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QUELQUES RÉFLEXIONS

AU SUJET

DE LA PHYSIQUE EXPÉRIMENTALE

PREMIERE PARTIE

QU'EST-CE QU'UNE EXPÉRIENCE DE PHYSIQUE ?

I. Une expérience de physique n'est pas simplement l'observation d'un phénomène; elle est, en outre, l'interprétation théorique de ce phénomène.

Qu'est-ce qu'une expérience de physique? Voilà une question qui étonnera sans doute plus d'un lecteur de la Revue des questions scientifiques; est-il besoin de la poser et la réponse n'est-elle pas évidente? Produire un phénomène physique dans des conditions telles qu'on puisse l'observer exactement et minutieusement, au moyen d'instruments appropriés, n'est-ce pas l'opération que tout le monde désigne par ces mots : une expérience de physique?

Entrez dans ce laboratoire; approchez-vous de cette table qu'encombrent une foule d'appareils : une pile électrique, des fils de cuivre entourés de soie, des godets

pleins de mercure, des bobines, un barreau de fer qui porte un miroir; un observateur enfonce dans de petits trous la tige métallique d'une fiche dont la tête est en ébonite; le fer oscille et, par le miroir qui lui est lié, renvoie sur une règle en celluloïde une bande lumineuse dont l'observateur suit les mouvements; voilà bien, sans doute, une expérience ce physicien observe minutieusement les oscillations du morceau de fer. Demandez-lui maintenant ce qu'il fait; va-t-il vous répondre : « j'étudie les oscillations du barreau de fer qui porte ce miroir? » Non; il vous répondra qu'il mesure la résistance électrique d'une bobine; si vous vous étonnez, si vous lui demandez quel sens ont ces mots et quel rapport ils ont avec les phénomènes qu'il a constatés, que vous avez constatés en même temps que lui, il vous répliquera que votre question nécessiterait de trop longues explications et vous enverra suivre un cours d'électricité.

C'est qu'en effet l'expérience que vous avez vu faire, comme toute expérience de physique, comporte deux parties elle consiste, en premier lieu, dans l'observation de certains phénomènes; pour faire cette observation, il suffit d'être attentif et d'avoir les sens suffisamment déliés; il n'est pas nécessaire de savoir la physique; elle consiste, en second lieu, dans l'interprétation des faits observés; pour pouvoir faire cette interprétation, il ne suffit pas d'avoir l'attention en éveil et l'oeil exercé; il faut connaître les théories admises; il faut savoir les appliquer, il faut être physicien. Tout homme peut, s'il voit clair, suivre les mouvements d'une tache lumineuse sur une règle transparente, voir si elle marche à droite ou à gauche, si elle s'arrête en tel ou tel point; il n'a pas besoin, pour cela, d'être grand clerc; mais s'il ignore l'électrodynamique, il ne pourra achever l'expérience; il ne pourra mesurer la résistance de la bobine.

Prenons un autre exemple. Regnault étudie la compressibilité des gaz; il prend une certaine quantité de

gaz; il l'enferme dans un tube de verre; il maintient la température constante; il mesure la pression que supporte le gaz et le volume qu'il occupe. Voilà, dira-t-on, l'observation minutieuse et précise de certains phénomènes, de certains faits. Assurément, devant Regnault, entre ses mains, entre les mains de ses aides, des faits se sont produits; est-ce le récit de ces faits que Regnault a consignés pour contribuer à l'avancement de la physique? Non. Dans un viseur, Regnault a vu l'image d'une certaine surface de mercure affleurer à un certain trait; est-ce là ce qu'il a inscrit dans la relation de ses expériences? Non, il a inscrit que le gaz occupait un volume ayant telle valeur. Un aide a élevé et abaissé la lunette d'un cathétomètre jusqu'à ce que l'image d'un autre niveau de mercure vînt affleurer le fil d'un réticule; il a alors observé la disposition de certains traits sur le vernier du cathétomètre; est-ce là ce que nous trouvons dans le mémoire de Regnault? Non, nous y lisons que la pression supportée par le gaz avait telle valeur. Un autre aide a vu, dans un thermomètre, le mercure affleurer à un certain trait invariable; est-ce là ce qui a été consigné? Non, on a marqué que la température était fixe et atteignait tel degré. Or qu'est-ce la valeur du volume occupé par le gaz, qu'est-ce que la valeur de la pression qu'il supporte, qu'est-ce que le degré de température auquel il est porté? Sont-ce des faits? Non, ce sont trois abstractions.

que

Pour former la première de ces abstractions, la valeur du volume occupé par le gaz, et la faire correspondre au fait observé, c'est-à-dire à l'affleurement du mercure en un certain trait, il a fallu jauger le tube, c'est-à-dire faire appel non seulement aux notions abstraites de l'arithmétique et de la géométrie, aux principes abstraits sur lesquels reposent ces sciences, mais encore à la notion abstraite de masse, aux hypothèses de mécanique générale et de mécanique céleste qui justifient l'emploi de la balance dans la comparaison des masses. Pour former la seconde, la

valeur de la pression supportée par le gaz, il a fallu user des notions si profondes, si difficiles à acquérir de pression, de force de liaison, appeler en aide les lois mathématiques de l'hydrostatique, fondées elles-mêmes sur les principes de la mécanique générale; faire intervenir la loi de compressibilité du mercure dont la détermination se relie aux questions les plus délicates et les plus controversées de la théorie de l'élasticité. Pour former la troisième, il a fallu définir la température, justifier l'emploi du thermomètre ; et tous ceux qui ont étudié avec quelque soin les principes de la physique savent combien la notion de température est éloignée des faits et difficile à saisir.

Ainsi, lorsque Regnault faisait une expérience, il avait des faits devant les yeux, il observait des phénomènes; mais ce qu'il nous a transmis de cette expérience, ce n'est pas le récit des faits observés; ce sont des données abstraites que les théories admises lui ont permis de substituer aux documents concrets qu'il avait réellement recueillis.

Ce que Regnault a fait, c'est ce que fait nécessairement tout physicien expérimentateur; voilà pourquoi nous pouvons énoncer ce principe, dont la présente étude développera les conséquences:

Une expérience de physique est l'observation précise d'un groupe de phénomènes, accompagnée de l'INTERPRÉTATION de ces phénomènes; cette interprétation substitue aux données concrètes réellement recueillies par l'observation des représentations abstraites et symboliques qui leur correspondent en vertu des théories physiques admises par l'ob

servateur.

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II. Ce genre d'expérience caractérise les sciences arrivées à la phase dite rationnelle.

En déclarant que l'interprétation des faits au moyen des théories admises par l'observateur fait partie intégrante d'une expérience de physique, qu'il est impossible, dans une

telle expérience, de dissocier, de séparer la constatation des faits et la transformation que la théorie leur fait subir, nous allons peut-être scandaliser plus d'un esprit soucieux de la rigueur scientifique; plus d'un va nous objecter les règles cent fois tracées par les philosophes et les observateurs, de Bacon à Claude Bernard, du Novum organum à l'Introduction à la médecine expérimentale. Que la théorie suggère des expériences à réaliser, rien de mieux; une fois l'expérience faite et les résultats nettement constatés, qu'elle s'en empare pour les généraliser, les coordonner, en tirer de nouveaux sujets d'expérience, rien de mieux encore; mais tant que dure l'expérience, la théorie doit demeurer à la porte du laboratoire; elle doit garder le silence et laisser, sans le troubler, le savant face à face avec les faits; ceux-ci doivent être observés sans idée préconçue, recueillis avec la même impartialité minutieuse, soit qu'ils confirment les prévisions de la théorie, soit qu'ils les contredisent; la relation que l'observateur nous donnera de son expérience doit être un décalque fidèle et scrupuleusement exact des phénomènes; elle ne doit pas. même nous laisser deviner quel est le système en lequel le savant a confiance, quel est celui dont il se méfie. Cette règle est bonne pour certaines sciences celles où il est possible de l'appliquer.

pour

Voici, par exemple, un physiologiste; il admet que les racines antérieures de la moelle épinière renferment les cordons moteurs et les racines postérieures les cordons sensitifs; la théorie qu'il accepte l'amène à imaginer une expérience; s'il coupe telle racine antérieure, il doit supprimer la motilité de telle partie du corps sans en abolir la sensibilité; lorsque après avoir sectionné cette racine, il observe les résultats, lorsqu'il en rend compte, il doit évidemment faire abstraction de toutes ses idées touchant la physiologie de la moelle; sa relation doit être un décalque brutal des faits; il ne lui est pas permis de passer sous silence un mouvement, un tressaillement contraire

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