajouté (1) Lettres et journaux recueillis et annotés par H. Hartleben, t. II, pp. 154, 405. (2) Antiquités, seconde édition, t. IV, pl. 21. (3) Lettre à Dacier, 1822, p. 25. |