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même n'eut pas le temps d'obtenir. Il fut cependant aussi malheureux que Dante; car la souffrance ne vient pas du dehors; elle ne se mesure pas, dit M. Taine, au contact des choses, mais à l'ébranlement de l'être intérieur. » Raphaël, cet indifférent sublime exalté dans son rêve, flottant au-dessus du monde, ne fut pas troublé par les misères et les hontes de son temps; il mourut jeune. Mais Michel-Ange dut vieillir au milieu de toutes ces corruptions il se sentait relegué dans son siècle comme un proscrit. Il aimait passionnément son art et il le voyait profané, même par les bons artistes, changé en métier, livré au plus offrant. Il aimait l'honneur, l'équité, la vertu, et il dut vivre sous les Médicis et sous les papes. Il aimait

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Stella d'alto valor coi raggi suoi
Gli occulti eterni a noi ciechi scoprio,

E n' ebbe il premio al fin, che il mondo rio
Dona sovente ai più pregiati eroi.

Di Dante mal fur l' opre conosciute
E'l bel desio da quel popolo ingrato,
Che solo ai giusti manca di salute.

Pur fuss' io tal! ch' a similsorte nato,
Per l'aspro esilio suo con sua virtute
Darei del mondo il più felice stato.

(Du monde il descendit aux abîmes aveugles, et après avoir vu l'un et l'autre abîme (l'enfer et le purgatoire), à Dieu, escorté de la grande pensée, il monta vivant, et nous en donna ici-bas la vraie lumière. Étoile de haute valeur, avec ses rayons, il découvrit à nous aveugles les secrets éternels, et il en reçut enfin le prix que le monde pervers donne souvent aux grands hommes les plus admirés. Les œuvres de Dante et son beau désir furent méconnus de ce peuple ingrat qui ne refuse le salut qu'aux justes. Pourtant fussé-je tel! Si j'étais destiné à un sort pareil, je donnerais pour son âpre exil et pour sa vertu le plus heureux état du monde.)

Vittoria Colonna, il aimait Florence, et l'une après l'autre il les vit mourir. Ajoutons à cela le pire isolement, celui de la vieillesse, l'incurable mélancolie de la longévité qui se traîne, toujours plus lourde et plus seule, en laissant derrière elle tous les êtres aimés dans la poussière du chemin parcouru. Il écrivait dans ses vers et dans ses lettres : « Je m'en vais peu à peu je vois chaque jour grandir l'ombre et tomber le soleil; infirme et mourant, j'approche de ma fin... Je n'ai plus une pensée qui ne soit empreinte de l'idée de la mort, » ou encore, en apprenant la naissance d'un petit Buonarroti, son neveu, et les fêtes du baptême : « On n'aurait pas dû faire ces réjouissances; ce n'est pas pour un enfant qui vient au monde qu'il faut tant d'allégresse, mais seulement pour la mort de l'homme qui a bien vécu. »>

Pauvre Buonarroti! ton seul bonheur au monde
Fut d'imprimer au marbre une grandeur profonde
Et, puissant comme Dieu, d'effrayer comme lui :

Aussi, quand tu parvins à ta saison dernière,
Vieux lion fatigué, sous ta blanche crinière,
Tu mourus longuement plein de gloire et d'ennui.

Auguste BARBIER.

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IV. Gargantua et François Rabelais.

V. Ignace de Loyola et les jésuites. Conclusion.

I.

Michel-Ange nous a conduits trop loin, l'âge d'or littéraire de la Renaissance italienne finit au tiers du siècle, vers l'an 1535. On vit alors quelques faits importants qui marquent bien la fin d'un monde et le commencement d'une ère nouvelle. Celui-ci d'abord auquel on n'a pas assez pris garde en 1535 le pape Paul III envoya Vergerio en Allemagne, où Vergerio vit Luther.

Paul III, un Farnèse qui venait de succéder à Clément VII et qui était, disent ses biographes, un homme instruit, habile et bienveillant, avait une idée sa ge dans l'esprit, la convocation d'un concile. En ce temps-là on attendait encore la paix religieuse d'une entente entre les catholiques et les luthériens; même en Allemagne un certain nombre d'esprits conciliants croyaient la transaction possible. Voilà pourquoi le pape envoya Vergerio chez

les Allemands. Pierre-Paul Vergerio, né en 1498 à Capodistria, avait étudié le droit à Padoue avec le Bembe et deux Italiens qui devaient passer à la Réforme, MarcAntoine Flaminio et Pierre Martyr. Ses études achevées, après quelque séjour à Padoue, à Vérone, à Venise, il était devenu à Rome le secrétaire du pape Clément VII. Employé maintenant par Paul III, il va se trouver face à face avec le chef de la Réforme. Luther, en 1535, est, dans le monde de l'esprit et de la conscience, l'homme le plus en vue de la chrétienté. Depuis l'auto-da-fé public de la bulle qui le condamnait, il a marché à pas de géant dans son œuvre, toujours en lutte et en travail, traduisant la Bible, entonnant des chants religieux, combattant d'une main le catholicisme et la Renaissance, contenant de l'autre la Réforme, repoussant les paysans révoltés, réprimant les sacramentaires et les anabaptistes, excitant ou arrêtant à son gré, de sa voix de tonnerre, cavalier irascible et jovial, la révolution débridée, mais domptée qui se cabre sous lui.

Vergerio fut habile, insinuant, Luther ne croyait pas à la vertu du concile. « Je suis un peu comme saint Thomas,» avait-il dit, mais il ajouta : « J'y serai, dût-on me brûler. » Il n'y fut pas cependant, car le concile de Trente ne devait s'ouvrir que dix ans après et, dans ces dix années de discussion, les deux partis s'étaient de plus en plus éloignés l'un de l'autre. Rome avançait des prétentions que ne pouvait accepter la Réforme. Luther s'écria enfin : « Quand le monde croulerait, nous ne céderons pas. Quant à Vergerio, l'on peut croire qu'il ne sortit pas tout à fait pur de son entretien avec le terrible homme. Il prit cependant les ordres et devint évêque à la diète de Worms, en 1540, il parla encore

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catholiquement. Mais on lui en voulait de ses rapports avec l'ennemi il fut tracassé de mille façons et désespéra de pouvoir se défendre au concile. D'ailleurs il avait vu Luther et il l'avait lu, pour le réfuter sans doute, mais on ne lit pas sans danger certains livres, fût-ce pour les réfuter. Un jour il vit un hérétique ramené, Francesco Spiera qui avait abjuré le lutheranisme, parce que l'Inquisition lui faisait peur : le pauvre homme était fou de remords et de honte. En le voyant, Vergerio prit un grand parti et se rendit à Bâle; l'excommunication le frappa en 1549. Il devint bientôt pasteur protestant dans les Grisons, puis chancelier du duc de Wurtemberg et mourut en 1565 à Tubingue. Ses écrits de polémique religieuse ont fort alléché ceux qui aimaient le fruit défendu « Ils plaisaient, dit un catholique, à ces palais dépravés à qui le fiel tient lieu des plus friands morceaux, comme autrefois la manne. » On les republie aujourd'hui (1).

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II.

Ce fut aussi en 1535 que Thomas More, à Londres, mourut sur l'échafaud. Nous avons déjà rencontré cet ami d'Érasme il était né en 1480 d'un juge du banc du roi. Protégé par le cardinal Morton et bon écolier d'Oxford, il s'était si fort distingué au barreau, qu'il entra tout jeune au Parlement, puis, grâce à Wolsey, dans le conseil privé du roi Henry VIII. A cette cour, il monta vite en grade: chancelier de l'échiquier, employé aux

(1) Trattarelli di P. P. Vergerio (Biblioteca della Riforma italiana), 1883.

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