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de l'excès, la vertu du vice, la liberté de l'anarchie; et ce n'est qu'en faisant cette séparation, avec un esprit juste, avec un cœur probe, et avec une main sévère, qu'on peut restaurer les principes sains de la Révolution et rendre une gloire légitime, parce qu'elle est pure, à l'esprit humain. Excuser une cause de ses erreurs ou de ses crimes, ce n'est pas la servir, c'est la retarder. La justice est la seule passion de la conscience. Le genre humain a une conscience, le plus divin des organes de l'humanité. Tant que cette conscience murmure contre les alliages que les illusions, les passions ou les vices mêlent à une vérité, cette vérité n'a pas encore conquis le monde, car quelque chose proteste en nous contre elle, et ce quelque chose, c'est Dieu.

Essayons donc de raconter la Révolution sans flatter ses faiblesses et sans pallier ses forfaits. C'est le seul moyen de restaurer ses vérités dans les âmes, de ramener le peuple à la foi en lui-même, l'intelligence aux principes, et le cœur des hommes de ce siècle à l'espérance, ce doigt de feu de la Providence qui montre le but aux nations!

III.

La grandeur de la Révolution française, c'est de n'être pas seulement une révolution de la France, mais une révolution de l'esprit humain. Sans remonter laborieusement et par d'obscures filiations à son origine, nous

dirons cette origine en deux mots : la Révolution française est née dans le monde le même jour que l'imprimerie. Une machine matérielle, la presse, en multipliant l'aliment de l'intelligence, multiplia la pensée. Guttenberg fut le précurseur de la raison moderne. Armées de l'instrument mécanique qu'une providence cachée sous l'apparence d'un hasard et d'une industrie venait de leur donner, la conscience et la raison travaillèrent sans relâche à leur double émancipation. L'une chercha Dieu dans les révélations de la nature; l'autre chercha la justice dans les institutions politiques. Toutes d'eux s'unirent quelquefois pour saper en commun deux autorités, l'Eglise intolérante et l'Etat oppresseur, que le moyen âge avait coalisés contre elles. Tantôt victorieuses, tantôt vaincues, elles marquèrent de leur sang tous leurs pas vers leur but de liberté et de justice. Martyrisées sur les bûchers de l'inquisition en Espagne, opprimées en Italie, assassinées en France par la Saint-Barthélemy, apostasiées par Henri IV, proscrites par la révocation de l'édit de Nantes sous Louis XIV, la conscience et la raison, immortelles de leur nature, avaient survécu. Elles avaient grandi en force dans ces épreuves; elles avaient filtré comme les gouttes de leur propre sang ou comme les rayons de leur lampe funéraire à travers les murs de leur cachots, dans l'esprit général de l'Europe; elles étaient parvenues dans le xvIIIe siècle à une sorte de majorité latente sous le nom de philosophie ou de rationalisme, deux mots pour exprimer une même chose:

l'intervention de la conscience libre dans la croyance, et l'intervention de la raison libre dans la réforme et dans le progrès de la société.

IV.

La philosophie du xvire siècle, dans son sens le plus élevé et le plus moral, était donc le code, non rédigé encore, de la liberté religieuse et de la liberté civile. Elle se composait, dans sa généralité confuse et diverse, de tous les progrès rationnels que deux siècles de pensée, rendue plus active et plus communicative par la découverte de l'imprimerie, avaient fait faire à l'esprit humain. On y retrouvait, en la décomposant, l'esprit scrutateur de Bacon, l'esprit méthodique de Descartes, l'esprit discuteur de Luther, l'esprit évangélique de Fénelon, l'esprit généralisateur de Montesquieu, l'esprit conjectural de Buffon, l'esprit antisuperstitieux et profanateur des traditions de Voltaire, l'esprit prolétaire de J.-J. Rousseau. Ces grands tribuns du monde intellectuel, possesseurs par leurs livres de l'oreille, de l'âme et du cœur des peuples, leur avaient, successivement ou ensemble, apporté tous les éléments d'un ordre nouveau d'idées et d'institutions: la volonté de penser plutôt que de croire, l'exemple de la révolte contre les vérités sur parole, les faits historiques pour contredire les droits des princes à la possession divine du pouvoir absolu, les faits scientifiques pour confondre les ignorances tradition

nelles de la multitude, la critique pour souffler sur les crédulités populaires, les modèles vrais ou imaginaires de civilisation, pour faire rougir les peuples par la comparaison de leur organisation servile avec ces types historiques ou fabuleux de perfection, comme dans le Télémaque ou dans le Contrat social, le rire de l'incrédulité et du dédain contre les institutions, pour encourager le siècle à porter la main sur les vieilles choses, l'éloquence pour indigner le peuple contre les supériorités, l'illusion même et la chimère pour lui donner par le mirage l'impatience d'atteindre, en renversant les obstacles, ce modèle de raison, de perfection et de justice auquel on tend sans cesse et qu'on n'atteint jamais.

V.

Telle était la philosophie du XVIIIe siècle, mieux nommée encore la philosophie révolutionnaire. A l'inverse des dogmes politiques ou religieux de l'antiquité, qui, nés des prodiges, avaient germé dans les multitudes, plus accessibles à la crédulité et au fanatisme que le petit nombre des esprits d'élite, la philosophie révolutionnaire que nous venons de décrire, précisément parce qu'elle était discussion et raisonnement, avait commencé par envahir les classes supérieures de la société française et européenne, plus susceptibles que les autres, par le loisir et l'instruction, de recevoir et de multiplier le nouveau jour qui se levait sur l'Europe. Les rois, les cours,

la noblesse, le clergé, la bourgeoisie, la classe des lettrés et des artistes, les femmes, qui sont l'imagination et l'enthousiasme de toutes les époques, avaient été les premiers adeptes de cette philosophie. Elle faisait jouir les uns du sentiment de leur supériorité d'intelligence sur les préjugés des multitudes, les autres du secret espoir de détrôner bientôt les supériorités de convention, pour inaugurer à leur place les supériorités naturelles du mérite et de la vertu; elle prenait les uns par le raisonnement, les autres par l'imagination, ceux-ci par l'orgueil, ceux-là par le sentiment, tous par cette fascination involontaire qui porte l'homme aux choses nouvelles et dans lesquelles il croit apercevoir une vérité, même quand cette vérité, dont la splendeur l'attire, peut incendier l'ordre social dont les crédulités, les priviléges et les abus ont fait son propre patrimoine.

Ce dévouement désintéressé et même suicide à une vérité ruineuse mais irrésistible fut un des caractères les plus inexplicables et les plus glorieux de la philosophie révolutionnaire dans les hautes classes de la société française au XVIIe siècle. La réforme de l'Église et de l'État y fut préméditée et accomplie par la conspiration de la cour, du haut clergé, de la noblesse et de la magistrature, classes qui n'avaient qu'à perdre dans leur écroulement ou à périr sous leurs débris. C'est la coalition des aristocraties qui donna l'idée, la passion, le signal et la force au peuple pour accomplir ensemble l'œuvre d'une régénération où la justice seule

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