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des talens et la différence des personnes, vous pourriez la borner à un certain nombre, et en exclure ceux qui n'auroient pas les mêmes avantages et seroient sujets à des vices tout opposés. Vous auriez droit de vous en tenir à la règle que je vous aurois prescrite, et vous pourriez me représenter que tels et tels ne vous conviennent point et qu'ils n'ont rien d'engageant pour vous; qu'ils sont fiers et hautains, qu'ils sont critiques et médisans, qu'ils sont faux et menteurs ; que ce sont de petits génies, sans lumière et sans connoissance; que ce sont des ames dures, sans condescendance et sans pitié ; qu'ils n'ont ni retenue, ni pudeur, ni crainte de Dieu, ni religion; que plus d'une fois même ils vous ont personnellement attaqué et insulté, et que tout cela justifie assez l'indifférence avec laquelle vous les regardez, et le peu de part que vous prenez à ce qui les touche.

Ces considérations, je l'avoue, ne sont pas tout à fait déraisonnables, à en juger suivant les vues purement humaines. Aimer ceux qui nous aiment; ceux qui nous marquent de l'estime, de la confiance, de la bienveillance ; ceux avec qui nous sympathisons et qui nous plaisent; ceux qui dans la société ont des manières plus liantes et plus propres à nous attacher; au contraire, mépriser qui nous méprise; fuir qui nous déplaît, qui nous ennuie, qui nous gêne, qui nous choque; se ressentir d'une injure, et user de retour envers celui qui nous blesse; le traiter comme il nous traite, ou le délaisser comme il nous délaisse voilà ce qu'inspire la nature; mais ce n'est point ce que l'évangile nous apprend. Ce n'est point là seulement ce qu'exige de nous la loi de Dieu; et puisque je parle ici en qualité de ministre de Dieu et de son évangile, la charité que je prétends vous enseigner, ne connoît point toutes ces distinctions et ne les souffre point, parce que le motif

sur quoi elle est fondée, s'étend à tout sans distinction, et qu'il comprend généralement tout ce qu'il y a d'hommes sur la terre, sans exception de personne.

aimez

Car je vous dis précisément d'aimer le prochain, soit qu'il ait toutes les perfections qu'on peut désirer dans un homme accompli, ou qu'il n'en ait aucune; soit qu'il possède tous les dons d'intelligence, de science, de sagesse, de probité, d'équité, de politesse, d'honnêteté, ou qu'il en soit absolument dépourvu; soit que sa naissance, sa fortune le relève, ou que sa condition et sa misère l'avilisse. En un mot, quel qu'il soit et en quelque situation que vous le supposiez, c'est toujours votre prochain; et comme votre prochain, Dieu veut que vous l'aimiez. Il le veut, dis-je, et il vous dit : Si ce n'est pas pour lui-même que vous l'aimez, le pour moi. De ne l'aimer que pour lui-même, ce seroit une charité toute profane, sujette à mille exceptions et à mille variations; mais de l'aimer pour moi, c'est ce qui doit rehausser le prix de votre charité et la sanctifier. Afin de nous ôter tout prétexte, et de donner à notre charité un mérite supérieur en lui proposant un objet tout sacré et tout divin, Dieu se substitue à la place du prochain. Il nous déclare dans les termes les plus exprès et les plus touchans, que tout le bien que nous ferons à autrui, fût-ce au plus petit et au dernier des hommes, il l'acceptera et le comptera comme fait à lui-même, dès que nous le ferons en son nom. Qu'aurions-nous là-dessus à répondre? et si nous sommes insensibles à cette raison souveraine, il faut que nous ne connoissions, ni ce que nous devons à Dieu, ni ce que nous nous devons à nous-mêmes.

Je dis ce que nous devons à Dieu : car, pour appliquer ici ce que saint Paul écrivoit à son disciple Philémon, en lui renvoyant Onésime et lui recommandant de recevoir avec douceur et avec bonté cet esclave fugitif, il me semble

que Dieu, dans le fond de l'ame,nousadresse les mêmes paroles au sujet de chacun de nos frères : Usez-en envers lui comme si c'étoit moi-même. Peut-être vous a-t-il fait tort, et peut-être vous est-il redevable en quelque chose; mais je prends tout sur moi, et si vous voulez, c'est moi qui vous le dois: je vous satisferai; pour ne pas dire que vous vous devez vous-même tout à moi (1). J'ajoute ce que nous nous devons à nous-mêmes. Et en effet, nous sommes doublement intéressés à maintenir cette loi de charité établie de Dieu : car en premier lieu, la même loi qui nous ordonne d'aimer le prochain, sans égard à toutes les raisons qui, selon le sentiment naturel, pourroient nous indisposer contre lui et nous retirer de lui, ordonne pareillement au prochain d'avoir pour nous la même indulgence et de nous rendre les mêmes devoirs de la charité évangélique. En second lieu, cette vue de Dieu que nous devons nous proposer dans l'amour du prochain, c'est ce qui consacre, pour ainsi parler, notre charité, et ce qui y attache le mérite le plus excellent. Nous y pouvons faire à Dieu bien des sacrifices, par la pénitence ct les austérités, par la patience dans les adversités, par le renoncement au monde et à toutes ses vanités; mais de tous les sacrifices, j'ose dire qu'il n'en est point de plus méritoire devant Dieu que le sacrifice de notre cœur et de ses affections par la charité. Supporter le prochain pour Dieu, pardonner au prochain pour Dieu, modérer pour Dieu nos ressentimens, adoucir nos aigreurs, réprimer nos colères, surmonter nos répugnances, que c'est une vertu peu connue des personnes même qui font une plus haute profession de piété! ou, pour mieux dire, sans cette vertu y a-t-il une piété solide et de quelque prix auprès de Dieu ?

III. Je dois aimer mon prochain comme Dieu : c'est

(1) V. 18

à-dire que je dois l'aimer de la même manière, par proportion, que Dieu l'aime. Grand et divin modèle que Jésus-Christ lui-même nous a proposé dans son évangile, lorsqu'instruisant ses disciples sur la charité du prochain, et en particulier sur le pardon des injures et l'amour des ennemis, il conclut : Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait (1). Car selon le texte sacré, cette perfection en quoi Dieu veut surtout que nous l'imitions autant qu'il est possible à notre foiblesse aidée du secours de la grâce, c'est la perfection de la charité; et c'est aussi conformément à cette même règle et dans le même sens que le Sauveur du monde disoit aux apôtres : Je vous fais un commandement nouveau, qui est de vous entr'aimer comme je vous ai aimés (2). Commandement nouveau, non point que la charité n'ait pas été une vertu de tous les temps, mais parce qu'elle est singulièrement et plus excellemment la vertu du christianisme. Or comment Dien, comment Jésus-Christ, Fils de Dieu et vrai Dieu, nous a-t-il aimés? d'un amour sincère, d'un amour efficace, et, pour m'exprimer de la sorte, d'un amour salutaire et sanctifiant? D'un amour sincère, par une bienveillance et une affection véritable du cœur; d'un amour efficace, et mis en œuvre par mille bienfaits. Enfin d'un amour que j'appelle salutaire et sanctifiant, parce que dans les vues de Dieu il ne tend qu'à notre sanctification et à notre salut, et que c'en est là le dernier et le principal objet : trois qualités de la vraie charité. Plût au ciel qu'elles fussent aussi communes qu'elles sont conformes à l'esprit de la religion et à cette loi d'amour qu'un Dieu-homme est venu établir parmi les hommes !

Charité sincère et du cœur. A juger par les dehors, jamais siècle ne fut plus charitable que le nôtre, puisque jamais siècle n'eut plus l'extérieur et toutes les ap

(1) Matth. 5.- (2) Joan. 13.

parences de la charité. On est civil, honnête, poli; on a des airs affables, grâcieux, insinuans; on affecte une complaisance infinie dans la société : on sait, et l'on se pique de savoir se conformer au goût, aux inclinations, à toutes les volontés des personnes avec qui l'on est en relation. Voilà en quoi consiste la science du monde. Ce ne sont que promesses obligeantes, qu'expressions affectueuses, que protestations de service, et d'un dévouement sans réserve. Mais dans le fond qu'est-ce que tout cela, sinon un langage? Langage qui dit tout, et qui ne dit rien; qui embrasse tout, et qui ne va à rien; où le cœur paroît s'épancher dans les plus beaux senti

et ne sent rien; langage dont le monde n'est point la dupe car avec le moindre rayon de lumière, on perce tout d'un coup au travers de ces apparences, et l'on entend tout ce qu'elles signifient. On réduit les paroles à leur vrai sens, les empressemens étudiés, les témoignages les plus spécieux à leur juste valeur. Ce sont, selon l'opinion commune, des complimens; ce sont des bienséances, des usages, des façons d'agir: rien davantage. De sorte que quiconque feroit fonds sur cela, et voudroit tirer de là quelque conséquence en sa faveur, seroit regardé comme un homme sans expérience, et dépourvu de toute raison.

En effet, si nous pouvions pénétrer dans le secret des ames et en découvrir les dispositions intérieures, de quoi serions-nous témoins, et sous ce voile de charité que verrions-nous? l'indifférence la plus parfaite à l'égard de ceux-là même pour qui il semble qu'on brûle de zèle. Encore est-ce peu que cette indifférence; et si du moins on s'en tenoit là, ce seroit un état plus tolérable, et le mal seroit moins grand : mais je dis plus, et sous cet extérieur charitable et officieux, que verrions-nous? les soulèvemens de cœur, les mépris, les jalousies, les desseins de nuire, de traverser, d'abaisser,

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