Sayfadaki görseller
PDF
ePub

:

commerce, s'était mis à lire nos fabliaux, nos romans et voulut se faire écrivain. De là des luttes domestiques; à vingt ans le jeune homme était à Naples où il vit le laurier de Virgile aussitôt sa vocation est décidée, il sera poète, il sait déjà son Dante par coeur. Le père finit par céder, à condition qu'outre les lettres, on étudie quelque chose de sérieux, le droit canon par exemple. Boccace essaie, mais le droit l'ennuie; il préfère le beau latin, même le grec. En 1341 (il a vingt-huit ans), il voit Pétrarque en pleine gloire avant d'aller se faire couronner à Rome, le poète de l'Africa est venu à Naples à la cour du roi Robert, pour y exhiber sa science dans un examen fastueux. Pétrarque triomphe et Boccace est lancé de plus en plus vers les lettres par l'emportement de l'admiration; en même temps il a tout pour lui : la jeunesse, une bonne et belle figure, la taille haute et forte, le parler vif et gai; il s'oublie assez longtemps dans les folies d'une cour galante; puis il revoit Pétrarque à Florence et lui offre l'hospitalité dans sa maison. Depuis lors ces deux hommes s'aimèrent, vécurent souvent ensemble et, quand ils étaient séparés, ne cessèrent jamais de s'écrire affectueusement et virilement. Boccace s'employa pour Pétrarque et lui fit offrir une chaire à Florence, acheta pour lui des livres, lui envoyait le commentaire de saint Augustin sur les Psaumes, ou quelques opuscules de Cicéron et de Varron. Pétrarque, en retour, accueillait Boccace à Padoue, à Milan, à Venise, l'associait à son travail énorme, lui prêtait de l'argent, le traitait en frère, le gardait des mois entiers, eût voulu le garder toujours et formait avec lui des plans de vie commune. Les deux amis se disputaient quelquefois Pétrarque était plus rigide, Boccace plus fier; le premier exhortait son compagnon d'études à

quitter la vie de plaisir; le second eût souhaité que son sage mentor fût moins complaisant pour certains grands personnages. Ils ne s'entendaient pas non plus sur Dante que Pétrarque n'avait pas voulu lire, de peur de l'imiter, tandis que Boccace admirait passionnément Alighieri dont il fut le premier lecteur public et le premier biographe. Pour engager Pétrarque à lire la « Divine Comédie », Boccace lui en offrit un exemplaire écrit de sa main; on dit (d'autres le nient) que cet exemplaire, richement orné, existe toujours.

Ils discutaient donc, mais ne se brouillèrent jamais, attachés l'un à l'autre par l'œuvre commune. Boccace fouillait les bibliothèques et transcrivit de sa main tant de livres qu'il étonnait les copistes de profession. Il faut l'entendre raconter sa visite au mont Cassin où il poussa des cris de douleur : il y trouva des manuscrits poudreux, moisis, relégués dans l'humidité d'un grenier où l'on montait par une échelle, où l'herbe poussait aux fenêtres; c'est ainsi que les moines d'alors, même les plus intelligents, conservaient les trésors de l'antiquité. Dans leur avarice, ils grattaient... qui sait? peut-être un des livres perdus de Tacite, pour écrire à la place des chants d'église ou des traités de dévotion. Ils faisaient des économies de parchemin, les vandales! Boccace en était indigné, et ne le cachait pas.

Un jour, à Milan, en 1359, Pétrarque lui parla d'un Calabrais, nommé Léonce Pilate, qui entendait le grec; aussitôt Boccace prit feu, courut à Florence, obtint du sénat la création d'une chaire de grec, alla chercher Léonce Pilate à Venise et le ramena, l'installa, le garda chez lui, bien que l'helléniste fût pédant et hargneux, très sale et très laid. 11 lut avec lui du Platon, de l'Ho

mère et fit venir de Constantinople des livres inconnus dans les pays latins; un siècle encore après, la plupart des manuscrits grecs existant en Toscane étaient dus à Boc-. cace. Non seulement il exhumait les anciens, mais il maniait leur langue ses œuvres latines (1) nous le montrent savant en mythologie, en géographie, en histoire; il composa aussi en latin des églogues et son épitaphe : ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux.

Tous ces travaux le rapprochaient de Pétrarque. Il n'y eut jamais de rivalité jalouse entre ces deux hommes qui attiraient sur eux tous les regards. Boccace avait brûlé ses poésies lyriques en langue vulgaire, désespérant d'égaler son ami. Qui te fait croire que je te sois supérieur ? lui écrivit Pétrarque. Pour moi, je n'ai aucune raison de le penser. Mais en admettant même que cela soit vrai, ce que je ne crois point, pourquoi rougirais-tu de me céder le pas? Je te déclare que, pour mon compte, je n'éprouverais aucun chagrin de te voir placé avant moi. Entre amis, il n'y a pas de rangs, il n'y a ni vainqueurs ni vaincus. La victoire de l'un est une victoire commune. >> Ils étaient religieux l'un et l'autre, mais différemment ; Pétrarque avec plus de suite et de pratique, Boccace par lubies ferventes que provoquaient des visions ou des remords. Un jour l'homme de plaisir voulut brûler ses livres et s'enfermer dans un cloître. Qui l'empêcha de faire cette folie? Ce fut Pétrarque, le chanoine rigide, qui lui écrivit que l'ignorance, si dévote qu'elle soit, n'est pas comparable à la religion lettrée (2). Cette amitié studieuse

(1) ATTILIO HORTIS, Studj sulle opere latine del Boccaccio, 1879. (2) Unde fit ut litteratæ devotioni comparabilis non est, quamvis devota, rusticitas.

et féconde dura vingt-quatre ans. Peu avant de mourir, le plus riche offrit encore au plus pauvre, non seulement le vivre et le couvert, mais encore son argent, ses livres, tout ce qu'il avait. « Conservez-vous,» répondit Boccace. Pétrarque répliqua : « Bien au contraire, je désire m'en aller avant vous, laisser après moi des amis, vivre dans leur mémoire et dans leurs entretiens, être encore aimé, regretté d'eux, secouru par leurs prières. Car, excepté la pureté de la conscience, je ne crois pas qu'il y ait pour un mourant de plus douce consolation. » Cela écrit, Pétrarque mourut en léguant à son ami cinquante florins d'or et en regrettant de laisser si peu de chose à un si grand homme. Quand Boccace apprit que son frère d'études n'était plus, il passa toute une nuit à pleurer, et le suivit de près, ne pouvant lui survivre. Ainsi travaillèrent ensemble ces deux restaurateurs des lettres latines et grecques : telle fut l'œuvre commune qui réclama la plus grande partie de leur force et de leur temps.

II.

Toutefois, de force ou de gré, ils durent s'occuper des affaires publiques. On peut croire que Boccace ne s'y jeta point par goût, puisqu'il reproche à Dante « élevé sur le sein sacré de la philosophie (1) », d'avoir ambitionné les emplois et les honneurs. Mais, en ce temps-là, les hommes connus, ne fussent-ils que poètes, étaient employés par l'État, au moins comme « orateurs », dans les ambassades; Boccace eut donc à subir quelques missions diplo

(1)... Sebbene allevato nel santo seno della filosofia.(Vita di Dante.)

matiques et il paraît qu'il s'en tira bien. En politique il était guelfe et injuriait volontiers les empereurs allemands; de plus, il proclamait bien haut sa sympathie pour les rois de France qui « par la noblesse du sang, la grâce des mœurs et la grandeur des actions, resplendissent comme le soleil par-dessus les autres étoiles (1) ». Cependant il ne fut pas toujours tendre pour la cour qui festoyait alors dans Avignon. Il raconte dans une de ses épitres latines (à Mainardo de Cavalcanti) qu'ayant eu la pensée de dédier un livre au pape, il y renonça avec horreur, en voyant les nouveaux chefs de l'Église, différents des anciens, partir en guerre, casqués et cuirassés contre la paix, contre la liberté des innocents, et se réjouir des violences, des incendies et des massacres. Mais ce n'était là qu'un échauffement d'éloquence; Boccace aimait trop les livres pour être un homme d'action et de combat. Il ne vécut pas, comme Dante, dans le tumulte de la guerre civile et se garda bien de se faire exiler: il préférait demeurer tranquillement « sur le sein sacré de la philosophie ». Ce ne fut pas son guelfisme qui l'empêcha jamais de dormir.

Pétrarque, vu à distance, paraît moins désintéressé des affaires de son temps, mais n'eut point à payer de sa personne ; érudit et chanoine, il fit de la politique en homme de lettres, ne fut ni soldat ni prieur, n'eut que des ambassades oratoires et, s'il mangea le pain amer de l'étranger, c'est qu'il le voulut bien. Il y eut des contradictions dans sa pensée comme dans sa vie : chanoine et amoureux, ascète et père de famille, monarchiste et républicain, flagornant des grands seigneurs et applaudissant à leur ruine, très dévot et maugréant toujours contre les

(1) De casibus virorum illustrium, lib. IX.

« ÖncekiDevam »