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la nation de l'autre, donnait, dès ce premier coup d'œil, aux représentants du peuple l'apparence et le sentiment d'une immense majorité. Deux mille spectateurs, parmi lesquels un nombre considérable de femmes de la cour, avides de spectacles et étonnées de nouveautés, dominaient du regard l'enceinte. Une estrade vide, surmontée d'un trône et d'un dais, attendait le roi et sa famille.

Le cortége royal qui précédait le roi entra revêtu des costumes, des insignes, des armes, appareil de l'antique monarchie. Les hérauts d'armes, les capitaines des gardes, les grands officiers de la couronne, les dignitaires de l'Église, les pairs du royaume, les conseillers d'État, les ministres, les princes, occupèrent les degrés inférieurs et les deux côtés de l'amphithéâtre. Le roi, suivi de la reine, apparut le dernier. Un cri unanime de Vive le roi! le salua du respect de l'amour et de la reconnaissance anticipée de son peuple. Son cœur s'émut, son visage rayonna d'une majesté paternelle; il salua d'une inclination de tête et d'un geste de main l'assemblée et les tribunes. L'enthousiasme s'attendrit à ces signes de confiance et de bonheur dans la physionomie du roi. Ce qui attachait les regards et l'âme de ce peuple à son souverain, ce n'était pas l'extérieur de Louis XVI, c'était son âme.

Louis XVI, quoique très jeune encore à cette époque, n'avait rien des grâces de la jeunesse, de la chevalerie, de son rang, de la beauté de sa race. Une obésité précoce alourdissait sa démarche, une timidité maladive

embarrassait son attitude, une sorte de claudication perpétuelle, en portant le poids de son buste tantôt à droite tantôt à gauche, enlevait toute majesté et toute virilité à sa stature; sa taille était épaisse et courte, son épée le gênait au lieu de le décorer; il portait mal l'habit des camps, uniforme des premiers princes de sa race; ses yeux larges et bleus, mais éblouis et vacillants, ne fixaient rien d'un regard ferme on sentait l'homme élevé à l'ombre et qui avait eu toujours entre la foule et lui le rempart des courtisans; son front était court et fuyant, son nez lourd et incliné de travers, sa bouche détendue et molle, l'ovale de ses joues trop arrondi et sans muscles, l'expression de sa physionomie insignifiante et plus rus-tique que royale; ses mouvements brusques et sans harmonie trahissaient au dehors une âme qui meut son corps avec peine et par secousses. L'ensemble de sa personne rappelait un honnête paysan arraché de sa glèbe, vêtu en prince par quelque dérision de la destinée et forcé de paraître à regret devant une multitude imposante. Mais cette rusticité même de l'apparence de Louis XVI était en ce moment un des éléments de l'attendrissement qu'il excitait dans son peuple. L'honnêteté, la bonté, la candeur, la mollesse même de sa nature, répandaient sur sa physionomie un caractère de loyauté, de cordialité, de paternité qui détournait tout soupçon de violence ou de ruse dans l'imagination de ses sujets. Ce que voulait la France alors pour coopérer à sa pensée, ce n'était ni le génie, ni la guerre, ni la majesté sur le trône : c'était

l'honnêteté, la droiture et la bonne intention. Toutes ces vertus étaient celles de Louis XVI, et à travers les disgrâces naturelles du roi, ses traits exprimaient avec une évidence touchante l'homme de bien.

XI.

La reine, par le contraste de sa noblesse, de son énergie mobile et de son éclatante beauté, faisait une impression contraire sur les yeux de la foule. On l'admirait, on l'encensait, mais on la redoutait. Déjà depuis longtemps sa popularité passagère avait fait place dans l'opinion publique aux ombrages, aux reproches, aux accusations, aux calomnies. Le peuple voyait en elle la supériorité de nature et d'intelligence, mais le génie superbe et dédaigneux des cours, la complice secrète de l'aristocratie, l'inspiratrice des conseils antipopulaires, la fatalité chère mais dominatrice du roi. Marie-Antoinette avait le sentiment de cette impopularité précoce. Des murmures significatifs de la multitude la lui avaient révélée la veille jusque dans les cours de son palais et sous l'ombre de son mari. Sa pâleur, sa fierté humiliée, qui semblait demander justice ou grâce à son peuple, des larmes d'émotion qui voilaient l'éclat de ses beaux yeux, une inquiétude prophétique qui se révélait par un fond de tristesse sous une joie feinte, et par l'agitation de sa physionomie, attiraient tous les regards sur elle. Elle semblait vouloir les écarter.

Le comte de Provence, Monsieur, frère aîné du roi, avait une extrême ressemblance de buste avec son frère, mais les yeux rayonnaient d'intelligence, la bouche de grâce, la physionomie de finesse. On sentait la supériorité qui se voile de peur d'exciter les ombrages de la médiocrité. Il ne manquait à ce visage qu'un accent viril pour lui donner l'expression du génie.

Ce prince, philosophe dès son jeune âge, mais prince avant tout, cherchait à contre-balancer par des concessions savantes à l'esprit du siècle la popularité hostile et turbulente du duc d'Orléans. L'opinion lui tenait compte de ses avances, mais elle ne se livrait pas avec une pleine sécurité à lui. Elle redoutait son esprit, elle se défiait de sa sincérité ou de sa constance, elle craignait la ruse sous l'abandon.

Le comte d'Artois, le plus jeune des trois frères, dans toute la fleur de sa beauté, n'attirait que les regards des femmes, des courtisans et des militaires. Toute la grâce, toute l'élégance et toute la majesté de sa race étaient personnifiées en lui. Mais il n'imposait qu'aux yeux. La nature, qui s'était complue à lui composer l'extérieur d'un héros, avait oublié de lui en donner l'âme et le génie. Spirituel mais irréfléchi, généreux mais léger, naturellement brave mais amolli par les délices de la cour, idole des femmes, espoir des opinions surannées, champion de la noblesse, incapable avant sa maturité de comprendre les idées nouvelles, il s'en vengeait en les dédaignant. Il s'était laissé donner le rôle de représentant des

vieilles choses et d'adversaire des réformes à la cour. Toute sa politique consistait dans quelques mots chevaresques jetés à un temps qui ne les comprenait plus, et dans quelques gestes de son épée opposée de loin aux factions futures: c'était l'ombre de Francois Ier derrière Louis XVI, en face de Mirabeau. Sa présence irritait sans intimider le peuple.

XII.

L'homme qu'on regardait le plus après le roi et un peu au-dessous de lui, c'était le premier ministre, M. Necker. Le visage dans M. Necker était l'homme. Orgueil, solennité, pompe vide des traits, front haut, œil assuré, bouche tendue et cherchant la grâce, physionomie étrangère où la gravité germanique luttait avec la superficialité française, satisfaction de soi-même, dédain d'autrui, bonhomie affectée, modestie feinte, attitude d'un serviteur qui protége son maître, regard qui quêtait l'estime, sensibilité verbeuse et pleureuse, déplacée dans les affaires, philosophe équivoque qui se laissait caresser par l'athéisme et qui se prosternait devant les cultes d'État, enivrement visible d'une popularité de secte, honnêteté vraie, mais qui s'étalait comme un charlatanisme de parade et qui agitait avec ostentation, sur les moindres actes privés ou publics, l'affiche de la vertu; rôle perpétuellement indécis entre le sujet loyal, le parvenu infatué et le factieux populaire : tel était l'extérieur

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