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IV.

Contemporainement, ou peu après, naissait en Italie la tragédie régulière. La Sofonisba du Trissin, représentée en 1515, fut un événement littéraire; on a tort aujourd'hui de le contester. Il n'y avait encore (à part l'Orfeo de Politien, belle étude lyrique) d'autres pièces sérieuses, en langue moderne, que des mystères, où intervenaient le Père éternel, Notre-Seigneur, la Madeleine et ses amoureux. On y voyait Satan bâtonné par Lucifer pour avoir manqué la tentation, la fille de la Cananéenne laissant échapper des gravelures, et l'âme de Judas mourant fort embarrassée parce qu'elle ne pouvait sortir du corps par la bouche qui avait baisé Jésus. C'est en face de ces parades religieuses que nous devons placer la « Sophonisbe >> du Trissin, non en face de la Portia shakspearienne, encore moins de la Phèdre française ou de l'Iphigénie allemande. Cette confrontation suffira pour nous montrer le chemin parcouru d'un seul bond par le poète italien. Chez lui, pour la première fois dans les langues vulgaires, nous trouvons une tragédie bien conduite, animée d'un souffle lyrique, offrant des caractères élevés, distincts, des scènes pathétiques, du charme dans la dignité. Assurément tout n'est pas parfait, mais, chose étrange! ce qu'on reproche le plus, même aujourd'hui, au Trissin, ce sont les simplicités et les naïvetés, les fautes de noblesse; on le chicane sur certaines familiarités de style, par exemple celle-ci :

« Voici un serviteur du maître qui peut à peine exhaler son souffle, et ceci, paraît-il, soit à cause du long chemin, soit pour tout autre dérangement. >>

On sourit du récit du messager qui annonce à Lælius le mariage de Massinissa avec Sophonisbe (1):

«Alors bien des murmures s'élevèrent dans le monde au sujet de ces noces soudaines, et selon l'esprit de chacun, celui-ci les approuvait, celui-là les frappait de blâme. Si bien qu'un sonneur de clairon, avant qu'on fît silence, dut crier trois fois avec un grand effort : « Écoutez, écoutez ! » Mais le peuple s'étant apaisé, un prêtre s'avança qui dit ces paroles: - «O suprême Jupiter, et toi reine du ciel, qu'il vous plaise d'accorder votre faveur à ces noces si belles et si honorées, et concédez-leur à tous deux qu'ils puissent être heureux ensemble dans un glorieux état, jusqu'au dernier jour de leur vie, en laissant au monde une descendance généreuse. » Puis, se tournant vers la reine, il dit : « Reine Sophonisbe, est-ce votre plaisir de prendre Massinissa pour époux? >> Et elle, toute rougissante, répondit que c'était son plaisir. Puis le prêtre demanda si Massinissa était content de prendre Sophonisbe pour légitime épouse, et Massinissa, d'un air joyeux, répondit qu'il était content. Et, s'approchant de la dame, il lui passa au doigt un précieux anneau. »

(1)

Allor molti susurri infra le genti
Nacquer di queste ripentine nozze;
E secondo la mente di ciascuno,
Chi le lodava e chi lor dava biasmo.
Talchè un trombetta poi con gran fatica
Fece silenzio, e gridò ben tre volte :
Udite, udite, pria che si tacesse.
Ma racchetato il vulgo, un sacerdote
Si fece avanti e disse este parole :
O sommo Giove, o tu del ciel regina,
Siate contenti di donar favore

A queste belle ed onorate nozze ;
E concedete ad ambi lor, oh' insieme
Possan godersi in glorioso stato
Fin a l'ultimo di della sua vita,
Lasciando al mondo generosa prole.
Dipoi, rivolto alla regina, disse :
Sofonisba regina, evvi in piacere

On a dit qu'un officier d'état civil n'eût pas raconté la chose autrement; cela est vrai, mais pourrait-on trouver un langage plus élevé, plus soutenu dans une tragédie de la même époque (1)? D'ailleurs, pour bien juger un auteur, il faut l'étudier sur les meilleures parties de son œuvre nous ne mesurons pas Corneille sur l'Agésilas. Voyons une des belles scènes du Trissin, la mort de l'héroïne. Sophonisbe vient de boire le poison que lui avait envoyé Massinissa. Avant de fermer les yeux, elle a voulu saluer son doux pays et la chère lumière du soleil. Sa suivante, Herminie, voudrait mourir avec elle; Sophonis be lui ordonne de vivre et lui confie son enfant (2) :

SOPH. Maintenant, au lieu de moi, tu seras sa mère.
HERM. Ainsi ferai-je, puisqu'il sera privé de vous.

Di prender Massinissa per marito,
Massinissa, ch' è qui re de' Massuli?
Ed ella, tutta vermiglia in faccia,
Disse con bassa voce esser contenta.
Poi questi dimandò se Massinissa
Era contento prender Sofonisba
Per leggitima sposa. Ed e' rispose
Ch' era contento, con allegra fronte.
E fattosi alla donna più vicino,

Le pose in dito un prezioso anello.

(1) Que l'on compare l'œuvre du Trissin à une autre Sofonisba de Galeotto del Carreto, marquis de Final, dédiée en 1502 à Isabelle, marquise du Mantoue : c'est une pièce écrite en octaves et partagée en quinze ou vingt actes: un tissu d'absurdités. (Voir Signorelli, Storia critica dei Teatri, V, pag. 28.)

(2) Sof. Ora in vece di me gli sarai madre ERM. Così farò, poichè di voi fia privo.

SOPH. O mon fils, mon fils! c'est quand tu as le plus besoin de ma vie que je me sépare de toi.

HERM. Hélas! comment ferai-je en un si grand deuil?

SOPH. Le temps allège toute douleur...

HERM. Oh! laissez-moi encore venir avec vous!

SOPH.

C'est bien assez de ma mort.

HERM. O fortune cruelle, de quoi me dépouilles-tu?

SOPH. O ma mère, que vous êtes loin de moi ! Si j'avais pu vous voir au moins une seule fois et vous embrasser dans ma mort!

HERM. Heureuse, elle, heureuse qui ne voit pas cet affreux malheur ! Le mal nous paraît bien moins dur quand on ne fait que l'entendre!..

SOPH. Mon Herminie, toi seule maintenant me tiens lieu de père, de frère, de sœur et de mère.

HERM. Hélas! si je pouvais valoir un seul d'entre eux!... SOPH. Approchez-vous de moi, je veux m'appuyer sur vous, car je me sens défaillir, et déjà la nuit ténébreuse descend sur mes yeux.

SOF.

ERM.

SOF.
ERM.

SOF.

ERM.

SOF.

ERM.

SOF.

ERM.
SOF.

O figlio, figlio! quando più bisogno
Hai de la vita mia, da te mi parto.
Ohimè come farò fra tanta doglia?
Il tempo suol far lieve ogni dolore.
Deh! lasciatemi ancor venir con voi!
Basta ben, basta de la morte mia.
O fortuna crudel, di che mi spogli?
O madre mia, quanto lontana siete!
Almen potuto avessi una sol volta
Vedervi ed abbracciar nella mia morte!
Felice lei, felice, che non vede
Questo caso crudel, ch' assai men grave
Ci pare il mal che solamente s' ode...
Erminia mia, tu sola a questo tempo
Mi sei padre, fratel, sorella e madre.
Lassa, valessi pur per un di loro!..
Accostatevi a me, voglio appoggiarmi,
Ch' io mi sento mancare, e già la notte
Tenebrosa ne vien ne gli occhi miei.

HERM. Appuyez-vous seulement sur mon sein.

SOPH. O mon fils, tu n'auras plus de mère, elle s'en va, reste avec Dieu!

HERM. Hélas! quelle chose douloureuse je viens d'entendre. Ne nous quittez pas encore, ne nous quittez pas!

SOPH. Je ne puis faire autrement, je suis en route...

LE CHŒUR. Levez vos yeux vers celui-ci (votre fils) qui vous embrasse. Regardez-le un peu.

SOPH. Hélas! je ne peux plus.

LE CHEUR. Dieu vous accueille en paix!
SOPH. Je vais, adieu.

Pas une note fausse, pas une image, une fioriture, une hyperbole. C'est le pathétique simple, la nature prise sur le vif: l'art atteint cette hauteur suprême où il disparaît: et la tragédie est de 1515! On y trouve assurément bien des lenteurs, bien des inexpériences; la première scène est un long prologue où Sophonisbe raconte à sa confidente quantité de choses que la confidente doit savoir par cœur. Mais l'art était alors dans l'enfance et cette enfance devait se prolonger longtemps encore; on ne connaît que trop les interminables expositions narratives de Calderon. Au reste Trissin lui-même parut se douter

ERM.
Sof.

ERM.

Appoggiatevi pur sopra 'l mio petto.
O figlio mio, tu non arai più madre;
Ella già se ne va, statti con Dio!
Ohimè, che cosa dolorosa ascolto!
Non ci lasciate ancor, non ci lasciate!
I' non posso far altro, e sono in via...
Alzate il viso a questo che vi bacia...
CORO. Riguardatelo un poco.

SOF.

ERM.

SOF.

CORO. Dio vi raccolga in pace.

SOF.

Ahimè, non posso.

Io vado, addio.

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