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temps de conclure et de lui assigner sa place et son rang parmi les maîtres de la Renaissance.

VI.

De quelle Renaissance? Il en est deux pour le moins : la première date de l'an 1300 et Dante en fut le plus grand poète; l'autre s'est épanouie deux siècles plus tard et nous donna l'Arioste et Raphaël. L'une et l'autre sont des retours à l'antiquité, des mariages entre l'antiquité et le christianisme. Mais, dans la première, c'est le christianisme qui domine et n'emprunte aux anciens que des formes et des grâces, tandis que dans la seconde, les formes et les grâces ont pris tant d'importance qu'elles sont devenues la chose essentielle, et qu'elles ont presque effacé l'idée et le sentiment chrétiens. La première touche encore au Moyen-Age; dans la seconde, il semble que le catholicisme, sa foi, son art, aient fait leur temps. Le paganisme est revenu, et, avec lui, toute une civilisation morte ou du moins disparue. Il s'est emparé, pour la policer et la rajeunir, d'une société demi-barbare et lasse de sa barbarie. Il la fait sortir d'un long jeûne pour lui rendre toutes les fêtes, toutes les folies du carnaval, pour l'enivrer de plaisir et de lumière; et tous à la fois, petits et grands, même les princes, même les papes, oubliant la religion. qui leur avait dit : « Heureux ceux qui pleurent,» sont retournés avec un entraînement irrésistible à la sagesse heureuse et sereine des anciens dieux. Et, à l'image de ces anciens dieux, ils ont refait les divinités catholiques: l'immuable Jupiter est resté dans son Olympe, père universel de la création; la Venus genitrix, vêtue, il est vrai,

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mais peu changée, a gardé sa jeunesse à la fois virginale et maternelle eile regarde à ses pieds, comme autrefois, l'enfant divin que les poètes appellent encore le premier amour; les cavaliers du Parthénon sont descendus de leur frise pour caracoler dans les Panathénées de la Rome nouvelle; l'art enfin, s'emparant de toutes les idées, de toutes les croyances, de toutes les traditions, conquérant du monde, maître absolu des âmes, a régné seul. Aux naïves extases des moines, aux sombres visions des ascètes, a succédé ce perpétuel enchantement du sixième sens qui n'a pas besoin de foi, ni même d'amour, pour être ravi; l'artiste est devenu le prêtre et, choisissant dans les légendes de tous les temps, écartant les images repoussantes ou douloureuses, il célèbre indifféremment dans le triomphe de Galatée, dans la Dispute du Saint-Sacrement, dans l'École d'Athènes, dans le Parnasse, la transfiguration radieuse de la forme humaine et l'éternelle apothéose de la beauté. Voilà Raphaël, le roi de la seconde renaissance.

Mais Michel-Ange, né avant Raphaël, et mort après lui, lui est à la fois antérieur et postérieur; il nous paraît aujourd'hui plus ancien et plus moderne ; il appartient à ce mouvement qui avait commencé, dès la fin du treizième siècle, en Italie, et qui devait recommencer plus tard et ailleurs : il est de cette famille de malheureux qui se mettent eux-mêmes dans leur œuvre, dont l'âme tourmentée se livre, dont le cœur déchiré s'épanche et qui écrivent avec leur sang. Il descend de Dante, ou, plutôt, il est le Dante de la peinture. S'il avait dû écrire un long poème, il aurait fait la « Divine Comédie ». Si Dante avait eu un grand mur à peindre, il aurait fait le « Jugement dernier ».

On s'en aperçoit dès le premier chant de l'Enfer : un

art nouveau commence, qui brise toutes les traditions, exprime des idées inconnues des anciens, répond à des besoins plus sérieux, parle une autre langue, plus familière et plus intime; il ne se pique plus de style noble, ignorant ce qui passait pour noble avant Jésus, car le christianisme a divinisé ce qui était vulgaire ou infâme, l'étable et la crèche de Bethleem, le gibet qui est devenu la croix. Cet art vénère l'antiquité qu'il croit suivre comme Dante suivait Virgile en l'appelant son guide; il n'en devient pas moins populaire, trivial même et profondément humain; il a l'air de rêver un vague idéal ou une convention impérieuse; mais il regarde la nature et la peint comme il la voit. Rien de repoussant ne lui répugne, ni le ver du sépulcre, ni la chair putréfiée, ni aucune des horreurs qui sont dans la Bible et que les Giotto, les Orcagna, ne craignent pas de montrer aux yeux. Bien plus, il se complaît dans ces images; car ce n'est pas le goût qui le conduit, c'est l'imagination naïve et libre qui l'entraîne, et cette imagination ne demande qu'à être frappée violemment. L'art est donc croyant, populaire, réaliste, il copie la bête humaine d'après nature, et, pour l'idéaliser, l'exagère; il cherche la grandeur dans l'outrance et, loin de diviniser les corps, comme le feront les restaurateurs de l'antique idéal, en adoucissant les contours, en effaçant les saillies, il veut que tout cela ressorte, éclate, effraye, écrase par une exubérance de force et de fureur. C'est ainsi qu'il rend la nature et qu'il rend la vie. Il prend toutes les douleurs morales et les grossit pour en peupler une nécropole immense, un univers souterrain, reproduction ténébreuse du monde qu'éclaire le soleil. Le poète ne se contente pas de créer cet abîme, il y descend, il s'y enfonce, plongeant à chaque pas plus avant dans le froid et

dans la nuit; il en revient, non pas calme et vainqueur comme Orphée, mais torturé, supplicié lui-même, portant sur son visage une couleur de mort. Si bien qu'un jour les enfants de Vérone en rencontrant cette face verdie par le reflet des cadavres, lui jetteront des pierres en criant: << Voilà l'homme qui revient de l'enfer. »

Michel-Ange ressemble à Dante; ni l'un ni l'autre n'est l'artiste parfait, parce qu'ils ont des sensations trop vives et que la fièvre n'est point faite pour charmer. Mais nous trouvons en eux plus et mieux que deux artistes parfaits, nous avons deux âmes. Ils ne font pas de l'art pour l'art, ils ont une foi, une idée, une passion à exprimer : leur œuvres sont des actions; leurs instruments, des armes. Voilà pourquoi ils ne sauraient être les prêtres inspirés de la beauté seule, comme Phidias et Raphaël; ils sont les soldats de la vérité, de la justice; et, tous deux, dans leurs œuvres suprêmes, avec l'audace de la conviction, se substituant en Dieu qui juge, ouvrent le ciel ou creusent l'enfer en son nom.

Michel-Ange lisait Dante. Ce fut longtemps sa lecture accoutumée, peut-être unique. Il possédait un exemplaire in-folio de la «<< Divine Comédie » avec six pouces de marge: et, en le lisant, il dessinait ce qu'il voyait. Ce précieux volume a été perdu avec tant d'autres choses: on a déjà remarqué que l'œuvre de Michel-Ange est celle dont le temps, les disgrâces, les accidents, la sottise humaine ont le plus détruit. Le poète et l'artiste se ressemblaient de toutes manières; tous deux Toscans, fiers, honnêtes, emportés, malheureux, adorant la patrie et rougissant de ses hontes; tous deux croyants, catholiques (1), mais croyants

(1) Michel-Ange inclina-t-il vers la Réforme? On l'a cru de nos

libres et catholiques indignés : l'un suivant Savonarole et l'autre condamnant les papes au supplice éternel. Ils se ressemblaient même dans leurs amours: Vittoria Colonna recommençait Bréatrice. Buonarroti disait d'Alighieri « Plût à Dieu que j'eusse été tel que lui-même au prix d'un sort pareil (1)!» Le sculpteur ne sentit point, il est vrai, combien est amer le pain de l'étranger,

Combien la route est dure,

A qui monte et descend les escaliers d'autrui.

Il devint riche, il vécut comblé de faveurs par les rois et les papes et entouré d'une vénération que Raphaël lui

jours, ou du moins on l'a soutenu par des raisons assez minces : sa liaison avec Vittoria Colonna qui assistait à des conférences de réformés, un sonnet (sur la mort de son père) où il ne fit pas mention du purgatoire, une lettre où il émit l'idée qu'une sincère contrition pouvait suffire au salut de l'âme à défaut de sacrements. A ces conjectures une critique mieux informée a opposé des faits irréfutables. En apprenant la mort de son père, Michel-Ange demanda si le vieillard avait passé à meilleure vie « avec toutes les choses ordonnées par l'Église », et déclara que si toutes ces cérémonies avaient été faites, «il en aurait moins de passion (de chagrin) ». Pendant qu'il travaillait à cette fameuse statue de Jules II qui couronna un jour l'église de Saint-Pétrone et qui plus tard, mise en morceaux par le peuple, fut fondue en pièces de canon, le sculpteur demandait que son père fit dire des prières « afin que la statue vienne bien ». Dans sa vieillesse, guéri d'une maladie grave, il écrivait : « J'ai eu un bon médecin, mais je crois plus aux oraisons qu'à la médecine. » Il n'était donc point un luthérien, loin de là.

(1)

Dal mondo scese ai ciechi abissi, e poi
Che l' uno e l'altro abisso vide, a Dio
Scorto dal gran pensier vivo salio
E ne diè in terra vero lume a noi.

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