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rencontres, et ne lui manque jamais au besoin : caraċtère digne d'une ame bien née, et qu'on ne peut assez estimer. Mais dans ce caractère si estimable, il y a néanmoins des limites où il faut se contenir, et des extrémités dont on doit se garantir: or ce sont ces limites que le monde ne connoît point, et c'est dans ces extrémités mêmes que le monde met la perfection de l'amitié. Car qu'est-ce qu'un solide ami, selon les principes du monde? qu'est-ce qu'un ami sur qui l'on compte, de qui l'on se tient assuré comme de soimême, en qui l'on a une confiance sans réserve, et dont on ne sauroit trop exalter la droiture, la fidélité, le bon cœur? qu'est-ce, dis-je, que cet ami? c'est un homme prêt à entrer dans tous les intérêts de son ami, fussentils les plus mal fondés et les plus injustes; prêt à entrer dans toutes les passions de son ami, fussent-elles les plus déréglées et les plus violentes; prêt même à entrer dans toutes les erreurs de son ami, fussent-elles les plus contraires à la religion et les plus fausses. Voilà ce que le monde appelle être solidement ami; voilà, selon le monde, le modèle des amis; mais quel renversement! Considérons la chose plus en détail.

I. On entre dans tous les intérêts d'un ami, et l'on s'y croit obligé par devoir : première maxime sur laquelle on règle sa conduite, et qui n'a rien, à ce qu'il semble d'abord, que de raisonnable. Mais parce que les intérêts de cet ami se trouvent souvent malheureusement attachés à des entreprises pleines d'injustice, à des prétentions sans fondement, à des usurpations, à des vexations, à des subtilités de chicane, et à des poursuites qui blessent toutes les lois de la conscience; en se portant pour ami, et voulant en faire l'office, on devient par amitié le fauteur et le complice de l'iniquité, de l'intrigue, de la fraude, de l'oppression, des plus criminels et des plus indignes procédés.

Par exemple, cet ami est engagé dans une affaire. C'est un procès qu'il intente mal à propos. Dès qu'on est son ami, on conclut qu'il faut le servir; et pour cela que ne fait-on pas? quels ressorts ne remue-t-on pas? Y a-t-il voie que l'on ne tente, adresse que l'on n'emploie, crédit et faveur que l'on n'épuise? Combien de brigues, combien de prières, combien de sollicitations et d'intercessions pour appuyer un prétendu droit que l'amitié seule soutient? On y réussit, on en vient à bout; mais de quels crimes se trouve-t-on chargé devant Dieu, pour avoir donné sa protection à une cause qui damnera tout à la fois, et celui qui l'a gagnée parce qu'elle le met en possession d'un bien mal acquis; et celui qui l'a perdue, parce qu'elle le jette dans le désespoir; et celui qui en a connu, parce qu'il a trahi son ministère ; et l'ami qui en a pris soin, parce qu'il s'est rendu responsable de tous les dommages qui en doivent provenir? N'est-ce pas là ce qui se passe tous les jours? ne sont-ce pas les preuves que le monde attend d'un attachement véritable et effectif? ne sontce pas dans son langage les coups d'ami? Coups d'ami! c'est-à-dire, détours, artifices, mensonges, fourberies. Coups d'ami! c'est-à-dire, vols et brigandages, cabales formées contre le pauvre et l'innocent, contre la veuve et l'orphelin. Coups d'ami! c'est-à-dire, inhumanités, cruautés, tyrannies.

Cependant n'exagérons rien; et sans sortir de notre exemple et du fait particulier que je rapporte, exposons-le dans les termes les plus simples et les plus favorables. Je sais que dans l'amitié dont je parle, il y a divers degrés d'abus et de désordres. Je sais que cette amitié mondaine n'agit pas également sur toutes sortes de sujets; qu'elle ne corrompt pas jusques à ce point tous les amis, et qu'il y en a d'une conscience assez timorée pour ne pour ne vouloir pas s'abandonner ouvertement

à de semblables excès. Voilà de quoi je conviens; mais du reste, dans la distinction que je veux bien faire de ces degrés différens, et dans les tempéramens même qu'on prend et où l'on croit pouvoir s'en tenir, je prétends qu'il n'y en a aucun qui puisse être justifié en quelque manière par le prétexte de l'amitié, parce qu'il n'y en a aucun qui puisse en quelque manière s'accorder, non-seulement avec le christianisme le plus exact et le plus étroit, mais avec le christianisme le plus modéré et le moins sévère.

En effet, les uns, quoique d'ailleurs ils ne manquent pas de probité, s'embarquent, pour user de cette expression, témérairement et en aveugles, dans l'affaire d'un ami, sans savoir s'il a droit ou s'il ne l'a pas; sans prendre soin de s'en éclaircir, ne voulant pas même s'en faire instruire, et croyant que ce respect est dû à l'amitié. C'est mon ami, dit-on. Je suppose qu'il est homme d'honneur, et qu'il n'a rien entrepris que dans l'ordre. Je l'offenserois de témoigner là-dessus le moindre doute, et d'en venir à une discussion qui lui seroit injurieuse. C'est ainsi qu'on raisonne ; et rassuré par ce faux raisonnement, on met tout en œuvre pour cet homme réputé ou supposé honnête homme. On agit pour lui avec la même chaleur et le même zèle que si l'on étoit convaincu qu'il a raison, et que la justice est de son côté. Mais est-il donc permis de se mettre si aisément au hasard de la violer, cette justice qu'on ne connoît pas, et qui peut être toute pour une partie adverse que l'on accable? Dieu tient sans cesse la balance en main pour peser ce qui appartient à chacun : souffrira-t-il qu'impunément l'équité soit exposée de la sorte aux indiscrétions d'une amitié zélée, qui donne à tout sans discernement? Car si cet ami a tort, si cet ami est mal établi dans ses demandes, si cet ami veut avoir ce qui n'est point à lui, et que par votre secours

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il l'obtienne contre le bon droit, les conséquences n'en peuvent être que très-pernicieuses. Mais à qui pernicieuses? sera-ce seulement au juste et au foible que poids de votre autorité a fait succomber? ne sera-ce pas encore plus à vous-même? Quand Dieu, comme s'exprime l'Ecriture, viendra juger les justices; quand il faudra lui rendre compte de cette sentence, de cet arrêt qui, pour seconder les criminelles intentions d'un ami, lequel abusoit de votre crédulité, vous a coûté tant de démarches et tant de soins, quelle excuse et quel titre de justification aurez-vous à produire? En serez-vous quitte pour dire : Seigneur, c'étoit mon ami. Je ne pensois pas qu'il fût capable d'attaquer personne sans sujet, ni qu'il voulût enlever le bien d'autrui je ne le savois pas. Mais si vous ne le saviez pas, pourquoi ne vous en informiez-vous pas ? mais si vous ne le saviez pas, pourquoi vous êtes-vous ingéré avec tant d'ardeur dans une cause dont le fond vous étoit inconnu, et dont les suites devoient retomber sur vous?

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D'autres sont plus éclairés. L'affaire de leur ami leur paroît insoutenable, et ils n'ont garde aussi de la défendre. Ils en auroient trop de scrupule, et ce seroit même se déshonorer dans le public, et se couvrir de confusion. Mais après tout, que faire, disent-ils? c'est un ami: le voilà dans un mauvais pas; l'amitié veut qu'on l'en tire le moins mal qu'il sera possible. Quel est donc l'expédient qu'on imagine? c'est de lui ménager un accommodement qui arrête le cours d'une affaire si épineuse et si fâcheuse, qui en prévienne le jugement, qui assoupisse tout, et qui lui ouvre une belle porte pour sortir d'un embarras où il étoit en danger de se perdre. Ce n'est pas assez, et l'on va plus avant ; car la même amitié demande que cet accommodement qu'on médite, on tâche de le rendre à l'ami qu'on sert, le plus avantageux ou le moins onéreux qu'il le peut être ; qu'on

lui en épargne les avances, les frais, les charges; qu'au moins on les réduise à l'égalité, quoique les droits soient si inégaux; enfin qu'on ajuste si bien les choses, ou plutôt qu'on les embrouille tellement, qu'il ne paroisse jamais qui des deux avoit plus lieu que l'autre de se plaindre. Mais la partie lésée en souffrira : c'est à quoi l'on n'a point d'égard, selon la maxime générale qu'on pense pouvoir suivre, et qu'on applique très-faussement à l'affaire présente, savoir, qu'en matière d'accommodement il est nécessaire que chacun se relâche, et qu'alors la peine, comme le gain, doit être partagée. Mais si cette partie offensée n'y consent pas? si cet homme voyant les conditions dures et hors de raison qu'on lui propose, propose, refuse de s'y soumettre et les rejette? on saura bien l'y faire venir. On formera tant d'oppositions, on suscitera tant d'incidens, on le fatiguera par tant de délais, on l'intimidera par tant de menaces, on le pressera par de si fortes instances, on l'endormira desi agréables promesses, on l'éblouira par des espérances si engageantes, en un mot, on le tournera de telle façon, qu'on lui arrachera un aveu forcé, et qu'on l'amenera presque malgré lui à ce qu'on avoit en vue, qui étoit de dégager cet ami, et de le sauver d'un écueil où il alloit infailliblement échouer. L'affaire est donc ainsi conclue, et l'on s'en applaudit, on en fait gloire, on en triomphe. Gloire dont les grands et les puissans du siècle sont surtout jaloux. Dès qu'une fois 'ils ont pris quelqu'un sous leur protection, dès qu'ils l'ont honoré de leur faveur, il semble que ce soit désormais une personne sacrée. Il faut prendre garde à ne la pas heurter le moins du monde. Ce seroit s'attaquer à euxmêmes, et oublier le respect dû à leur grandeur et à leur rang; ce seroit assez pour encourir toute leur indignation, et pour s'attirer de leur part d'étranges re

par

tours.

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