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De là vient qu'il y a des gens contre qui l'on ne peut jamais espérer de justice. Quelque dommage qu'on en reçoive, on aime mieux, sans éclat et sans bruit, se tenir dans le silence et ne rien dire, que d'avoir aucun démêlé avec eux. Et en effet, c'est souvent le parti le plus sûr et le plus sage: pourquoi? parce qu'ils ont des amis qu'ils vous mettront en tête, et qu'à l'abri de ces protecteurs ils sont en état de repousser tous vos coups, et de résister à tous vos efforts.

De là même vient encore qu'il y a des gens qui, sans nul avantage naturel, sans talent, sans service, sans nom, parviennent à tout, tandis que d'autres, avec les meilleures dispositions et d'excellentes qualités, demeurent en arrière, et ne peuvent s'avancer. Dans une concurrence, un homme de rien, et peut-être, pour n'user point d'une expression plus forte, un malhonnête homme l'emportera sur un homme de naissance et plein de vertu. Un ignorant occupera une place que le plus habile ne peut obtenir : comment cela? c'est que celui-là est porté par des amis qui le poussent; au lieu que celui-ci n'a pour patron ni pour soutien, que luimême et que son mérite. Or le mérite sans les amis ne fait rien; comme au contraire, indépendamment du mérite, il n'y a rien où l'on ne puisse prétendre avec le secours des amis. Car ce sont encore là les services d'ami, d'élever un ami, de lui procurer des emplois utiles et lucratifs, de l'établir dans des postes honorables et importans, sans considérer s'il y est propre, ou s'il ne l'est pas ; de se servir pour cela de la confiance de ceux qui distribuent les grâces, et de les tromper en leur représentant cet ami comme un homme incomparable, et un très-digne sujet ; d'écarter et de supplanter quiconque pourroit se trouver en son chemin, et lui faire obstacle; de ne ménager personne, et de sacrifier le bon ordre et le bien public à nos affections particu

lières et à la fortune d'un seul qu'on veut pourvoir.

Servons nos amis. Ayons du zèle pour leurs intérêts; mais un zèle réglé, mais un zèle selon la conscience, la justice, la raison, la prudence. Si, dans leurs vues et dans leurs projets, ils s'éloignent du devoir, et qu'ils quittent les voies droites et permises, bien loin de les autoriser, faisons-leur entendre qu'en de pareilles conjonctures ils ne doivent point compter sur nous. Découvrons-leur avec autant de fermeté et de liberté, que de charité et de douceur, leurs égaremens. Tâchons de les redresser par nos représentations et nos remontrances. S'ils nous écoutent, nous en bénirons Dieu, et ils en profiteront. S'ils ne nous écoutent pas, nous en gémirons; mais du reste nous aurons la consolation que, sans nous rendre complices de leurs mauvaises pratiques et de leurs injustes desseins, nous nous serons acquittés d'une des plus essentielles obligations de l'amitié, qui étoit de les avertir et de leur donner de bons conseils. C'est ainsi qu'on est, ou qu'on doit être ami solide.

II. On entre dans toutes les passions d'un ami, fussent-elles les plus déréglées et les plus violentes. La complaisance mutuelle entre les amis, la conformité des inclinations, la sympathie des humeurs, mêmes connoissances, mêmes habitudes, mêmes sociétés, c'est ce qui lie l'amitié, et ce qui l'entretient. Mais après tout, cette complaisance ne doit point aller trop loin; cette conformité d'inclinations, cette sympathie d'humeurs, ces connoissances, ces habitudes, ces sociétés, tout cela peut être très-dangereux et très-pernicieux, si l'on n'y met certaines barrières où l'on se renferme étroitement, et hors desquelles on se fasse une loi invioJable de ne sortir jamais. Voilà pourquoi le choix qu'on fait de ses amis, demande tant de circonspection et de précaution; car il est d'une conséquence infinie de ne

se point unir d'amitié avec des gens vicieux, débauchés, passionnés, parce qu'insensiblement l'amitié et la familiarité nous entraînent dans tous leurs vices, nous plongent dans tous leurs désordres, nous inspirent toutes leurs passions.

Et le moyen de s'en défendre, quand on se trouve communément ensemble, qu'on traite librement les uns avec les autres, qu'on n'a rien de particulier les uns pour les autres, et que d'ailleurs on est imbu de ces beaux principes du monde : qu'il faut vivre avec ses amis, qu'il faut s'accommoder à eux, faire comme eux, ou rompre avec eux; que d'être si facile à se séparer, ce seroit être un ami bien foible; que d'être si scrupuleux et si régulier, ce seroit être un ami bien importun; qu'une solide amitié est un lien indissoluble, et un engagement irrévocable où l'ami est tout à son ami; que c'est un commerce, une espèce d'association, où l'on s'unit réciproquement, pour agir toujours de concert, et pour se conduire selon les mêmes maximes; que c'est comme une ligue offensive et défensive, pour se prêter la main dans l'occasion, envers tous et contre tous? Car telles sont les idées du monde ; et, suivant ces idées, comment parle-t-on d'un ami? comment le définit-on? On dit : Voilà un ami sur qui je puis faire fonds; c'est un homme à moi. Mais qu'est-ce à dire un homme à moi? à bien prendre le sens des termes, c'est-à-dire un homme disposé à devenir le compagnon de toutes mes débauches, l'entremetteur de toutes mes liaisons criminelles, et de tous mes plaisirs même les plus infâmes; l'agent de toutes mes cabales et de toutes mes prétentions; le ministre de toutes mes inimitiés et de toutes mes vengeances; le coopérateur et l'exécuteur de toutes mes volontés, et de tout ce que peut me suggérer ou l'orgueil qui me possède, ou l'ambition qui me dévore, ou la cupidité qui me brûle, ou l'envie

qui me pique, ou la haine qui m'anime, ou le ressentiment et la colère qui me transportent.

Ce ne sont point là des exagérations: on en peut juger par la pratique. Qu'un ami soit un homme de bonne chère; que ce soit un homme ennemi du travail, et plongé dans une vie molle, sensuelle, tout animale, il n'y a point d'excès ni d'intempérances où l'on ne s'abandonne pour lui tenir compagnie, et pour lui complaire que dis-je ? on est le premier à l'exciter et à le réveiller. Excès où l'on s'abrutit dans les sens, où l'on éteint toutes les lumières de sa raison, où l'on ruine sa santé; où l'on se perd d'honneur et de réputation, où l'on se porte même souvent sans goût, et contre le penchant naturel et l'inclination. Mais il n'importe (belle réponse qu'on fait aux remontrances qu'on entend quelquefois là-dessus), il n'importe : c'est un ami, nous ne nous quittons point. Et n'est-ce pas ainsi qu'on voit dans le monde, surtout parmi la jeunesse, toutes ces sociétés d'amis oisifs et sans occupation, dont les années s'écoulent et tout le temps se consume en des réjouissances et de vains divertissemens qui tour à tour se succèdent? Avec les talens que plusieurs ont reçus de la nature, ils pourroient s'employer honorablement, faire leur chemin; se rendre utiles au public, et encore plus utiles à leurs familles, à leurs proches, à euxmêmes, à leurs propres intérêts; mais le malheureux engagement où ils se trouvent, et la liaison qu'ils ont entre eux, les arrêtent, et leur font oublier, non-seulement le soin de leur salut, mais le soin de leur établissement et de leur fortune.

Qu'un ami soit joueur, on est de toutes les parties de jeu qu'il propose. On y passe avec lui les journées, et souvent les nuits entières : tellement que la vie n'est qu'un cercle perpétuel du jeu à la table, et de la table au jeu. D'où il arrive, qu'au lieu de corriger cet ami

d'une passion si ruineuse, et pour l'ame, et pour le corps, et pour les biens temporels, on l'y entretient ; et qu'au lieu de s'en préserver comme d'une contagion très-mortelle, on la prend soi-même, et l'on devient joueur de profession et d'habitude, après ne l'avoir été d'abord que par trop de facilité et trop de condescendance. Passion qui n'est réputée entre les amis que pour un amusement honnête, et un délassement : mais l'expérience de tous les temps a bien montré quels en sont les funestes effets, et combien même elle est dommageable à l'amitié par les contestations qui naissent, et par les ruptures qui les suivent.

Qu'un ami soit querelleur, on épouse toutes ses querelles ; et dès-là l'on ne se croit plus permis de voir des gens avec qui néanmoins on n'a jamais rien eu de personnel à démêler. On ne s'informe point s'ils sont en faute ou non, s' s'ils sont offenseurs ou offensés. C'est assez qu'ils soient mal avec notre ami, c'est assez qu'il ne soit pas content d'eux, et qu'ils aient encouru sa disgrâce; fussent-ils du reste les plus honnêtes gens du monde, on s'en éloigne, on les évite, on se déclare contre eux en toute rencontre, et sur quelque sujet que ce puisse être. C'est de quoi nous avons des exemples plus fréquens et plus marqués dans le grand monde, ou dans ceux qui approchent les grands du monde. Soit jalousie d'autorité, soit toute autre cause, on sait combien il est ordinaire que la diversité des intérêts divise les grandes maisons, et qu'elle les soulève l'une contre l'autre.

Divisions qui éclatent au-dehors, et qui ne deviennent que trop publiques. Divisions, pour ainsi dire, héréditaires, qui des pères se communiquent aux enfans, et se perpétuent de génération en génération. Or, selon la coutume et le train du monde, quelle conduite doivent tenir tous ceux que le lien de l'amitié attache à l'une de ces maisons? Il faut qu'ils se retirent abso

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