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sa douzième année. Livrés à un gouverneur vertueux mais médiocre, le duc de Lavauguyon, le Dauphin et ses deux frères, le comte de Provence et le comte d'Artois, grandirent dans l'ombre des palais, loin des yeux de leur aïeul Louis XV, dont les voluptés entretenaient l'égoïsme. Ils ne reçurent pour leçons que les pratiques minutieuses d'une religion presque claustrale et les solennelles puérilités de l'étiquette. Les cérémonies d'église et de cour, la chasse et quelques lectures imposées sans discernement par leur précepteur, furent toute leur éducation. Une'semblable discipline, incapable de former des princes, était moins propre encore à former des rois, à peine pourrait-elle faire des hommes.

XXII.

Rien dans la nature ingrate et dans l'aptitude bornée du jeune héritier du trône n'était propre à surmonter ces vices de son éducation. Il n'avait point de grands défauts, mais points de grands traits dans le caractère. Il n'avait pas même ces qualités extérieures, superficielles et séduisantes qui rachètent, dans la jeunesse des princes, l'absence des solides vertus. La grâce, ce complétement du mérite et ce verni des vices, lui manquait; il était gauche, brusque, boudeur, d'une parole brève, d'un geste prompt, d'une humeur provoquante, plus enclin à choquer qu'à plaire, adonné aux seuls exercices du corps, à la chasse ou à des travaux manuels de forge

et de serrurerie qui lui donnaient l'apparence et le ton des hommes de peine. La nature semblait s'être trompée en faisant naître sur les marches du trône un prince né pour le sillon ou pour l'atelier. L'honnêteté seule de son âme le marquait d'un sceau de supériorité morale. Il était né honnête homme. La droiture et la bonne intention étaient écrites dans tous ses actes comme dans sa physionomie; de plus, il détestait les cours, où il était gêné et déplacé, et il aimait le peuple par conformité de nature autant que par devoir de situation. Si le peuple eût été juste, et si le cœur du Dauphin avait pu éclater à travers l'épaisseur et les disgrâces de sa personne, Louis XVI eût été plus justement populaire qu'Henri IV, car si Henri IV était soldat, Louis XVI était peuple plus qu'aucun roi de sa race et peut-être plus qu'aucun homme de son royaume.

Louis XV le maria à seize ans à une princesse autrichienne, Marie-Antoinette, fille de Marie-Thérèse. Cette princesse, qui n'avait elle-même que quinze ans et que la nature avait douée d'une beauté, d'une grâce et d'une intelligence faites pour décorer tous les trônes et pour fasciner tous les peuples, ne fut pendant longtemps pour le Dauphin, son mari, qu'un don prématuré et importun de la destinée. L'amour n'était pas éclos encore dans cette lourde, froide et tardive nature. Un léger vice de conformation que sa pudeur l'empêchait de révéler et de corriger par les secours de l'art lui inspirait plus de répugnance que d'attrait pour la beauté. Les fêtes de son ma

riage furent transformées en calamité publique par un incendie qui consuma l'échafaudage du feu de joie de Paris sur la place des Champs-Élysées, et qui, précipitant d'effroi la foule dans les rues voisines et dans les fossés des Tuileries, étouffa des centaines de femmes, de vieillards et d'enfants sous le poids de la multitude. Le préjugé national, déjà contraire à l'introduction d'une princesse autrichienne dans la couche d'un roi de France, s'assombrit comme d'un sinistre augure de ce désastre dont cette princesse était l'occasion. L'éclat, l'attrait, l'invincible séduction de la jeune princesse, triomphèrent cependant de ce présage sur les yeux de la cour et du peuple. Elle devint l'idole de la nation, sans cesser d'être indifférente au Dauphin. Sa charmante popularité rejaillit jusque sur ce prince. Les vices vieillis de Louis XV contrastaient de jour en jour davantage avec la jeunesse et l'innocence de ce couple.

XXIII.

Louis XV mourut à Versailles le 10 mai 1774; le Dauphin, la Dauphine, la famille royale, la cour, les gentilshommes, attendaient en silence son dernier soupir dans les salles qui précédaient sa chambre. Dans l'incertitude du moment où ce monarque cesserait de vivre et où l'étiquette commanderait au nouveau roi de quitter le palais du roi mort, on était convenu avec les chefs des écuries chargés d'amener les voitures, qu'une bougie qui

brûlait à une fenêtre de l'appartement royal serait éteinte au moment où la vie du mourant s'éteindrait de même, et que ce signal muet serait celui de l'entrée des équipages dans les cours du palais. A la minute où la bougie s'éteignit, le Dauphin, retiré seul avec la Dauphine dans son appartement, entendit un bruit semblable à un roulement de tonnerre dans l'intérieur du palais. Il se leva troublé à ce bruit inusité qui se rapprochait de lui. C'étaient les pas précipités des milliers de courtisans et d'officiers de la couronne qui désertaient l'antichambre du roi mort pour se précipiter dans l'antichambre du roi futur. A cette rumeur, qui leur annonçait tumultueusement un règne de bruit et d'agitation comme sa première heure, le jeune roi et la jeune reine tombèrent instinctivement à genoux et s'écrièrent d'une même voix en joignant les mains: « Mon Dieu, protégez-nous! nous régnons trop jeunes! » Le roi n'avait pas vingt ans, la reine dix-neuf, et le royaume, affaissé sous les vices du règne, aurait demandé, pour se relever et se raffermir, le coup d'œil du génie, le cœur de l'héroïsme, la maturité d'un sage,

XXIV.

Le roi, la reine, la cour, partirent à l'instant pour Choisy, retraite royale préparée pour le deuil.

Depuis Louis XIV, le ministre était le règne. Le choix du ministre fut la première pensée du roi.

L'administration décriée de Louis XV ne permettait pas de laisser, après sa sépulture, le gouvernement au duc d'Aiguillon, complice du règne scandaleux d'une courtisane, madame du Barry. Marie-Antoinette désirait rappeler au pouvoir le duc de Choiseul, homme d'Etat disgracié, mais populaire. Elle lui devait son titre de reine de France; l'énergie et l'habileté du duc de Choiseul, quoique mêlées de légèreté, pouvaient retremper le pouvoir et rendre quelque grandeur à la politique. Ce ministre avait gouverné longtemps heureusement, hardiment. Il était tombé, avant sa réputation, sous une intrigue de courtisans. Sa chute avait rajeuni son crédit sur l'opinion. Sa témérité de main et sa résolution dans le maniement des affaires, sa pratique des choses et des hommes, son autorité en Europe, son affiliation avec les philosophes, maîtres de l'opinion, qu'il flattait en les contenant, sa diplomatie dominatrice sur le clergé et sur le parlement, et, par dessus tout, l'affection de Marie-Thérèse, mère de Marie-Antoinette, qui n'oubliait pas qu'elle devait au duc de Choiseul l'alliance de la France et la grandeur de sa fille, faisaient du duc de Choiseul l'homme prédestiné du nouveau règne. La France et l'Europe l'attendaient. La piété filiale du jeune roi l'écarta.

Le duc de Choiseul avait blessé la conscience du Dauphin père de Louis XVI par le bannissement des jésuites. Ce prince le regardait comme le précurseur du règne de la philosophie et comme le destructeur de

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