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voitise, le besoin de conserver, la soif d'acquérir, l'envie dans le peuple, l'orgueil dans l'aristocratie, la prédominance dans l'Église, l'ambition dans le tiers état, l'avidité dans la cour, le gémissement dans le peuple, la popularité dans les tribuns de tous ces intérêts en présence, donnaient à la philosophie révolutionnaire une armée de passions suffisantes pour niveler le vieux monde et pour faire place à une nouvelle génération d'idées.

Mais sur toutes ces passions intéressées ou perverses, il faut le dire à la gloire de la nation et de l'humanité, une grande et unanime passion prévalait dans les âmes comme dans toutes les conditions: c'était la passion du bien public. L'enthousiasme de l'avenir avait saisi la France et la précipitait, avec la joie et avec le désintéressement d'une vertu publique, dans le creuset en ébullition où elle allait se consumer en se régénérant, victime volontaire, calculant pour rien ses sacrifices, ses agitations, ses dangers, ses supplices mêmes, pourvu que ces agitations, ces dangers, ces sacrifices profitassent après elle au triomphe de la raison, de la justice et de l'humanité!

Telle était l'opinion en France le jour de la convocation des états généraux. Nous dirons bientôt comment Louis XVI avait été amené à les convoquer.

IX.

Le 5 mai 1789 était le jour fixé pour l'ouverture des · états généraux à Versailles. La veille de ce jour, le roi et le peuple devaient implorer la bénédiction de la Providence divine sur le grand acte de délibération qu'ils allaient accomplir. Les cérémonies religieuses consacrées à cette invocation des lumières d'en haut devaient être célébrées la veille, 4 mai 1789, avec la solennité qui sanctifie les entreprises humaines et qui associe la religion à la politique. Le peuple de Paris, de Versailles, des villes et des campagnes voisines, appelé par la grandeur et par la nouveauté du spectacle, inondait les rues et les jardins de la résidence royale. Les députés des trois ordres de l'État, les nobles, les ecclésiastiques, les plébéiens, se rassemblèrent d'abord, par une déférence habituelle pour la majesté royale, dans l'église Notre-Dame pour attendre le roi. Ils sortirent ensuite processionnellement de ce temple et s'avancèrent séparés en trois groupes distincts, représentant les trois classes sociales qui divisaient encore la nation, vers l'église Saint-Louis, temple particulièrement affecté aux prières du roi. Les plébéiens marchaient les premiers, les nobles ensuite, le clergé après, dans l'ordre inverse de leur importance dans l'État.

Le roi, entouré de sa famille et de sa cour, s'avancait à pied, la tête découverte, derrière le dais d'or sous le

quel le pontife portait l'hostie. Le comte de Provence, depuis Louis XVIII, et le comte d'Artois, depuis Charles X, tenaient chacun un des glands des cordons du dais. Une innombrable multitude répandue dans les rues, groupée aux fenêtres et jusque sur les toits de la ville, contemplait cette procession, moitié nationale, moitié religieuse, dans laquelle un peuple conduisait son roi et un roi conduisait son peuple à la source des inspirations, dont le roi et le peuple sentaient un besoin égal avant de toucher à l'édifice social qu'ils allaient réformer.

Un recueillement pieux et confiant éclatait sur le visage du roi, une inquiétude mal déguisée sous la fierté sur les traits majestueux et irréfléchis de la reine, une assurance presque provoquante sur le front du jeune comte d'Artois, une gravité pensive et pleine de présages dans les yeux du comte de Provence. Le duc d'Orléans, premier prince du sang, semblait s'associer négligemment et par le seul devoir de son rang à ce cortége; sa phisionomie exprimait un léger dédain pour ce cérémonial, derrière lequel il adressait sa pensée et ses encouragements au peuple. Les costumes antiques, uniforme des inégalités sociales, étaient portés avec une égale ostentation par les représentants des trois ordres de la nation. Le clergé dans ses habits pontificaux, la noblesse avec l'habit brodé d'or, le chapeau à plumes blanches, l'épée, signe de sa vocation militaire; les plébéiens, nommés alors le tiers état, en simple habit noir, d'une coupe rustique, avec un petit manteau de soie sur l'épaule. Mais la pas

sion de l'égalité des conditions et de l'unité nationale, qui se révélait déjà dans la multitude, rendait le respect et la popularité inverses de l'éclat des costumes et de la prééminence du rang. Le peuple, s'ouvrant avec effort devant le cortége, applaudissait frénétiquement les communes, se taisait devant les nobles, murmurait devant le haut clergé, acclamait le roi comme pour l'attirer par des caresses au parti populaire, dédaignait le comte d'Artois, souriait au comte de Provence, se glacait au passage de la reine, saluait avec des regards d'intelligence dans le duc d'Orléans un favori naissant ou un complice futur.

Les applaudissements affectés qui éclatèrent à la vue de ce prince et l'intention évidente des applaudissements se tournant en insulte contre la reine portèrent un tel coup au cœur de cette princesse, qu'elle pâlit, chancela, s'évanouit presque d'émotion entre les bras de ses femmes et que la procession fut un moment ralentie par ces défaillances. Pour un spectateur qui aurait eu la crédulité et l'intelligence des présages, cette attitude du peuple et ces symptômes de l'opinion populaire auraient prophétisé dès ce premier pas tous les événements de la Révolution.

Quand le cortége eut pris place dans l'église Saint-Louis pour assister aux mystères du sacrifice, l'évêque de Nancy, M. de la Fare, prélat de cour, qui voulait préjuger la supériorité de son ordre et la distinction des classes, tout en flattant le peuple, commença son discours en priant le roi de recevoir les hommages du clergé, les respects

de la noblesse, les très humbles supplications des communes. Un léger murmure, étouffé par la convenance du lieu, s'éleva à cette formule. L'orateur la racheta par des gémissements sympathiques sur les misères du peuple des campagnes, sur l'âpreté inexorable des collecteurs des impôts et par des louanges au cœur bienfaisant du prince. Cette attention à la misère et au soulagement du peuple firent éclater les premiers applaudissements des trois ordres devant le roi dans le temple de Dieu. Le roi y vit le gage de l'esprit de justice et de réparation qui allait inspirer ses états généraux comme il l'inspirait lui-même. Il ouvrit son cœur aux plus douces perspectives et rentra accompagné des mêmes ivresses dans son palais.

X.

Le lendemain à midi les douze cents députés des trois ordres de la nation s'avancèrent en corps vers la salle que le roi leur avait fait préparer dans un des palais accessoires du sien, sur l'avenue de Paris. Le luxe de Louis XIV servait ainsi d'asile au peuple. Les députés se rangèrent en silence chacun dans l'espace destiné à la caste dont il faisait partie : le clergé à la droite du trône, la noblesse à gauche, les plébéiens en face. Le nombre des députés plébéiens, à cause de la double représentation qui leur avait été accordée pour établir l'équilibre numérique entre les deux ordres privilégiés d'un côté et la masse de

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