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c'était, à son avis, la plus parfaite et la plus douce. En ce temps-là le français courait partout, répandu en Angleterre et en Sicile par l'invasion des Normands, en Orient par les croisades: au commencement du quatorzième siècle un chroniqueur espagnol, qui revenait de Morée, écrivit qu'on y parlait axi bel frances com dins en Paris. Deux cents ans auparavant, Paris avait déjà reçu le nom de nouvelle Athènes et s'était agrandi pour recevoir les écoliers qui lui venaient de partout, plus nombreux que les citoyens ; c'était « le pays de tous les habitans du monde », et un des nôtres, saint Bernard, gouvernait l'intelligence et la conscience de la chrétienté. Nos chansons de gestes allaient jusqu'en Suède, en Hongrie, en Russie. Dès le onzième siècle, en Angleterre, on employait notre langue à la cour, même à l'église et on chassait de son siège un prélat qui ne la savait pas. En français furent écrits les romans de la Table ronde et les lais de la reine Marie. En français, l'an 995, fut ouvert en Allemagne un concile allemand. Tous les grands seigneurs d'outre-Rhin nous demandaient des précepteurs ou des valets pour instruire leurs enfants; Yseult, dans le Tristan de Gottfried, savait beaucoup de lais français qui ravissaient la cour et Wolfram d'Eschenbach, s'avouant moins habile en langue d'oil qu'un grossier Champenois, en était plein de honte. Enfin, en Italie, on entendait la francigena loquela dès le temps de la comtesse Mathilde, une contemporaine de Grégoire VII. Ce n'étaient pas seulement la cour de Sicile et de Naples où régnaient les successeurs de Robert Guiscard, c'étaient aussi les villes du nord, Vérone, Trévise, qui vivaient de nos conteurs et de nos poètes; on chantait de Roland et d'Olivier sur les théâtres de Milan. La commune de Bologne, en 1288, dut prendre

des mesures contre nos jongleurs qui retenaient trop d'oisifs sur les places publiques. Rusticien de Pise écrivait en français des romans de la Table ronde et les récits de voyage que lui dictait Marco Polo; Brunetto Latini rédigeait en français son Trésor « pour che que la parleure en est plus delittable et plus commune à toutes gens; » Martin Canale disait de cette parleure: « Elle cort parmi le monde. » Des poèmes chevaleresques en jargon franco-italien sont enfouis dans plusieurs bibliothèques où les érudits vont aujourd'hui les feuilleter, et l'on a une longue histoire d'Attila, fléau de Dieu, compilée en 1358 dans cette langue hybride. Dante lui-même connaissait le Lancelot du lac de Chrestien de Troyes, sans doute aussi le Guillaume-au-court-nez et il entendit le cor de Roncevaux.

C'était Charlemagne, croyaient les Toscans, qui avait construit les tours, les remparts de Sienne et relevé Florence abattue par Attila. Les gentilshommes italiens donnaient à leurs fils les noms de Roland, d'Olivier, de Lancelot, de Tristan, de Perceval; à leurs filles ceux d'Yseult et de Genèvre. Un jour, en Sicile, un cheval échappé qui appartenait à l'évêque de Catane, courut vers l'Etna; le serviteur qui venait de l'étriller le chercha longtemps. par les précipices et les escarpements de la montagne, puis il s'enfonça dans les forêts et, cherchant toujours, se trouva sur un chemin fort étroit, mais uni, qui le conduisit dans une vaste plaine où s'élevait un palais, merveille de l'art; le roi Arthur était couché là depuis des siècles, souffrant de blessures qui se rouvraient tous les ans et qu'il avait reçues dans un combat contre son neveu Modred. Il fit remettre au valet, pour l'évêque de Catane, non seulement le cheval échappé, mais aussi de

magnifiques présents qu'on admirait encore en 1211.

C'est ainsi que nos fictions s'étaient emparées de l'Italie. Elles y étaient devenues populaires, tandis que la poésie provençale s'installait dans les cours. Dès la fin du douzième siècle, le Montferrat était devenu comme une seconde Provence : après le massacre des Albigeois, les troubadours en fuite, accueillis partout avec empressement, apprirent leur langue et leur art aux Italiens qui devinrent eux-mêmes troubadours. Parmi ces derniers, Albert Malaspina, celui qui s'escrima contre Rambaud de Vaqueiras dans une tenson célèbre. Rambaud reprochait à Malaspina de s'être cent fois parjuré par convoitise de richesse et d'être regardé par les Génois comme un voleur de grand chemin - « Pardieu, Rambaud, répondait l'Italien au Provençal, je me porte garant que maintes fois j'ai pris le bien d'autrui, mais pour donner et non par avarice ou pour trésors que voulusse amasser (1). » La libéralité justifiait le brigandage.

Un de ces troubadours péninsulaires (on en connaît plus de vingt) fut Sordel de Mantoue, celui que Dante a surpris au purgatoire dans l'attitude du lion au repos. On ne sait rien de lui, sinon qu'il eut des amours illustres et changeantes et qu'il mourut misérablement; il composa cependant une complainte féroce où il invitait à un banquet tous les princes de l'Europe pour y manger le cœur de Blacas qui venait de mourir, unique moyen pour eux de devenir comme lui bons, forts et braves : « Que le premier mange de ce cœur, car il en a grand besoin, l'em

(1)

Per dieu, Rambaut, daissous port garentia
Que maintas vetz per talan de donar

Ai aver tout, e non per manentia
Ni per thesaur q'ieu volgues aiostar.

pereur de Rome, s'il veut conquérir les Milanais qui le tiennent conquis (1)... Il me plaît que le roi anglais, parce qu'il est peu courageux, mange de ce cœur, après quoi il sera vaillant et bon... Que le roi d'Aragon mange de ce cœur, afin qu'il soit déchargé de sa honte... » Et ainsi de suite; tous ceux qui régnaient alors y passaient. Fières paroles qui durent toucher l'auteur de la « Divine Comédie »; voilà peut-être pourquoi Sordel tient tant de place dans le « Purgatoire » où il marche à côté de Virgile, Mantouan comme lui. Les deux poètes escortent Dante qui, arrivé à ce point de son ascension, se laisse guider en même temps par le génie de l'antiquité et par le génie de la Provence.

Il restait un pas à faire à cette poésie des troubadours pour devenir tout à fait italienne, il lui fallait chanter en italien. Elle s'y essaya d'abord en Sicile. Dans cette île, comblée de tous « les biens de Dieu », les Provençaux proscrits trouvèrent plus de joies que chez les rudes châtelains du nord : une culture avancée, une cour de savants et d'esprits libres, une langue vulgaire en formation parlée par un peuple volcanique, enfin Frédéric II, le philosophe empereur. Les deux dialectes, le provençal et le sicilien, luttèrent quelque temps; le sicilien prit le dessus, mais le sentiment resta provençal. Chez les poètes de cette école, à commencer par l'empereur Frédéric et son chancelier Pierre des Vignes jusqu'au notaire Jacques de Lentino, nous ne trouvons de sicilien ou d'italien que la langue;

(1) Premiers manje de cor, per so que grans ops l'es, L'emperaire de Roma, si 'lh vol los Milanes

Per forsa conquistar, quar lui teno conques, etc.

Le texte entier de la complainte est dans ADOLFO BARTOLI, Storia della letteratura italiana (vol. II, p. 351).

les sujets, les idées, les formes mêmes de la poésie n'ont pas changé en passant les Alpes et le détroit; c'est un art retombé en enfance, et, comme on l'a dit énergiquement, «<le balbutiement de la décrépitude (1) ». Cependant, à cet exercice laborieux d'adaptation, le dialecte s'assouplit, s'affina, s'enrichit de tours et de vocables étrangers; ces œuvres déjà littéraires se répandirent en Italie, et probablement toscanisées par les copistes, devaient sinon provoquer, du moins seconder la formation de la langue des livres, du « vulgaire aulique » (ainsi le nomma Dante) qui avec le temps devint commun à tous les auteurs italiens. Il y eut bientôt une école de troubadours toscans qui suivirent les siciliens dont ils ne quittaient pas les traces, en criant à la profanation dès qu'un novateur essayait de s'en éloigner; Dante de Maiano fut le plus obstiné de ces immobiles. L'influence provençale était difficile à secouer; elle avait pesé jusque sur la tenson populaire de Ciullo d'Alcamo, jusque sur les mystiques élévations de François d'Assises qui appelait la Pauvreté sa dame et se disait le troubadour du Christ. Pour dégager l'Italie de la Provence, il fallut l'effort vigoureux de Guido Guinicelli qui était de la docte Bologne; Guido mit la poésie à l'école où elle fit sa philosophie et prit le bonnet de docteur. L'amour mélangé de scolastique et inclinant vers le platonisme, tel fut le signe particulier des lyriques italiens de cette époque. Guido Guinicelli eut deux élèves, toscans l'un et l'autre : Guido Cavalcanti et Dante Alighieri.

(1)... è il balbettare infantile della decrepitezza. CARDUCCI, Dello svolgimento della letteratura nazionale.

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