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LES

POPULATIONS LACUSTRES

DE L'EUROPE (1)

Comme toutes les sciences, les études historiques ont fait de nos jours de remarquables progrès. Nous voyons apparaître des races nouvelles, dont le nom même était ignoré de nos pères; nous retrouvons les traces de migrations à peine soupçonnées; et si, comme le disait Virchow au Congrès de Moscou, les documents que possède l'anthropologie préhistorique sont trop peu nombreux et l'anthropologie préhistorique trop peu avancée pour que l'on puisse arriver prochainement à des conclusions sérieuses sur l'origine et la filiation des races primitives, il est tout au moins permis d'espérer que ceux qui viendront après nous sauront affirmer des solutions que nous ne pouvons encore qu'entrevoir.

C'est en Orient que les premiers empires ont été fondés; c'est en Orient que les arts et les sciences ont pris naissance; les monuments que chaque jour révèle le prouvent sans réplique.

(1) Mémoire présenté au Congrès scientifique international des catholiques, le mercredi 5 septembre 1894.

II SÉRIE. T. VI.

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C'est de l'Orient aussi qu'est sorti le grand mouvement civilisateur se développant d'âge en âge et irradiant peu à peu sur le globe entier. Durant des siècles qu'aucun chronomètre connu ne permet de nombrer, les Asiatiques ont débordé sur l'Europe, portant avec eux des connaissances nouvelles, des arts nouveaux. Bien des voies leur étaient ouvertes, toutes sans doute ont été utilisées : le Caucase, la Sibérie où le climat était probablement moins rigoureux que de nos jours (1), les îles de la Grèce, la grande voie des fleuves, celle du Danube par exemple, la Méditerranée elle-même. La navigation était connue dès les temps les plus reculés. L'arbre brisé par l'ouragan, entraîné par les flots, devait en donner à l'homme la première idée. Il creusait le tronc pour lui donner plus de légèreté; une perche lui servait à la fois de rame et de gouvernail; monté sur ce frêle esquif, il se lançait sur la rivière voisine, puis, sa confiance grandissant avec son ambition, sur les flots autrement redoutables de la mer. Aucun doute ne peut exister sur ces essais de navigation ; les armes et les outils de pierre souvent du travail le plus primitif, ceux surtout en roches étrangères trouvés en Sardaigne, en Sicile, en Corse, dans l'île d'Elbe, dans les îles Ioniennes, n'ont pu être apportés que par la voie de mer.

Telles étaient les conclusions universellement acceptées. Une école nouvelle prétend aujourd'hui les renverser de fond en comble. L'Europe, nous dit Salomon Reinach (2) avec son talent et sa science habituels, a eu aux temps néolithiques sa civilisation propre; elle n'est tributaire

(1) Les restes du mammouth recueillis entre les embouchures de l'Obi et du Yenissei étaient accompagnés du Larix, arbre disparu depuis longtemps du N. de la Sibérie. Aux îles Liakov on a recueilli des feuilles de plusieurs espèces de Salix, qui représente aussi une flore bien plus méridionale.

(2) Le Mirage oriental. ANTHROPOLOGIE, 1893. Dès le commencement du siècle, ajoute-t-il, on a eu le sentiment d'une parenté entre les mégalithes et les monuments cyclopéens. Les représentations grossières d'idoles féminines relevées sur les monuments mégalithiques et sur les parois des grottes funéraires à Boury, à Baye, à Uzès ont leurs équivalents exacts dans la céramique de Troie et de Chypre; on retrouve les mêmes types à une époque posté

d'aucun apport étranger. Mais cette civilisation est-elle née sur les bords de la mer Égée ou de la mer Caspienne, dans les steppes de la Russie méridionale, a-t-elle rayonné en éventail de l'Europe centrale ou des pays de l'extrême Nord, c'est ce que les maîtres de l'école ne nous apprennent pas, car s'ils sont d'accord pour repousser toute intervention de l'Asie, ils ne le sont guères pour nous montrer le pays d'origine de la race qui a imprimé à l'Europe un mouvement si considérable.

La mode, fait étrange, mais indéniable, joue même dans la science un rôle important. On regardait autrefois le sanscrit comme l'aïeule, tout au moins comme la sœur aînée des différentes langues indo-européennes, aujourd'hui on nous dit qu'elle est une des plus éloignées de l'idiome primitif et que le lithuanien au contraire se rapproche de cette langue mère encore inconnue (1)!

Ce serait là, s'il était prouvé, un résultat important. Il en est d'autres qui ne le sont pas moins ni les anciens palafittes, ni les mégalithes n'ont donné soit un cylindre assyrien, soit un scarabée égyptien. Ni à Hissarlik, ni à Mycènes, nous ne voyons aucun produit de l'art chaldéen ou phénicien, asiatique ou africain (2), à l'exception peutêtre de haches en jadéite, en néphrite, en chloromélanite qui se rencontrent en assez grand nombre dans les stations. européennes datant certainement de l'époque néolithique, mais dont l'origine est aujourd'hui vivement contestée (3). D'Omalius d'Halloy avait remarqué, il y a bien des années,

rieure en Bavière, dans la Prusse occidentale, en Galicie, en Russie. Un des principaux motifs de la décoration des vases mycéniens, les fers à cheval concentriques, se trouvent à Gavr'innis en Bretagne, à New-Grange en Irlande. Un vase provenant d'un dolmen auprès de Quiberon, un autre découvert à Guben dans le Brandebourg, présentent le même système de décoration, qui a disparu de très bonne heure en Occident, devant le progrès du style géométrique. L. c., pp. 713, 726, 731 et passim.

(1) Th. Poesche, Die Arier.

(2) Ed. de Meyer, Geschichte des Alterthums, t. II, p. 178.

(3) Il est extrêmement intéressant de retrouver dans les palafittes suisses de nombreux échantillons, armes ou ornements, en jadéite, en néphrite, en

que si les Européens étaient originaires d'Asie, leurs vieilles mythologies, leurs anciennes poésies auraient dû faire allusion aux éléphants et aux chameaux, et leur

chloromélanite. Ils se rencontrent surtout dans les anciennes stations de l'âge de pierre, puis ils disparaissent complètement. D'ou viennent ces objets? Comment ont-ils été importés? On voit l'importance de la question. Sa solution entraine celle de l'origine des races qui les premières ont peuplé la Suisse ou élevé les mégalithes de notre Bretagne.

Deux hypothèses sont en présence : les partisans de la première veulent que ces minéraux soient originaires du pays même où on les trouve, que les gisements sont épuisés, ou bien, fait assez improbable en présence des récompenses offertes, qu'ils n'ont pas encore été reconnus. MM. Damour et Fischer, à l'appui de cette opinion, constatent la différence qui existe entre les jadéites asiatiques et celles provenant de l'Europe. Les jadéites de l'extrême Orient montrent une translucidité plus prononcée, des teintes plus franches, depuis le blanc de lait jusqu'aux nuances de l'émeraude; mais l'opacité de nos jadéites ne serait-elle pas due à leur long séjour dans l'eau ou sous la terre? Je serais plus frappé du nombre considérable d'objets souvent recueillis dans un espace fort restreint. Ceux par exemple provenant du lac de Constance dépassent le chiffre de mille (Leiner, Die Entwickelung von Constanz), et nous les voyons accompagnés de fragments, d'éclats, véritables déchets de fabrication qui semblent bien indiquer qu'ils ont été travaillés sur place. On cite enfin plusieurs gisements en Europe où le jade et la jadéité ont été reconnus, en très petites quantités, il est vrai. M. Traube (ANTH. Inst. of Great Britain, Jan. 1891) prétend les avoir trouvés in situ à Iordansmuhl (Silésie), plus tard dans des mines de pyrites arsénieuses à Reichenstein et dans certaines rivières de la Styrie. M. de Limur a publié un excellent travail pour prouver que le jade et ses similaires dont les échantillons sont si nombreux sous les mégalithes de la Bretagne viennent de la baie de Roguedas. Mais M. Halna du Fretay montre une hache en jade trouvée à Plomordien qui ne peut avoir cette origine. Il serait facile de citer d'autres exemples. Malgré la difficulté de trouver avec quelque certitude les gisements, la majorité de ceux qui ont étudié la question sont aujourd'hui disposés à accepter l'origine européenne du jade et de ses similaires, et les recherches micrographiques de M. Arzuni (ZEITSCHRIFT FÜR ETHNOLOGIE, t. XV, p. 163) sont venues leur apporter un appoint précieux.

Nous remarquerons que ces arguments ne s'appliquent pas à la néphrite. Les objets en néphrite sont bien plus rares que ceux en jadéite. Après avoir étudié un grand nombre de pièces provenant de diverses stations de l'Europe, MM. Damour et Fischer n'en acceptent que 18 comme absolument certaines, et elles sont tellement semblables aux néphrites asiatiques qu'il devient difficile de les séparer (Duparc et Miazet, Note sur la composition chimique de la néphrite. ANTH., 1891). Il est plus difficile encore d'appliquer les arguments des partisans de l'origine européenne des jades à la chloromélanite dont nous savons encore bien peu de chose. Mais si la néphrite et la chloromélanite ont été importées d'Asie, pourquoi n'en serait-il pas de même pour les jadéites?

Un seul fait est certain: tous ces minéraux se trouvent en grandes masses en

silence à cet égard serait inexplicable (1). Vingt ans plus tard un célèbre indianiste, Benfey (2), reprend cette objection en s'appuyant sur la linguistique.

Nous ne méconnaissons pas la force de ces arguments; mais si l'école nouvelle sait détruire, elle ne sait pas aussi bien édifier, et les objections aux théories qu'elle préconise sont autrement graves, autrement insurmontables que celles qui se rapportent aux immigrations asiatiques.

Telle sera pour le moment notre seule conclusion, car nous ne pouvons entrer ici dans les détails d'une controverse qui se poursuit avec grand talent et grande vigueur; encore moins pouvons-nous rechercher les traces laissées par les migrations successives; notre rôle est plus modeste, nous prétendons seulement raconter ce que l'on est parvenu à savoir sur ces populations qui, dans l'espoir d'une sécurité souvent bien précaire, élevaient leurs demeures au milieu des lacs ou des marais tourbeux qui dans des temps déjà bien éloignés couvraient des régions immenses.

Nous trouvons les Lacustres, tel est le nom qu'on leur donne, faute d'un meilleur, de la Bulgarie à l'Irlande, de l'Adriatique à la Baltique. Sans doute, ces demeures érigées dans un milieu différent, avec des matériaux différents, à des époques différentes, présentent de notables

Asie où il sont encore largement exploités de nos jours, tandis que jusqu'à présent nous ne connaissons, je le répète, aucun gisement important en Europe. Tel est l'état actuel de la question dégagée des arguments que l'on peut faire valoir des deux côtés. Nous n'avons pas mentionné la fibrolithe : on connaît de nombreux gisements dans le Tyrol, dans la Moravie, en Bavière, en Suisse et sur plusieurs points de la France. Il est donc inutile de parler pour ce minéral d'importation étrangère.

Il convient de consulter sur la question les excellents travaux de M. Damour, spécialement la Composition des haches en pierre trouvées dans les monuments celtiques et Nouvelles analyses sur la jadeite et sur quelques roches sodifères. Ac. DES SCIENCES, 1865, 1881.

(1) Bull. Acad. roy. de Belgique, 1848, p. 549.

(2) Préface au Wörterbuch der indog. Grundsprachen de Fick, p. 9, cité par S. Reinach, Origine des Aryens, pp. 34, 44.

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