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commença, mais non brusquement. La duchesse, en 1535, put recevoir notre Clément Marot qui était venu lui demander asile :

En traversant ton pays plantureux,

Fertile en bien, en dames bien heureux,

Et bien semé de peuple obéissant,
Le tien Marot, fille de roi puissant,
S'est enhardi, voire et a protesté

De saluer ta noble majesté.

Clément Marot passa donc de la reine de Navarre à Madame Renée :

Mes amis, j'ai changé ma dame;
Une autre a dessus moi puissance,
Née deux fois de nom et d'âme,
Enfant de roi par sa naissance,
Enfant du ciel par connaissance
De celui qui la sauvera;

De sorte, quand l'autre saura
Comment je l'ai telle choisie,
Je suis bien sûr qu'elle en aura
Plus d'aise que de jalousie.

Mais le poète français ne devait pas rester longtemps à Ferrare où le petit groupe des réformés dissimulait le complot religieux sous une activité littéraire et ne parlait d'aucune sorte ce qu'on appelle aujourd'hui « le patois de Canaan. » Les poésies que Marot composa pour cette cour où il apprit à « poltroniser, » à s'arrêter une heure sur un mot avant de le prononcer et à ne répondre que d'un signe de tête, n'étaient certes point faites pour édifier des puritains il n'en commit jamais de plus libertines. Cependant madame Renée fut bientôt maltraitée par le duc Hercule, son mari, non pas (au début du moins) pour

T. I.

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sa religion, mais pour son origine; le duc Hercule, qui s'était mis sous le pied de l'empereur, en voulait à la pauvre femme parce qu'elle venait de France, non parce qu'elle allait à Calvin. Il la frappa d'abord dans ses affections, éloigna d'elle tout ce qui était français : Mme de Soubise entre autres dont le départ fut tristement chanté par Marot, puis Marot lui-même. Le poète se réfugia d'abord à Venise d'où il écrivit à Marguerite de Navarre une complainte en vers désolés :

Ha! Marguerite, écoute la souffrance

Du noble cœur de Renée de France,

Puis, comme sœur, plus fort que d'espérance
Console-la.

Tu sais comment hors son pays alla,

Et que parent et amis laissa là,

Mais tu ne sais quel traitement elle a
En terre étrange.

De cent couleurs à toute heure elle change,
En ses repas poires d'angoisse mange,
Et en son vin de larmes fait mélange
Tout par ennui.

Ennui reçu du côté de celui

Qui être dut sa joie et son appui ;
Ennui plus grief que s'il venait d'autrui,
Et plus à craindre.

Elle ne voit ceux à qui se veut plaindre,
Son œil rayant si loin ne peut atteindre,
Et puis les monts, pour ce bien lui éteindre,
Sont entre deux...

En 1536 (et non en 1535 : ici la date est importante) Renée reçut à Ferrare un visiteur alors moins connu que Marot, Jean Calvin qui venait de publier à Bâle la pre

mière édition, en latin, de son « Institution chrétienne. » Le livre à peine lancé (mars 1536) le réformateur « se sentit pressé de voir la duchesse de Ferrare, fille du roi de France Louis XII dont la piété étoit alors en grand renom, et en même temps de saluer de loin l'Italie. Il vit donc cette princesse, et, autant que le lui permettoient les.circonstances, il l'affermit dans le véritable amour de la piété. Puis il quitta l'Italie, où il n'était entré, comme il avoit lui même coutume de le dire, que pour en sortir, et il prit le chemin de son pays. » Ces simples mots de Théodore de Bèze réduisent à néant les assertions des historiens qui, avec des étourdissements de fantaisie et des étourderies de critique, attribuent à Calvin la sublime ambition d'avoir voulu planter à Ferrare d'abord, puis à Rome le drapeau protestant. Ne pouvant l'envoyer jusqu'à la ville éternelle, ils l'ont fait persécuter à Ferrare où sa réputation l'aurait devancé; puis, sur la foi d'une légende qui a encore moins de vraisemblance que de vérité, ils l'ont promené en zigzag dans l'Italie du nord et lapidé dans la vallée d'Aoste. On ne sait même pas s'il fut arrêté à Ferrare, comme le crut Muratori deux siècles après. Un fait est certain : c'est qu'il ne fit que toucher barre en Italie « où il n'était entré que pour en sortir. » Il voulait connaître la duchesse et gagner son appui, ambition très suffisante pour un réformateur bien jeune encore et à peine connu : il n'avait que vingt-sept ans et, en Italie au moins, il eût été masqué par son vrai nom autant que par le surnom qu'il prenait d'Espeville ou de Heppeville (1). Le réformateur ne songea donc point

(1) ALBERT RILLIET, Lettre à M. A.-H. Merle d'Aubigné sur deux points obscurs de la vie de Calvin (1864).

à conquérir le pays des papes; il préféra fonder une ville qui fût sienne « la Rome protestante, la cité de Calvin, » Genève enfin « cet étonnant asile entre trois nations, >> qui devait durer par sa force morale. « Point de territoire, point d'armée; rien pour l'espace, le temps ni la matière : la cité de l'esprit bâtie de stoïcisme sur le sol de la prédestination. A tout peuple en péril, Sparte pour armée envoyait un Spartiate; il en fut ainsi de Genève. A l'Angleterre elle donna Pierre Martyr, Knox à l'Écosse, Marnix aux Pays-Bas, trois hommes et trois révolutions. S'il faut quelque part en Europe du sang et des supplices, un homme pour brûler ou rouer, cet homme est à Genève, prêt et dispos, qui part en remerciant Dieu et lui chantant des psaumes (1). »

IV.

Ce fut en 1535 également que parut à Lyon La vie inestimable du grand Gargantua, père de Pantagruel jadis composée par l'abstracteur de quintessence, livre plein de pantagruelisme. L'auteur encore anonyme avait déjà publié deux ans auparavant le premier livre de Pantagruel. C'était toutefois un homme très sérieux, très savant, docte en langues grecque, latine, italienne, française, en archéologie, en jurisprudence, en sciences naturelles ; il avait préparé pour son ami Étienne Dolet, l'imprimeur, de bonnes éditions d'Hippocrate et de Galien. De plus, il était prêtre élevé en Poitou dans un couvent de cordeliers « chez qui on faisait vou d'ignorance plutôt que de

:

(1) MICHELET, la Réforme.

religion », il avait pris, avec les ordres, l'amour des lettres et la haine des moines. De plus médecin : c'était lui qui, le premier, à l'Hôtel-Dieu de Lyon, avait fait des démonstrations anatomiques sur le cadavre. Il se nommait François Rabelais. Il venait de publier pour l'an 1535 un almanach rempli de bons conseils et de prédictions très sensées :

« Sommairement vous exposant de cette année ce que j'ai pu extraire des auteurs en l'art, Grecs, Arabes et Latins, nous commencerons en cette année sentir partie de l'infélicité de la conjonction de Saturne et Mars, qui fut l'an passé et sera l'an prochain le 25 de mai. De sorte qu'en cette année seront seulement les machinations, menées, fondements et semences du malheur suivant : Si bon temps avons, ce sera outre la promesse des astres. Si paix, ce sera non par défaut d'inclination et entreprise de guerre, mais par faute d'occasion. Ce est qu'ils disent. Je dis quant est de moi, que si les rois, princes et communités christianes ont en révérence la divine parole de Dieu, et selon icelle gouvernent soi et leurs sujets, nous ne vîmes de notre âge année plus salubre ès corps, plus paisible ès âmes, plus fertile en biens que sera cette-ci, et voirons la face du ciel, la vêture de la terre et le maintien du peuple joyeux, gai, plaisant et benin, plus que ne fut depuis cinquante ans en ça. »

Présentement, Rabelais était à Rome, où il suivait trèsattentivement « en diplomate plutôt qu'en moine (1) » les affaires politiques pour en informer l'évêque de Maillezais il s'occupait du pape, de l'empereur, du duc Alexandre de Médicis, du duc Hercule de Ferrare qui de

(1) HERMANN LIGIER, la Politique de Rabelais, 1880.

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