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soulager: on peut dire, au contraire, quoiqu'avec la restriction convenable, que par le renversement le plus affreux, et selon l'expression commune, la plupart des hommes sont, au regard des autres hommes, comme des loups ravissans, qui ne cherchent qu'à surprendre leur proie et à la dévorer (1).

On se hait et l'on s'offense mutuellement les uns les autres, on se décrie et l'on se ruine de réputation les uns les autres, on se dresse des embùches, et l'on travaille à se tromper, à se supplanter, à se dépouiller les uns les autres. Que voyons-nous autre chose que des querelles et des divisions; et de quoi entendons-nous parler plus ordinairement que de procès, de contestations, d'inimitiés, de calomnies, de fourberies, d'impostures, d'injustices, de vexations? D'où il arrive que quiconque aime la paix et veut assurer son repos, se tient, autant qu'il peut, éloigné de la multitude, comme si la compagnie des hommes et leur présence étoit incompatible avec la douceur et la tranquillité de la vie..

Que ces désordres règnent dans les cours des princes, je n'en suis point surpris: car on sait assez quel est l'esprit de la cour; et parce que les intérêts y sont beaucoup plus grands que partout ailleurs, les passions y sont aussi beaucoup plus vives et plus ardentes. Qu'estce en effet que la cour? le siége de la politique, mais d'une politique la plus intéressée. On n'y est occupé que de sa fortune, et l'on n'y a d'autre vue ni d'autre soin que de s'avancer, de s'élever, de se maintenir aux dépens de qui que ce soit, et par quelque voie que ce soit. Telle est l'ame qui anime tout, tel est le mobile qui remue tout, tel est le principal agent qui met tout en œuvre. Et de là même qu'est-ce communément que ce qui s'appelle gens de cour? gens sans charité et sans amitié, malgré les apparences les plus spécieuses et les (1) Homo homini lupus.

plus belles démonstrations; gens obligés d'être toujours sur la réserve, toujours dans la défiance, toujours en garde, , parce que chacun jugeant des autres par soimême, ils se connoissent tous, et qu'aucun d'eux n'ignore cette maxime générale, que, dans le train de la cour, il y a sans cesse quelque mauvais coup à craindre, et de nouvelles attaques, ou à livrer, ou à repousser.

Qu'on voie encore ces mêmes désordres dans des états du monde moins relevés, et jusque dans les dernières conditions, je n'ai point de peine à le comprendre. Eu égard à la diversité des esprits, à la différence des tempéramens, à la variété et même à la contrariété absolue des idées et des prétentions, où l'un pense d'une façon, et l'autre tout autrement, où l'un veut ceci, et l'autre cela, il n'est guère possible que le monde ne soit pas perpétuellement agité de discordes et de dissentions: pourquoi? parce que le seul lien capable d'unir les cœurs, malgré tous les sujets de désunion qui naissent, et le seul moyen qui pourroit prévenir tous les troubles et les arrêter, c'est un esprit de christianisme et de charité, et que cet esprit de charité, cet esprit chrétien, est presque entièrement banni du monde, et qu'il n'y a plus ni vertu ni action.

Mais voici ce qui me paroît bien déplorable et bien étrange. Ce n'est pas seulement à la cour ni dans le monde profane et corrompu, que la passion suscite ces guerres, et cause ces mésintelligences: mais elles ne sont que trop fréquentes au milieu même de l'Eglise, jusque dans le sanctuaire de Jésus-Christ, et entre ses ministres; jusque dans la solitude du cloître, et dans le centre de la religion. Le Fils de Dieu nous a dit à tous, dans la personne de ses apôtres : On connoîtra que vous êtes mes disciples, par l'affection mutuelle que vous aurez, et que vous témoignerez les uns envers les autres. Suivant ce principe, et pour donner à

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leur divin maître cette preuve d'un attachement invioable, les premiers chrétiens n'avoient rien plus à cœur que la charité et que le soin de la conserver entre eux. Mais dans la suite des temps, la charité de plusieurs étant venue à se refroidir, et la paix ayant commencé à se troubler parmi le troupeau fidèle, du moins lui restoit-il, ce semble, un asile en certains états plus parfaits, et spécialement dévoués à Dieu par leur caractère et leur profession. Qui l'eût cru que jamais on dût voir ce qu'on a vu tant de fois, je veux dire parmi des hommes d'Eglise, parmi des prêtres du Dieu vivant, dans des retraites et des monastères, les animosités, les jalousies, les partis, les brigues, et tous les maux qui en sont les suites funestes et scandaleuses? Où donc la charité pourra-t-elle se retirer sur la terre, et où serat-elle à couvert? Qui la maintiendra, si ceux-là même qui, selon leur ministère, devroient donner tous leurs soins à l'entretenir; qui devroient être autant de médiateurs pour concilier les esprits et terminer les différends; qui, par l'exemple d'une modération inaltérable et d'un plein désintéressement, devroient apprendre aux fidèles à réprimer leurs sentimens trop vifs, et à sacrifier sur mille points peu importans leurs droits prétendus, plutôt que de les défendre aux dépens de la tranquillité et du repos commun; si, dis-je, ceux-là même s'échappent, comme les autres, dans les rencontres, et ont leurs démêlés et leurs aversions? N'insistons pas là-dessus davantage : on n'en est que trop instruit; mais on n'en peut assez gémir.

II. Je dois aimer mon prochain pour Dieu : c'est-àdire que je dois l'aimer en vue d'obéir à Dieu, qui me l'ordonne; en vue de plaire à Dieu, qui semble n'avoir rien plus à cœur et ne nous recommander rien plus expressément ; en vue de marquer à Dieu ma fidélité, ma reconnoissance, mon amour, puisqu'un des témoi

gnages les plus certains que je puis lui en donner, et qu'il attend de moi, est de renoncer pour lui à mes propres sentimens, quelque justes d'ailleurs qu'ils me paroissent, et d'étouffer tout chagrin, toute haine, toute envie, toute antipathie qui m'indisposeroit contre le prochain et m'en éloigneroit. Motif excellent, qui relève notre charité au-dessus de tout amour purement humain, et qui en fait une charité surnaturelle et toute divine. Motif universel, qui donne à notre charité une étendue sans bornes, et qui la répand sur toutes sortes de sujets, grands et petits, riches et pauvres, domestiques, étrangers, amis, ennemis. Motif nécessaire, et sans lequel il n'est pas possible d'accomplir tout le précepte de la charité chrétienne. Car nous aurons beau consulter la raison, jamais la raison seule ne nous déterminera à certains devoirs que la charité néanmoins exige indispensablement de nous. Il n'y a qu'une vue supérieure qui puisse nous y engager, et c'est la vue de Dieu. Sous cet aspect tout nous devient, non-seulement praticable, mais facile ; et la charité ne nous prescrit rien alors de si héroïque, qui nous étonne. A toute autre considération nous pouvons opposer des difficultés mais il n'y a point de réplique à celle-ci; et que pourrions-nous alléguer pour notre défense, quand on nous dit : Dieu vous le demande; faites-le pour Dieu ?

De là donc il est aisé de voir l'illusion qui nous séduit, et la fausseté de nos excuses, quand nous voulons nous prévaloir des défauts du prochain, ou des offenses que nous pensons en avoir reçues, pour autoriser notre indifférence à son égard, et le ressentiment que nous lui témoignons par notre conduite et nos manières. On dit : C'est un homme inquiet et bizarre ; d'un moment à l'autre on ne le connoît plus, et quoi qu'on fassé, on ne peut le contenter. Le moyen d'essuyer toutes ses humeurs et d'être sans cesse exposé à ses caprices?

On dit : C'est un homme violent et emporté ; on ne sauroit lui dire une parole qu'il n'éclate tout d'un coup, et qu'il ne vous brusque sans modération et sans ménagement. On dit : C'est un mauvais cœur et un ingrat ; on a beau lui faire du bien, il n'en a nulle reconnoissance, ct ne voudroit pas vous rendre le plus léger service, après qu'on lui en a rendu d'essentiels. On dit: C'est un malade bien importun; il ne vous entretient que de ses infirmités ; et à force de se plaindre, il devient fatigant et ne donne pour lui que du dégoût. On dit : C'est mon ennemi; il a pris parti contre moi en plus 'd'une affaire; et je n'en ai jamais eu que des désagrémens. Enfin que ne dit-on pas ? car il n'est point de matière où l'on soit plus éloquent, que lorsqu'il s'agit des autres et de leurs imperfections. Les raisons, vraies ou apparentes, ne manquent point pour les mépriser et les condamner. On s'établit là-dessus, et l'on demande : Comment vivre avec des gens de ce caractère, et comment aimer ce qui n'est pas aimable?

Comment l'aimer ? à cette question la réponse est aisée et prompte : la voici telle que je l'ai déjà fait entendre, et elle est sans réplique. Comment, dis-je, l'aimer ? pour Dieu : point d'autre raison; et si cette raison ne nous suffit pas, nous cessons d'être chrétiens, et en perdant la charité du prochain, nous perdons la charité de Dieu. Développons ceci, et rendons cette importante leçon plus intelligible. Si je vous disois d'aimer le prochain, parce que l'un est homme de mérite, et qu'il a d'excellentes qualités ; parce que l'autre est un esprit doux, patient, accommodant; parce que celui-ci est d'une probité reconnue, d'une piété exemplaire, d'une vertu consommée; parce que celui-là, prévenu en votre faveur, vous comble de grâces et ne cherche qu'à vous obliger et à vous faire plaisir : vous pourriez alors mesurer votre charité selon la diversité

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