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les susceptibilités de la portion du centre gauche qui votait avec lui. En nombre, il était menacé de perdre d'un côté ce qu'il gagnait de l'autre. En outre, les doctrinaires entendaient bien ne pas prêter au 15 avril un appui désintéressé : ils portaient M. Duchâtel à la présidence de la commission du budget, avec l'idée de le voir entrer dans le cabinet comme ministre des finances, après la session. Deux membres ministériels du centre gauche et de la commission du budget, ayant refusé de donner leur voix à M. Duchatel, firent échouer ce projet, que le ministère lui-même avait soutenu de tout son pouvoir. Une ligue formidable se forma bientôt entre les doctrinaires, la gauche et le centre gauche, qui suivait M. Thiers; cette coalition eut pour effet de rendre le gouvernement impraticable à ceux qui l'exerçaient, en lui ôtant la majorité, même sur les lois les moins politiques. Dans l'intervalle des sessions, M. Molé eut le courage de trancher et de terminer deux questions qui pouvaient encore com. promettre la paix du monde, celles d'Ancône et de Belgique, et où ses adversaires devaient trouver des armes contre lui.

Lorsque la nouvelle Chambre fut réunie pour la seconde fois, M. Molé put se convaincre du péril qui le menaçait. Toutes les notabilités parlementaires, tous les orateurs, toutes les ambitions des deux Chambres étaient liguées et soulevées contre lui. Une brochure de M. Duvergier de Hauranne avait servi de manifeste à la campagne parlementaire qui allait s'ouvrir. A la Chambre des pairs, M. le duc de Broglie attaqua M. Molé sur la question d'Ancône. L'issue de ce débat fut toute favorable au cabinet; mais à l'autre Chambre presque tous les chefs de la coalition furent nommés pour composer la commission de l'adresse. M. Molé dut s'y présenter et défendre sa politique devant des hommes connus pour en être les adversaires. Le projet d'adresse, défendu par MM. Thiers, Barrot, Guizot, Berryer, fut amendé et démoli paragraphe à paragraphe, par un seul homme, infatigable à la tribune et ayant une réponse prête à toutes les attaques. Mais le lendemain de la victoire, M. Molé déclara au roi que le chiffre de la majorité mi

| nistérielle, réduit à huit voix, ne lui permettait pas d'essayer sans imprudence de demeurer au pouvoir. Le roi, prévoyant qu'il faudrait en venir inévitablement à de nouvelles élections, demanda, dit-on, au ministère du 15 avril de faire lui-même cet appel aux électeurs. Ce ministère y consentit, et l'épreuve lui ayant été contraire, il se retira aussitôt que le résultat de l'opération fut connu (7 mars 1839): il avait perdu quelques voix.

Depuis, l'Académie-Française, à l'unanimité moins une voix, a élu M. Molé pour succéder dans son sein à M. de Quélen, archevêque de Paris. Le lendemain du jour de sa nomination (20 mars 1840), M. Molé prononçait, à la Chambre des pairs, un éloge funèbre de son ancien collègue, le général Bernard. Ce discours, qui est en quelque sorte une apologie de son administration, emporta un grand nombre de suffrages qui semblaient ratifier surtout ceux de l'Académie. D'ailleurs, depuis sa retraite du ministère, M. Molé a rarement pris part aux discussions politiques. F. F.

MOLÉ (RENE-FRANÇOIS) ou MOLET, l'une des célébrités du Théâtre-Français, naquit à Paris, en 1734. Son père, graveur peu à son aise, le plaça fort jeune encore chez un intendant des finances, qui ayant reconnu chez lui des dispositions précoces pour le théâtre, l'engagea à les cultiver et lui facilita les moyens de les exercer sur des théâtres de société. Toutefois, à son premier début sur la scène française, en 1754, on jugea qu'il avait encore besoin d'études; mais lorsqu'en 1760, il vint se soumettre à une seconde épreuve, elle lui fut entièrement favorable; son physique gracieux, la vérité et la chaleur de son jeu le rendirent bientôt l'idole du public, auquel il fit oublier Grandval et Bellecour.

Il justifia cette faveur par la suite de triomphes qui, depuis 1766, illustrèrent sa carrière théâtrale. Après avoir été charmant dans le Lindor d'Heureusement, dans le Dormilly des Fausses infidélités, on le vit déployer dans le rôle de Béverley une effrayante énergie, saisir parfaitement les divers caractères de l'Amant bourru, du Séducteur, du Jaloux sans amour, etc., etc.

L'apre franchise de l'Alceste du Philinte, les formes aimables du Conciliateur, de Demoustier, furent rendues par lui avec une égale supériorité.

On regretta de voir cet excellent acteur faire à l'époque de la Terreur des concessions (surtout en jouant le personnage de Marat dans une pièce de ce temps) qui, lors de la détention de ses camarades, sauvèrent sa liberté aux dépens de sa gloire. Lorsque toute la troupe se trouva réunie, Molé recueillit de nouveau des suffrages unanimes, particulièrement dans le Vieux célibataire, de Collin d'Harleville; enfin il offrit aux spectateurs une sorte de phénomène, lorsqu'à 67 ans il passa en revue devant eux tous les rôles de sa jeunesse, et les joua avec une chaleur, une verve qui ne laissaient nullement soupçonner son âge.

Malheureusement, Molé avait aussi conservé les goûts et les passions de la jeunesse. Prenant trop à la lettre ce vers du Confident par hasard, dont on lui faisait toujours la flatteuse application: Mon extrait baptistaire est vieux, mais non pas moi,

il se livra à des plaisirs qui ne devaient pas être ceux d'un vieillard : ces excès lui coûtèrent la vie. Atteint d'un épuisement fatal, et de sa maison de campagne d'Antony, transporté à Paris, ce grand acteur y expira le 11 décembre 1802. Il avait été l'un des 48 membres de l'Institut nommés par le Directoire exécutif et qui élirent les 96 autres. Monvel, en prononçant son éloge funèbre, lui rendit un juste hommage au nom du théâtre dont il avait fait longtemps l'ornement et la gloire. MM. Étienne et Nanteuil ont écrit la Vie de F.-R. Molé, Paris, an XI, in-12. M. O.

MOLECULE, petite partie d'un corps, que l'on nomme encore particule; on lui donne le nom d'atome lorsqu'on la suppose d'une ténuité telle qu'il serait impossible de la diviser davantage. Voy. ATOMIQUE (système).

Z.

MOLIÈRE, pseudonyme à jamais célèbre de JEAN-BAPTISTE POQUELIN, le plus grand poete comique de toutes les littératures. Jean Poquelin et Marie Cressé, tapissiers à Paris, dans une maisou presque au coin de la rue Saint-Ho

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noré et de la rue de la Tonnellerie, eurent au moins dix enfants. Quelques années après la naissance de l'aîné (JeanBaptiste), fixée par M. Beffara au 15 janvier 1622, Poquelin obtint l'office de tapissier valet de chambre du roi, et la survivance pour ce fils aîné. Celui-ci, quoique élevé commercialement dans la maison paternelle, témoigna d'invincibles dégoûts pour la profession de tapissier. A 14 ans, il demanda si instamment à faire ses études, et son grand-père, qui l'avait parfois mené au spectacle, appuya si vivement ses réclamations, qu'il fut envoyé au collège de Clermont (depuis Louis-le-Grand), dirigé par les jésuites. Là, il eut pour condisciples le prince de Conti, frère du grand Condé; Bernier, qui chercha la célébrité dans les voyages; Chapelle, qui la trouva dans les inspirations d'un viveur indolent; Hesnault, dans le sonnet de l'Avorton. Ces trois derniers étudièrent la philosophie avec Poquelin et Cyrano de Bergerac, sous Gassendi. Poquelin sortit de cette école avec de solides principes de philosophie morale, l'habitude de la liberté d'examen et le goût des observations satiriques, c'est-à-dire honnête homme, penseur et frondeur. Il venait d'achever ses études, quand il lui fallut suivre, à la place de son père, le roi Louis XIII dans son voyage à Narbonne. Quelle bonne fortune pour le jeune observateur! Il vit les travers de la province, les intrigues de la cour, la faiblesse du monarque, l'inflexible rigueur du premier ministre, de ce Richelieu mourant, qui, déjouant la conjuration de De Thou et de CinqMars, traîna par le Rhône ses deux victimes à l'échafaud.

A son retour, Poquelin dut partir pour Orléans, et s'y faire recevoir avocat. Il est douteux qu'il ait exercé cette profession; mais il est certain qu'entraîné par son goût pour les spectacles, il les suivit avec ardeur, à Paris, et se mit à la tête d'une troupe de bourgeois qui joua la comédie par amusement d'abord, puis par spéculation, et qui s'établit au faubourg Saint-Germain, sous le nom de l'Illustre-Théâtre. Alors Poquelin, le père, dépêcha à son fils son premier maitre de pension pour le détour

ner du projet honteux de se faire comédien. La harangue fut écoutée jusqu'au bout; mais l'ancien élève eut son tour, et l'on assure qu'il appuya sa résolution de raisons si bonnes, et parla avec tant d'éloquence, qu'il persuada le grave magister, et l'enrôla même dans sa troupe. Le jeune homme, toutefois, entrant dans les préjugés de sa famille, consentit à n'en pas déshonorer le nom de ce jour, il prit celui de Molière.

La régence d'Anne d'Autriche fut orageuse. Molière et sa troupe quittèrent Paris, et dès 1646, ils parcoururent les provinces. D'après une tradition adoptée par Montesquieu, notre poëte fit représenter à Bordeaux une tragédie, intitulée La Thebaïde, dont la chute le détourna du genre tragique. C'était l'effervescence de sa vive imagination. Il est un âge où rien n'effraie, où l'on veut tout tenter, parce que tout semble possible. Molière avait déjà esquissé une traduction en vers de Lucrèce à quelle distance il était de la voie comique! Il s'en approcha par les cròquis nombreux qu'il composa pour son théâtre ambulant. Quand il entra dans Lyon, en 1653, il y apportait une comédie en 5 actes et en vers: l'Étourdi. Tel fut le succès de cette pièce, que l'auteur vit passer dans sa troupe les principaux acteurs d'une troupe rivale, qui jouait à Lyon depuis quelque temps. Au nombre des transfuges étaient la Du Parc et la De Brie, qui succédèrent à Madeleine Béjard, dans le cœur de Molière.

De Lyon, la troupe se rendit à Avignon. D'Assoucy, qui passa l'hiver avec elle, en fait le plus grand éloge. « Je ne vis jamais tant de bonté, tant de franchise, ni tant d'honnêteté, que parmi ces gens-là, bien dignes de représenter réellement dans le monde les personnages des princes qu'ils représentent tous les jours sur le théâtre. » (Aventures, t. Ier). Molière était à Narbonne, quand le prince de Conti, qui présidait les États de Languedoc, appela son ancien condisciple à Béziers. C'est dans cette ville que fut joué pour la première fois (1654) le Dépit amoureux. On sait qu'alors le poëte refusa les fonctions de secrétaire du prince. Philosophe et poëte, auteuracteur et chef de troupe, partagé entre

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la méditation et l'action, entre les jouissances de l'amour présent et les rêves de la gloire future, il ne pouvait renoncer à son indépendance; sa troupe, d'ailleurs, c'était sa famille : il avait déjà pour elle ce dévouement qui, le reste de sa vie, lui fit considérer comme un point d'honneur les avantages et le bonheur de ses camarades. Son sort était lié à leur sort, et peutêtre aussi la destinée de ses ouvrages. Quelles autres circonstances, que celles où il se trouva, lui eussent mieux dévoilé le monde, lui eussent montré la société dans des détails si multipliés et si opposés? Où pouvait-il étudier avec la même facilité le jeu des passions chez les autres et chez lui-même? Grâce à ces circonstances, son cœur, d'une sensibilité excessive, ne connut point le repos; et son esprit méditatif, observateur, puisa sans relâche à la source des pensées vraies, des sentiments naïfs; il s'épancha si franchement dans ses meilleurs ouvrages, qu'ils seront éternellement la fidèle peinture de l'homme en général, et d'un homme en particulier, de lui-même.

Sa troupe, après la tenue des États de Languedoc, vint à Avignon, en décembre 1657. Molière y rencontra Mignard (voy.), qui avait passé 22 ans en Italie. Ils se lièrent, et le peintre a laissé à la postérité le portrait du poëte, et le poëte a consacré à la mémoire de son ami la Gloire du dôme du Val-deGráce (1669), petit poëme assez faible que terminent de bons vers sur l'indépendance du génie. Les démarches actives de Molière lui permirent, en 1658, de faire prendre à sa troupe le titre de Troupe de Monsieur, et de jouer avec les Italiens, à Paris, sur le théâtre du Petit-Bourbon. Il y donna, en novembre et décembre, l'Étourdi et le Dépit amoureux, qui eurent le même succès qu'en province. Tout imparfaites que sont, en effet, ces pièces, leur supériorité sur les comédies en vogue alors est incontestable. Ce n'est pas encore la peinture de nos mœurs; l'auteur y suit la route vulgaire, il imite et copie, il manque d'art dans l'exposition, la scène reste vide, le style est souvent incorrect; mais le génie comique se révèle : Mascarille plaira toujours par sa gaîté soutenue; et

la scène d'Éraste et Lucile (act. IV, sc. 3) | Quel mal cela fait-il? La jambe en devient-elle est admirable.

Jusque-là, les Italiens, les Espagnols et les Français n'avaient eu qu'un but dans leurs comédies, à savoir d'amuser par le développement d'une intrigue romanesque. Au troisième pas que fit Molière, il quitta les routes battues pour attaquer de face le plus grand travers de l'époque, le ridicule organisé d'une société célèbre, qui réunissait les hommes les plus remarquables à l'hôtel Rambouillet, et qui menaçait de l'influence de son mauvais goût toutes les productions littéraires. On voyait, aux réunions de cet hôtel, les La Rochefoucauld, les Sévigné, les Corneille, les Bossuet. S'ils n'y donnaient pas le ton, ils le subissaient et l'autorisaient par leur présence. Tout à coup, les pensées, le langage, les manières de la société dite des Précieuses, sont attaqués sur le théâtre par un comédien nouveauvenu de la province. Le 18 novembre 1659, Molière donne les Précieuses ridicules tout l'hôtel Rambouillet est là pour juger l'audacieux agresseur, et ces juges prévenus conviennent qu'il a raison contre eux. Un vieillard lui crie | du parterre : << Courage! voilà la bonne comédie! » Ménage revient du spectacle avec Chapelain, et l'amour-propre cède à la force de la vérité; il traite de sottises ce qu'ils admiraient avant qu'on le critiquât, et déclare qu'il faut brûler ce qu'ils adoraient, et adorer ce qu'ils brûlaient. « Laissons Plaute et Térence, s'écria Molière; je n'ai plus qu'à étudier le monde. » Il venait de commencer l'œuvre immense de former un public, et de préparer la France au rôle glorieux d'arbitre du goût en Europe.

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«

Les devoirs du chef de troupe ne laissaient pas au réformateur le loisir nécessaire pour une série de travaux sérieux. Molière, afin d'alimenter la caisse des recettes, fit succéder souvent la farce à la haute comédie. On riait aux pièces de Scarron; il fallait vaincre Scarron dans son propre genre, et Sganarelle parut le 28 mai 1660. Cette comédie eut 40 représentations de suite, nombre prodigieux alors. On a demandé si la leçon | morale est dans ces deux vers aux maris trompés:

Plus tortue, après tout, et la taille moins belle? C'était méconnaître le but de l'auteur, qui a voulu corriger de la jalousie, en montrant combien l'imagination peut égarer.

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Le 4 novembre 1660, Molière obtint la salle du Palais-Royal, bâtie par Richelieu; mais l'inauguration n'en fut pas heureuse. On y joua, le 4 février 1661, la comédie héroïque intitulée Don Garcie de Navarre, qui ne réussit point, et dont l'auteur ne fut pas mieux accueilli comme acteur. Son jeu ne convenait pas au genre sérieux il y renonça. Une sorte de hoquet ou tic de gorge, qu'il avait contracté en réprimant la volubilité de sa langue, lui interdit la tragédie, où, sans ce défaut, il eût pu se distinguer; car <«< il n'était ni trop gras ni trop maigre. Il avait la taille plus grande que petite, le port noble, la jambe belle. Il marchait gravement, avait l'air très sérieux, le nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts, etc. » A ce portrait, dû à la comédienne Poisson, nous ajouterons les lignes suivantes, qui ne laissent aucun doute sur la supériorité de Molière comme acteur comique : « Il était tout comédien depuis les pieds jusqu'à la tête. Il semblait qu'il eût plusieurs voix, tout parlait en lui; et d'un pas, d'un sourire, d'un clin d'oeil et d'un remuement de tête, il faisait plus concevoir de choses que le plus grand parleur n'aurait pu dire en une heure. » (Merc. gal., 1re ann.)

Il n'y a point pour le génie d'aiguillon plus puissant qu'un échec. Dès le 4 juin 1661, Molière donna l'École des maris, école véritable, où l'on apprend que de bons principes et le goût de la vertu peuvent seuls assurer l'honneur des femmes et le repos des familles; chef-d'œuvre qui emprunte des passions du poëte un charme tout-puissant; car alors le grand homme rêvait au malheureux bymen qui devait l'unir à une coquette de 17 ans et empoisonner le reste de ses jours. Ce sont bien ses propres pensées que Molière exprime par la bouche d'Ariste :

Je sais bien que nos ans ne se rapportent guère,
Et je laisse à son choix liberté tout entière.

Si quatre mille écus de rente bien venants,
Une grande tendresse et des soins complaisants,
Peuvent, à son avis, pour un tel mariage,
Réparer entre nous l'inégalité d'âge,
Elle peut m'épouser...

Le rôle de Léonor était joué par Armande Béjard, que le poëte, à la fois indulgent et jaloux, espérait s'attacher à jamais. Il se trompa; et, comme l'a justement remarqué M. Aimé-Martin, c'est dans son malheur même qu'il faut cherchier la source de ses plus belles inspirations. Ses divers ouvrages offrent un tableau complet de toutes les agitations de cette passion malheureuse. Dans l'École des maris, il cherche à gagner le cœur de sa maîtresse; dans les Fácheux, il excuse fort adroitement les emportements d'un jaloux; dans l'École des femmes, il exprime avec une effrayante vérité la douleur de n'être point aimé; dans le Tartufe, il apprend à sa femme, qui était chargée du rôle d'Elmire, à repousser avec dignité les entreprises téméraires; enfin, dans le Misanthrope, l'amour, la jalousie, les soupçons, éclatent à chaque vers, et communiquent à toute la pièce cette âme, ce feu, cette énergie, dont tous ses rivaux ensemble n'ont point approché*.

La préface des Fâcheux nous apprend que cette comédie, jouée à la fête de Vaux, le 16 août, fut « conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours. » Cette préface annonce encore le projet qu'avait Molière de faire imprimer des remarques sur ses pièces. Quelle poétique qu'un tel commentaire! S'il n'a pas eu le temps de l'écrire, du moins nous a-t-il donné des modèles dans tous les genres de comédie. Les Fácheux offraient une

(*) M. Sainte-Beuve n'est point de l'avis de M. Aimé-Martin. « Les personnages de Molière, dit-il, ne sont pas des copies, mais des créations... Molière invente, engendre ses personnages. » Qu'ils ne soient pas des copies, des portraits comme en a fait La Bruyère, nous en convenons; mais il nous est impossible de ne pas voir un support réel à travers une fiction aussi trans. parente. Écoutez La Grange, l'ami, le premier éditeur de notre poëte : « Molière faisait d'admirables applications dans ses comédies, où l'on peut dire qu'il a joué tout le monde, puisqu'il s'y est joué le premier en plusieurs endroits, sur les affaires de sa famille, et qui regardaient ce qui se passait dans son domestique: c'est ce

double innovation : c'était le premier exemple de la comédie à tiroir ou à scènes détachées, et de la comédie-ballet. Le roi lui-même indiqua au poëte un caractère (M. de Soyecourt) qu'il avait oublié, et le chasseur fut ajouté dans le second acte. Il paraît, du reste, que c'était à qui donnerait des mémoires à l'auteur pour de nouvelles pièces. Un de ses ennemis dit quelque part : « Je le vis bien embarrassé, un soir, après la comédie, et qui cherchait partout des tablettes pour écrire ce que lui disaient plusieurs personnes de condition, dont il était environné : tellement que l'on peut dire qu'il travaillait sous les gens de qualité pour leur apprendre après à vivre à leurs dépens, et qu'il était en ce temps et encore présentement leur écolier et leur maître tout ensemble. Ces Messieurs lui donnent souvent à dîner pour avoir le temps de l'instruire, en dinant, de tout ce qu'ils veulent lui faire mettre dans ses pièces; mais comme il ne manque pas de vanité, il rend tous les repas qu'il reçoit, son esprit le faisant aller de pair avec beaucoup de gens qui sont au-dessus de lui. Ainsi donc la cour posait d'ellemême devant le peintre, et tel est l'aveuglement de l'amour-propre, qu'une foule de grands seigneurs voulaient qu'on reconnùt leurs impertinences dans les ouvrages de Molière.

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Les travaux de ce dernier furent interrompus au commencement de 1662. Le 20 février, il épousa cette jeune Armande Béjard, née en 1645, dont la conduite, au moins légère, fit le malheur d'un époux trop épris. Après un voyage en Lorraine, à la suite du roi, dont il était valet de chambre, Molière vit arriver de la province un poête inconnu, Jean Racine, qui n'apportait que l'espérance et une tragédie sans valeur. Il encouragea cet aspirant à la gloire, et lui fit don de 100 louis. Leur amitié cependant ne fut pas de longue durée : l'un manqua de reconnaissance, dans l'intérêt de ses ouvrages; l'autre s'en affligea, dans l'intérêt de sa troupe.

L'École des femmes fut jouée le 26 décembre 1662, et l'on vit se renouveler la division qu'avait excitée le Cid. On

que ses plus particuliers amis ont remarqué cite parmi les adversaires de cette pièce

bien des fois.

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