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tiques par les moines du moyen âge dans l'intérêt spirituel et même temporel de leur religion. La liste de ces visionnaires est longue (1) et ils se copiaient entre eux; n'en suivons qu'un seul et nous saurons assez ce que fut la « Divine Comédie » avant Dante.

Frère Albéric, un moine du douzième siècle, étant encore enfant, fut ravi en extase : une colombe l'enleva par les cheveux et saint Pierre, escorté de deux anges, le mena visiter l'enfer et le paradis. Dans l'enfer, après avoir parcouru le purgatoire des nouveau-nés morts sans baptême, Albéric vit les luxurieux ensevelis dans la glace plus ou moins profond, comme les traîtres de Dante, selon la gravité des péchés commis. Les femmes qui avaient refusé d'allaiter leurs enfants étaient pendues par les seins à de longues branches épineuses. Les adultères brûlaient sur des bûchers ardents; ceux qui avaient travaillé le dimanche montaient et descendaient sur des échelles enflammées; les tyrans, comme l'Ulysse et le Diomède de la << Divine Comédie », étaient enveloppés dans des globes de feu; ces auteurs de visions se transmettaient des idées de supplices. Comme Dante et avant lui, frère Albéric vit des damnés plongés dans une mare de sang en ébullition, c'étaient des meurtriers; il en vit d'autres atrocement mordus par des serpents : c'étaient les moines qui avaient violé leur règle ou déserté leur ordre. Lucifer, lié d'une forte chaîne et enfoncé dans un grand puits, occupait le centre de l'enfer avec Hérode, Caïphe, Anne et Judas. Cependant saint Pierre dut quitter un moment le petit

(1) Voir la Divine Comédie avant Dante, par Ch. Labitte; Des sources poétiques de la Divine Comédie, par Ozanam; I precursori di Dante, par M. D'Ancona, etc., etc.

Albéric pour aller en toute hâte ouvrir le paradis à une âme; pendant cette absence le pauvre enfant fut assailli par les démons qui tâchaient de l'agripper avec leurs crocs. Enfin le moinillon passa sur le pont mince et frêle qui menait au séjour des élus; là, dans une lumière odorante, il se trouva au milieu des justes qui attendaient en paix le jugement parmi ceux-ci quantité de bénédictins destinés aux félicités éternelles. Saint Pierre profita de l'occasion pour débiter un long éloge de la vie monastique, puis il fit monter Albéric au premier ciel d'où il lui montra les sphères célestes et les quarante et une régions du monde, après quoi il lui mit un petit papier dans la bouche c'est ainsi que le prophète Ézéchiel avait vu descendre d'en haut une main tenant un volume, tandis qu'une voix lui criait « Fils de l'homme, repais ton ventre et remplis tes entrailles du volume que je te donne. >> Ainsi je le mangeai, dit le prophète, et il fut dans ma bouche doux comme du miel (1). Muni de ce papier, Albéric fut renvoyé dans son cloître avec l'ordre de rapporter les choses qu'il avait vues; « de plus, lui dit saint Pierre en latin, tu m'offriras chaque année un cierge aussi long que toi, ad mensuram staturæ tuæ. » Ainsi finit cette vision que Dante a pu lire au mont Cassin ou ailleurs, et s'il ne connut pas celle-là il en connut d'autres; il n'inventa donc pas son sujet, il ne fit que l'agrandir.

:

Une excursion dans l'autre monde en trois parties ou << cantiques >>; un enfer qui s'enfonce en entonnoir dans les entrailles de la terre, un purgatoire qui s'élève en montagne, aux antipodes, sur l'Océan inhabité; un paradis de neuf sphères tournant au gré de Ptolémée; dans l'enfer,

(1) EZECHIEL, II, 9; III, 3.

T. I.

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le mal, l'échelle des crimes, l'horreur de la guerre, l'éternité du châtiment, et tout au fond le Satan monstrueux du moyen âge, une chauve-souris gigantesque; au purgatoire, le bien et le mal, l'échelle des péchés, l'intérêt de la lutte, l'expiation adoucie par l'espérance, et au sommet Béatrice à la fois divine et humaine, dans le ciel encore terrestre de l'Éden; enfin, au paradis, le bien seul, l'échelle des vertus, la paix religieuse et politique, la récompense éternelle, et au sommet Dieu lui-même vaguement entrevu vaste sujet assurément, mais comment le traiter à une époque où le latin ne servait plus guère qu'aux savants et où l'italien n'était encore qu'un dialecte? Là était la question, l'une des plus importantes assurément de l'histoire littéraire. Le moyen âge allait-il durer encore ou l'ère moderne allait-elle commencer?

:

Un jour s'en vint frapper au seuil d'un monastère
Un sombre pèlerin. L'exil et la misère

N'avaient point abaissé la hauteur de ses traits.
Toutefois dans ce cloître errant les yeux distraits,
Il semblait poursuivi d'une amère pensée.

Un moine s'approchant lui dit : « Ame oppressée,

Que cherches-tu? » Dante lui répondit : « La paix » (1).

Ce monastère était celui de Santa Croce del Corvo, en Lunégiane; ce moine qui en était le prieur, frère Hilaire, a raconté lui-même la visite du « sombre pèlerin » : il lui fit bon accueil, et l'écouta longtemps avec beaucoup de sympathie. Dante montra au prieur un petit livre en lui disant « Voici une partie de mon œuvre que vous n'avez peut-être point vue encore. Je vous la laisse, afin

(1) ALBERT RICHARD, poète genevois, mort en 1881; il savait par cœur la « Divine Comédie ».

que vous gardiez de moi un plus frais souvenir. » Le bon Hilaire prit le manuscrit et, y jetant aussitôt les yeux, parut frappé de surprise : « Je suis étonné, dit-il au pèlerin, de cette qualité de langage, soit parce qu'il me semble difficile et même inimaginable qu'on puisse rendre en dialecte vulgaire un sujet si ardu, soit parce qu'il ne me paraît pas convenable d'habiller tant de science en costume populaire. » Dante répondit que le moine avait raison; qu'au commencement, peut-être sous l'inspiration du ciel, il avait résolu de draper sa pensée dans la langue légitime et que même il avait commencé son poème en latin :

Ultima regna canam fluido contermina mundo

Spiritibus quæ lata patent, quæ præmia solvunt
Pro meritis cuicumque suis...

«Mais, ajouta-t-il, quand je considérai la condition de l'époque présente, je vis que les chants des illustres poètes étaient tous abjects (bas ou familiers sans doute) et que par cette raison les hommes généreux qui en des temps meilleurs écrivaient de telles choses (des ouvrages poétiques) avaient laissé, ô douleur ! les arts libéraux aux plébéiens. Voilà pourquoi je quittai la pauvre lyre dont j'étais pourvu et j'en préparai une autre adaptée au goût des modernes, car c'est chose vaine d'offrir des aliments à mâcher aux nouveau-nés qui se nourrissent encore de lait. »

C'est ainsi que Dante, bien à contre cœur, s'il en faut croire le frère Hilaire, descendit au vulgaire qu'il avait ravalé jusque-là, le jugeant bon tout au plus à chanter des vers d'amour. Ce fut un grand bonheur : en continuant son poème en latin, eût-il eu toute l'habileté de Vida, il nous eût donné une œuvre morte. En le reprenant en italien, il

put créer, dans une langue vivante, une œuvre vivante où il se mit tout entier. C'est par là surtout qu'il est moderne. La « Divine Comédie » est le premier grand monument où il y ait quelqu'un.

VIII.

Un Toscan d'abord. Pour comprendre Dante, il faut avant tout vivre dans la Florence de son temps : une république bourgeoise, une commune commerçante, extrariche, ayant des banques partout, même en Orient. Le pape l'appelait source de l'or, les princes mahométans vouaient. un culte à ses florins, les rois chrétiens les empruntaient souvent et oubliaient parfois de les rendre. Les gens d'affaires étaient des lettres et des artistes; ils écrivaient sur leurs livres des passages de Tite-Live ou de Salluste ; quand le pape Boniface reçut une douzaine d'ambassadeurs envoyés par les principales villes de l'Europe, il se trouva que tous ces ambassadeurs étaient Florentins. Giotto continuait en le rapprochant de la nature le grand art de Cimabue; Arnolfo di Lapo, l'architecte de Santa-Maria del Fiore, recevait l'ordre « de faire correspondre ces ouvrages de la commune à la grande âme que composaient les âmes des citoyens unis dans une même volonté ». Ici la chevalerie était devenue peuple; de simples bourgeois, comme les paladins des chansons de gestes, sortaient des rangs de l'armée et engageaient le combat; le gonfalonier n'abaissait jamais son enseigne; les défenseurs du carroccio mouraient tous avant de livrer à l'ennemi ce grand char qui, drapé magnifiquement et traîné par des bœufs, portait les armes de la commune; une cloche pendue aux portes de la ville sonnait jour et nuit pendant tout un mois pour annoncer

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