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part de Boiardo, afin de mieux déterminer quelle fut la part de l'Arioste. Le poète de Scandiano ne trouva pas seulement le sujet, la matière, les personnages et leurs noms, le ton qui convenait à ce moyen âge raconté par la Renaissance, il en fixa aussi le fond, l'idée, l'esprit. Le christianisme n'est plus le grand intérêt du sujet, ce n'est qu'une occasion d'aventures. Chrétiens et Sarrasins vivent sous une même loi, la chevalerie: croire à Christ ou à Mahomet est à peu près indifférent. Cela peut importer pour une autre vie, mais de cette autre vie les chevaliers se soucient peu. Pendant une bataille terrible où se décide le sort de la chrétienté, Roland, le pieux, le saint, le futur martyr de Roncevaux, se retire à l'écart et demande au ciel, dans une prière, que les siens soient battus. Pourquoi cela? Pour que Charlemagne, réduit aux extrémités, ait absolument besoin de son bras et, en retour, lui donne Angélique. Il y a deux camps sans doute et deux religions en présence, mais les combattants y songent le moins possible et chacun a son intention particulière, son projet personnel. Gradasse amène cent cinquante mille chevaliers du fond des Indes pour conquérir le cheval Bayard ou l'épée Durandal. Agramant traverse la mer, moins « pour agrandir la loi de Mahomet » que pour égaler son aïeul Alexandre. La haute inspiration des croisades, le profond sentiment religieux n'existe plus: ont-ils jamais existé en Italie? N'exagérons rien cependant, il y a du chevalier chez Boiardo il suffit de le comparer à Berni pour s'en convaincre, et l'on ne peut que s'incliner devant la haute aventure de ce don Quichotte en poésie qui, au printemps de la Renaissance, osa réhabiliter la grandeur tragique du bon vieux temps. Bien plus : seul ou presque seul (avant Michel-Ange, avant Machiavel) il

sentait tomber l'Italie. Peu de jours avant sa mort, en 1494, il apprit que les Français venaient de passer les Alpes; il inséra aussitôt ces vers dans le soixante-neuvième chant de son poème :

« Pendant que je chante, ô Dieu rédempteur, je vois l'Italie entière en feu par la grande fureur de ces Gaulois qui viennent changer je ne sais quel pays en désert (1) ». La plume lui tomba des mains et il en resta là.

VI.

On a vu la part de Boiardo dans la « geste italienne >> de Roland; reste à montrer la part de l'Arioste. A cet effet, il faut remonter à l'an 1503, époque où il commença son poème. Jusqu'alors il ne s'était distingué que par ses vers latins. En suivant cette voie, il fût devenu un Sannazar quelconque; c'est déjà beaucoup, mais nous n'aurions pas eu le « Roland furieux ». Par bonheur le goût commençait à se lasser des langues mortes; les femmes surtout, qui n'étaient pas toutes des savantes comme Lucrèce Borgia, tenaient fort à être chantées et « soupirées », dans une langue qu'elles pussent comprendre. Le Bembe, qui était alors l'arbitre du goût, contribua beaucoup, bien qu'il maniât le latin mieux que personne, à remettre la langue vulgaire en honneur. Quand il vint à Ferrare, on y admira fort l'élégance de ses rimes; il y composa ensuite

(1)

Mentre ch' io canto, o Dio Redentore,
Veggio l'Italia tutta a fiamma e foco,
Per questi Galli che con gran furore
Vengono per ruinar non so che loco.
Però vi lascio in questo vano amore...

ses dialogues et ses contes réunis sous le titre des Asolani. Les poètes suivirent le mouvement, entre autres Ercole Strozzi, qui avait courtisé d'abord les muses latines. Les femmes étaient pour le Bembe, homme d'Église et amoureux, deux titres pour elles, et l'Arioste inclina aussi vers le pur et doux idiome italien, que Pietro Bembo avait remis en lumière, en montrant par l'exemple ce qu'il devait être, et en le tirant de l'usage vulgaire et grossier :

Pietro

Bembo, che il puro e dolce idioma nostro,

Levato fuor dal volgare suo tetro,

Qual' esser dee, ci ha col suo esempio mostro.

On lit partout que le Bembe donna au poète de Ferrare le singulier conseil d'écrire le « Roland » en latin; cela est vrai, mais avant de s'insurger contre l'opinion du cardinal, il faudrait entendre ses raisons. Il dit à l'Arioste : « Vous êtes plus apte à écrire en latin qu'en vulgaire, et vous vous montrerez plus grand dans cette langue-là qu'en celle-ci. » Le Bembe n'avait pas tort en 1503 : les trois quarts des questions littéraires sont des questions de date. Jusque-là, en effet, messire Ludovic avait donné des vers latins assez bons, mais ses compositions en italien étaient médiocres. Voilà ce qu'il faut savoir avant de crier sur les toits que le Bembe était un pédant. L'Arioste répondit qu'il aimait mieux être un des premiers parmi les poètes italiens qu'à peine le second parmi les latins, ajoutant qu'il savait bien lui-même où penchait son génie. Réponse excellente, mais, en thèse générale, le Bembe était lui-même de cet avis. Il conseillait à Strozzi d'écrire en toscan, parce que cette langue n'était pas riche encore et pleine d'écrivains; en s'y adonnant on

pouvait espérer le succès acquis aux novateurs, à ceux qui trouvent une veine nouvelle et bonne. Tandis que si on voulait écrire en latin, on risquait de s'attirer le reproche adressé aux latins qui écrivaient en grec, c'est-àdire de porter du bois à la forêt, » ou de l'eau à la mer. . L'Arioste ne trouva pas son sujet du premier coup; il essaya d'abord un poème en terzines à l'honneur de la maison d'Este. Mais la maison d'Este ne suffisait pas pour soutenir l'intérêt dans une œuvre de longue haleine; quant à la terzine, ce mètre de la « Divine Comédie » que notre poète, en l'adoptant pour ses satires épistolaires, avait su mettre au pas ou au petit trot, lui imposant l'allure familière de la causerie, ce mètre n'avait pas la souplesse et l'ampleur nécessaires au style narratif. L'octave, encore qu'un peu lyrique, valait mieux Pulci et Boiardo l'avaient compris, du reste. L'Arioste se mit donc à suivre Boiardo et lui prit non seulement sa strophe, mais son sujet ; il continua le « Roland amoureux » qui, après avoir rempli soixante-dix-neuf chants, était encore bien loin d'avoir fini sa carrière. La matière, dans les deux ouvrages, est donc la même ; il y a un poème, la lutte entre Charlemagne et Agramant, entre le christianisme et le mahométisme; il y a deux romans: celui de Roland et d'Angélique, celui de Roger et de Bradamante; il y a les mêmes procédés de composition, de disposition, de narration, le même système d'entrelacer des aventures, de les lâcher et de les reprendre; la même attitude de l'auteur en face de son œuvre et de son public.

Y a-t-il la même idée et le même esprit ? On le conteste à présent (1); on cherche des dessous chez l'A

(1) Ugo CANELLO, op. cit.

:

rioste on prétend qu'il se proposait un but moral, la flétrissure de l'amour et l'apothéose du mariage; on veut encore lui assigner un rôle politique et l'enrôler parmi les Gibelins. L'épopée carolingienne, nous dit-on, a toujours été en faveur aux époques où il s'agissait de fortifier l'autorité royale: elle s'était formée en Françe entre l'établissement des mérovingiens et l'avènement des capétiens; elle y fleurit sous Philippe-Auguste, elle se répandit en Europe et spécialement dans la haute Italie au moment où elle y pouvait seconder les prétentions des empereurs; elle vint en Toscane appuyer la réaction antiguelfe; elle remonta dans le nord pour y exalter Charlemagne au profit de Charles-Quint. La critique a poussé l'ingéniosité jusqu'à relever une certaine analogie entre l'œuvre de Charles-Quint et celle de l'Arioste. L'œuvre du poète est un composé d'épopée, de romans et de nouvelles, un amas d'aventures accrochées à d'autres aventures, se développant d'une façon incertaine et bizarre. sur une surface frivole, tandis que le sérieux, le tragique même est au fond. Telle est la composition politique de l'Italie et de l'Europe opérée par Charles-Quint. On y entrevoit de même une vaste unité, mais mal assurée dans l'ensemble et dans les détails, c'est-à-dire dans les États particuliers qui en dépendent: le nouveau grand État avec la base royale en Espagne, avec la base impériale en Allemagne et une base mixte en Italie, est là comme en suspens, incertain sur sa nature, flottant entre son caractère germanique et son caractère néo-latin; tout paraît morcelé en petits États et en gouvernements à moitié libres qui veulent et peuvent, à la première occasion, se détacher du grand corps comme des épisodes. Cet État a des apparences bizarres; à pre

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