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Écrivit-il son poème, comme Jean Villani écrivit son histoire, sous la forte impression du jubilé? On l'a dit et on l'a pu croire ; en tous cas il data de l'an 1300, c'està-dire de sa trente-cinquième année, « en mi-chemin de la vie humaine, » ce voyage au pays des morts qu'il chanta dans la « Divine Comédie ». L'ère moderne, en littérature, commence là.

II.

Jusqu'alors, en effet, on n'avait connu qu'une puissance morale, l'Église, qui commandait la pensée, la science et l'art. Dans l'Europe entière, elle avait imposé sa langue à la philosophie, à l'histoire, même à la poésie: c'est en latin que furent écrits les drames naïvement dévots de Roswitha, les traditions galloises recueillies par Geoffroy de Monmouth, l'histoire poétique de Charlemagne commencée par le moine de Saint-Gall, la première version du Nibelungenlied consignée dans le poème de Waltharius. L'Église enseignait partout les mêmes arts libéraux; dans les écoles supérieures et dans les cloîtres savants, la philosophie, esclave de la théologie, s'inquiétait du même problème. Grâce à l'unité de langue et de pensée, les universités de tous pays se transmettaient leurs maîtres et leurs écoliers. Thomas d'Aquin étudiait à Cologne sous Albert le Grand et le suivait à Paris où Albert laissait son

Hanno a passar la gente modo tolto:

Che dall' un lato tutti hanno la fronte
Verso 'l castello, e vanno a Santo Pietro;
Dall' altra sponda vanno verso 'l monte.
INF., XVIII, 28-35.

nom à la place Maubert; Duns Scot professait tour à tour à Oxford, à Paris et à Cologne. Les philosophes n'étaient pas français, italiens, anglais, allemands; ils avaient pour patrie l'Église et pour école leur ordre monastique. Saint Thomas étant dominicain, les dominicains se déclaraient thomistes, et scotistes les franciscains, parce que Duns Scot était franciscain.

Ainsi les lettrés de toute nation marchaient dans le même chemin, conduits par l'autorité romaine et latine. Comme la littérature savante, les littératures vulgaires traitaient des sujets communs. Toutes se partageaient Charlemagne, le roi Arthur, les héros grecs ou romains armés chevaliers par le moyen âge; les lyriques, troubadours ou Minnesinger, chantaient le même air à peine modifié par le climat; les mêmes contes, venus de l'Inde, amusaient toutes les races indo-européennes, le drame débuta sur tous les théâtres par les mêmes scènes bibliques ; enfin, car il est inutile et fastidieux de multiplier les faits, l'Allemagne, les Flandres et la France collaboraient à la fable épique et satirique de Renart.

Mais tout cela déclinait à la fin du treizième siècle. L'Église avait fait sa tâche. Plus de croisades depuis la mort de saint Louis; plus d'Innocent III, plus de Grégoire VII. Boniface VIII, pour avoir voulu imiter ces dominateurs, allait être insulté par un souverain, outragé par un simple gentilhomme. On raconte qu'au jubilé séculaire, il s'était avancé, revêtu des insignes impériaux, à travers les multitudes prosternées, tandis qu'un héraut, brandissant devant lui deux épées symboliques, le proclamait souverain pontife et empereur de l'univers. Mais quand il osa écrire à Philippe le Bel : « Dieu nous a établi sur les rois et les royaumes pour arracher, détruire, disperser,

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édifier et planter en son nom. Ne te laisse donc pas convaincre que tu n'as pas de supérieur et que tu n'es pas soumis au chef de la hiérarchie ecclésiastique; celui qui pense ainsi n'étant qu'un infidèle et un insensé,» la bulle fut brûlée par le bourreau (1302). Un an après, le Saint-Père sera souffleté dans Anagni (ainsi le veut la tradition) par un patricien de Rome. En 1309, le Saint-Siège, confisqué par la France, ira meubler un palais d'Avignon; cette « captivité de Babylone », sans douleur et sans honneur, se prolongera fort au delà d'un demi-siècle. On a déjà vu Abélard, Arnauld de Brescia, les épicuriens, les Vaudois, les Albigeois, les premières protestations de la chair, de l'esprit, de la conscience, mais jusqu'ici tous les apostats ont été martyrs; on aura bientôt Wiclef qui mourra dans son lit. L'Église, autrefois grande et sainte, s'amoindrit, se corrompt, abdique son autorité morale et renonce même à diriger les études; les moines laissent moisir les livres que jadis ils avaient sauvés; la scolastique vermoulue tombe en poussière et ne pourra plus soutenir la religion; les philosophes du temps sont Raymond Lulle, Guillaume d'Occam: le premier, adversaire du clergé; le second, réfugié à la cour des rois, combattant contre Rome et pour eux, leur offrant la protection de sa plume contre la protection de leur épée. La poésie provençale a déjà péri de mort violente et ne se prolonge que dans son ombre au delà des Pyrénées et des Alpes. La chanson de geste s'altère de plus en plus par l'alliage du roman d'aventures; le Minnegesang, arrivé à son complet épanouissement au treizième siècle, doit bientôt s'effeuiller. Le grand succès d'hier, le Roman de la rose, allégorie sentimentale, tourne en satire violente sous la rude et lourde main de Jean de Meung. Toute la chevalerie enfin, celle des églises, des

cloîtres, des champs de bataille, des expéditions lointaines, des châteaux, des cours d'amour, le moyen âge en un mot a fait son temps; il y a partout un besoin de transformation, de rénovation, ou, puisque le terme est consacré, de renaissance. La « Divine Comédie » paraît; aussitôt l'Italie entre en scène et enlève à la France le bâton de commandement. D'un seul bond le dernier venu des dialectes néo-latins, le toscan passe de l'enfance à la jeunesse, à la maturité et devient, seul en Europe, une langue définitive. La « Divine Comédie » est donc la première œuvre de la Renaissance, et l'histoire moderne en littérature, date de l'an 1300.

III.

N'exagérons rien cependant, l'Italie existait avant Dante. Au treizième siècle (inutile de remonter plus haut) nous y trouvons Brunetto Latini l'encyclopédiste, Léonard de Pise le mathématicien, Marco Polo le géographe ; des jurisconsultes comme Accurse et Pierre des Vignes, des artistes comme Casella, Nicolas Pisan, Cimabue; l'école de droit à Bologne, l'école de médecine à Salerne attiraient des milliers d'étudiants. Thomas d'Aquin fut le docteur le plus vénéré du siècle. L'Italie avait Rome, capitale spirituelle de la chrétienté; la langue savante, le latin, lui était plus familière qu'aux autres pays; on la considérait encore comme langue nationale et maternelle. On écrivait en latin des encyclopédies, des chroniques, des histoires en prose et en vers, des chants historiques, des moralisations, des légendes, des drames sacrés. Dante avait eu sans doute, en poésie, des frères aînés,

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même un père, Guido Guinicelli de Bologne. Cependant cette poésie encore verte et déjà encombrée de mauvaise herbe n'annonçait qu'une maigre moisson. Les Siciliens avaient inventé, importé du moins le sonnet et imité la chanson (cansos) des Provençaux; les Bolonais avaient perfectionné l'un et transformé l'autre en fixant la canzone italienne. Les Toscans, d'autre part, s'étaient appliqués à rendre littéraire la forme populaire de la ballade zone, sonnet et ballade, voilà donc tout ce que la poésie en langue vulgaire avait su donner jusqu'alors. Dante (avant la Divine Comédie ») ne voulait même pas que cette poésie allât plus loin et chantât autre chose que l'amour. A son avis d'alors, c'était le seul sujet qui convînt aux dialectes populaires et ces dialectes n'avaient d'autre raison d'être, en littérature, que l'ignorance des femmes qui n'entendaient pas le latin. Ainsi raisonnait dans son traité De vulgari eloquio l'auteur prochain de « l'Enfer », du « Purgatoire » et du « Paradis », en un temps où l'on possédait déjà, non seulement la Chanson de Roland, mais aussi le poème du Cid et les Nibelungen. C'est que la langue vulgaire, en Italie, tardait à se fixer, peut-être à cause du latin, répandu partout, qui ne voulait pas lâcher prise. La première prose entièrement italienne qui soit connue est de 1231 : c'est un compte de ménage ; à cette date, Villehardouin était déjà mort, Joinville était déjà né. Les auteurs qui daignaient renoncer au latin hésitaient entre les divers dialectes de la péninsule. Dante n'en approuvait aucun, pas même le toscan, et ne montrait quelque indulgence que pour le bolonais par déférence pour son maître Guinicelli. Il raisonnait aussi sur la langue d'oil qu'il parlait non sans saveur (non insipidè) et sur la langue d'oc en laquelle il tourna quelques vers:

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