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vagues, la nuit s'approchant avec ses embûches, la merveille de notre vaisseau au milieu de tant de merveilles, un équipage religieux saisi d'admiration et de crainte, un prêtre auguste en prières, Dieu penché sur l'abîme, d'une main retenant le soleil aux portes de l'occident, de l'autre élevant la lune dans l'orient, et prêtant, à travers l'immensité, une oreille attentive à la voix de sa créature: voilà ce qu'on ne sauroit peindre, et ce que tout le cœur de l'homme suffit à peine pour sentir.

Passons à la scène terrestre.

Un soir je m'étois égaré dans une forêt, à quelque distance de la cataracte de Niagara; bientôt je vis le jour s'éteindre autour de moi, et je goûtai, dans toute sa solitude, le beau spectacle d'une nuit dans les déserts du Nouveau-Monde.

Une heure après le coucher du soleil, la lune se montra audessus des arbres, à l'horizon opposé. Une brise embaumée, que cette reine des nuits amenoit de l'orient avec elle, sembloit la précéder dans les forêts comme sa fraîche haleine. L'astre solitaire monta peu à peu dans le ciel : tantôt il suivoit paisiblement sa course azurée; tantôt il reposoit sur des groupes de nues qui ressembloient à la cime de hautes montagnes couronnées de neige. Ces nues, ployant et déployant leurs voiles, se dérouloient en zones diaphanes de satin blanc, se dispersoient en légers flocons d'écume, ou formoient dans les cieux des bancs d'une ouate éblouissante, si doux à l'œil, qu'on croyoit ressentir leur mollesse et leur élasticité.

et

La scène sur la terre n'étoit pas moins ravissante: le jour bleuâtre et velouté de la lune descendoit dans les intervalles des arbres, poussoit des gerbes de lumière jusque dans l'épaisseur des plus profondes ténèbres. La rivière qui couloit à mes pieds, tour à tour se perdoit dans le bois, tour à tour reparoissoit brillante des constellations de la nuit, qu'elle répétoit dans son sein. Dans une savane, de l'autre côté de la rivière, la clarté de la lune dormoit sans mouvement sur les gazons: des bouleaux agités par les brises, et dispersés çà et là, formoient des îles d'ombres flottantes sur cette mer immobile de lumière. Auprès, tout auroit été silence et repos, sans la chute de quelques feuilles, le passage d'un vent subit, le gémissement de la hulotte; au loin, par intervalles, on entendoit les sourds gémissements de la cataracte de Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeoient de désert en désert, et expiroient à travers les forêts solitaires.

La grandeur, l'étonnante mélancolie de ce tableau, ne sauroient

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s'exprimer dans les langues humaines; les plus belles nuits en Europe ne peuvent en donner une idée. En vain, dans nos champs cultivés, l'imagination cherche à s'étendre; elle rencontre de toutes parts les habitations des hommes; mais dans ces régions sauvages, l'ame se plaît à s'enfoncer dans un océan de forêts, à planer sur le gouffre des cataractes, à méditer au bord des lacs et des fleuves, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu.

CHAPITRE XIII.

L'Homme physique.

POUR achever ces vues des causes finales, ou des preuves de l'existence de Dieu, tirées des merveilles de la nature, il ne nous reste plus qu'à considérer l'homme physique. Nous laisserons parler les maîtres qui ont approfondi cette matière.

Cicéron décrit ainsi le corps de l'homme :

A l'égard des sens par qui les objets extérieurs viennent à la connoissance de l'ame, leur structure répond merveilleusement à leur destination, et ils ont leur siége dans la tête, comme dans un lieu fortifié. Les yeux, ainsi que des sentinelles, occupent la place la plus élevée, d'où ils peuvent, en découvrant les objets, faire leur charge. Un lieu éminent convenoit aux oreilles, parcequ'elles sont destinées à recevoir le son qui monte naturellement. Les narines devoient être dans la même situation, parceque l'odeur monte aussi; et il les falloit près de la bouche, parcequ'elles nous aident beaucoup à juger du boire et du manger. Le goût, qui doit nous faire sentir la qualité de ce que nous prenons, réside dans cette partie de la bouche par où la nature donne passage au solide et au liquide. Pour le tact, il est généralement répandu dans tout le corps, afin que nous ne puissions recevoir aucune impression, ni être attaqués du froid ou du chaud, sans le sentir. Et comme un architecte ne mettra point sous les yeux ni sous le nez du maître les égouts d'une maison, de même la nature a éloigné de nos sens ce qu'il y a de semblable à cela dans le corps humain.

Mais quel autre ouvrier que la nature, dont l'adresse est incomparable, pourroit avoir si artistement formé nos sens? Elle a entouré les yeux de tuniques fort minces, transparentes au devant, afin que l'on pût voir à travers ; fermes dans leur tissure, afin de tenir les yeux en état. Elle les a faits glissants et mobiles, pour leur donner moyen d'éviter ce qui pourroit les offenser, et de porter aisément leurs regards où ils veulent. La prunelle, où se réunit ce qui fait la force de la vision, est si petite, qu'elle se dérobe sans peine à ce qui seroit capable de lui faire mal. Les paupières, qui sont les couvertures des yeux, ont une surface polie et douce pour ne point les blesser. Soit que la peur de quelque accident oblige à les fermer, soit qu'on De Nat. Deor., 11, 56, 57 et 58, trad. de d'Olivet.

veuille les ouvrir, les paupières sont faites pour s'y prêter, et l'un ou l'autre de ces mouvements ne leur coûte qu'un instant; elles sont, pour ainsi dire, fortifiées d'une palissade de poils, qui leur sert à repousser ce qui viendroit attaquer les yeux quand ils sont ouverts, et à les envelopper, afin qu'ils reposent paisiblement quand le sommeil les ferme et nous les rend inutiles. Nos yeux ont de plus l'avantage d'être cachés et défendus par des éminences : car, d'un côté, pour arrêter la sueur qui coule de la tête et du front, ils ont le haut des sourcils; et de l'autre, pour se garantir par le bas, ils ont les joues qui avancent un peu. Le nez est placé entre les deux comme un mur de séparation.

Quant à l'ouïe, elle demeure toujours ouverte, parceque nous en avons toujours besoin, même en dormant. Si quelque son la frappe alors, nous en sommes réveillés. Elle a des conduits tortueux, de peur que, s'ils étoient droits et unis, quelque chose ne s'y glissât...

Mais nos mains, de quelle commodité ne sont-elles pas, et de quelle utilité dans les arts! Les doigts s'allongent ou se plient sans la moindre difficulté, tant leurs jointures sont flexibles. Avec leur secours, les mains usent du pinceau et du ciseau; elles jouent de la lyre, de la flûte : voilà pour l'agréable. Pour le nécessaire, elles cultivent les champs, bâtissent des maisons, font des étoffes, des habits, travaillent en cuivre, en fer. L'esprit invente, les sens examinent, la main exécute. Tellement que si nous sommes logés, si nous sommes vêtus et à couvert, si nous avons des villes, des murs, des habitations, des temples, c'est aux mains que nous le devons, etc.

Il faut convenir que la matière seule n'a pas plus fait le corps de l'homme pour tant de fins admirables, que ce beau discours de l'orateur romain n'a été composé par un écrivain sans éloquence et sans art'.

Plusieurs auteurs ont prouvé, et en particulier le médecin Nieuwentyt, que les bornes dans lesquelles nos sens sont renfermés sont les véritables limites qui leur conviennent, et que nous serions exposés à une foule d'inconvénients et de dangers, si ces sens avoient plus ou moins d'étendue 3. Galien, saisi d'admiration au milieu d'une analyse anatomique du corps humain, laisse échapper le scalpel, et s'écrie:

O toi qui nous as faits! en composant un discours si saint, je crois chanter un hymne à ta gloire. Je t'honore plus en découvrant la beauté de tes ous

› Cicéron a pris dans Aristote ce qu'il dit du service de la main. En combattant la philosophie d'Anaxagore, le Stagyrite observe, avec sa sagacité accoutumée, que l'homme n'est pas supérieur aux animaux parcequ'il a une main, mais qu'il a une main parcequ'il est supérieur aux animaux. ( De Part. Anim., lib. III, c. 10.) Platon cite aussi la structure du corps humain comme une preuve de l'intelligence divine (In Tim.), et Job a quelques versets sublimes sur le même sujet.

Exist. de Dieu, liv. 1, ch. 10, p. 431. — 3 Voyez la note 12, à la fin du volume.

vrages, qu'en te sacrifiant des hécatombes entières de taureaux, ou en faisant fumer tes temples de l'encens le plus précieux. La véritable piété consiste à me connoître moi-même, ensuite à enseigner aux autres quelle est la grandeur de ta bonté, de ton pouvoir, de ta sagesse. Ta bonté se montre dans l'égale distribution de tes présents, ayant réparti à chaque homme les organes qui lui sont nécessaires; ta sagesse se voit dans l'excellence de tes dons, et ta puissance dans l'exécution de tes desseins'.

CHAPITRE XIV.

Instinct de la patrie.

De même que nous avons considéré les instincts des animaux, il nous faut dire quelque chose de ceux de l'homme physique; mais comme il réunit en lui les sentiments des diverses races de la création, tels que la tendresse paternelle, etc., il faut en choisir un qui lui soit particulier.

Or, cet instinct affecté à l'homme, le plus beau, le plus moral des instincts, c'est l'amour de la patrie. Si cette loi n'étoit soutenue par un miracle toujours subsistant, et auquel, comme à tant d'autres, nous ne faisons aucune attention, les hommes se précipiteroient dans les zones tempérées, en laissant le reste du globe désert. On peut se figurer quelles calamités résulteroient de cette réunion du genre humain sur un seul point de la terre. Afin d'éviter ces malheurs, la Providence a, pour ainsi dire, attaché les pieds de chaque homme à son sol natal par un aimant invincible : les glaces de l'Islande et les sables embrasés de l'Afrique ne manquent point d'habitants.

Il est même digne de remarque, que plus le sol d'un pays est ingrat, plus le climat en est rude, ou, ce qui revient au même, plus on a souffert de persécutions dans ce pays, plus il a de charmes pour nous. Chose étrange et sublime, qu'on s'attache par le malheur, et que l'homme qui n'a perdu qu'une chaumière soit celui-là même qui regrette davantage le toit paternel! La raison de ce phénomène, c'est que la prodigalité d'une terre trop fertile détruit, en nous enrichissant, la simplicité des liens naturels qui se forment de nos besoins; quand on cesse d'aimer ses parents parcequ'ils ne nous sont plus nécessaires, on cesse en effet d'aimer sa patrie.

Tout confirme la vérité de cette remarque. Un Sauvage tient plus à sa hutte qu'un prince à son palais, et le montagnard trouve plus de charme à sa montagne que l'habitant de la plaine à son sillon. Demandez à un berger s'il voudroit changer son sort contre Gal., de Usu part., lib. 1, c. 40.

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le premier potentat de la terre. Loin de sa tribu chérie, il en garde partout le souvenir; partout il redemande ses troupeaux, ses torrents, ses nuages. Il n'aspire qu'à manger le pain d'orge, à boire le lait de la chèvre, à chanter dans la vallée ces ballades que chantoient aussi ses aïeux. Il dépérit, s'il ne retourne au lieu natal. C'est une plante de la montagne, il faut que sa racine soit dans le rocher; elle ne peut prospérer,si elle n'est battue des vents et des pluies: la terre, les abris et le soleil de la plaine la font mourir. Avec quelle joie il reverra son toit de bruyère ! comme il visitera les saintes reliques de son indigence!

Doux trésors! se dit-il: chers gages, qui jamais
N'attirâtes sur vous l'envie et le mensonge,
Je vous reprends: sortons de ces riches palais,
Comme l'on sortirait d'un songe.

Qu'y a-t-il de plus heureux que l'Esquimaux dans son épouvantable patrie? que lui font les fleurs do nos climats auprès des neiges du Labrador, nos palais auprès de son trou enfumé? Il s'embarque au printemps avec son épouse sur quelque glace flottante. Entraîné par les courants, il s'avance en pleine mer sur ce trône du dieu des tempêtes. La montagne balance sur les flots ses sommets lumineux et ses arbres de neige; les loups marins se livrent à l'amour dans ses vallées, et les baleines accompagnent ses pas sur l'Océan. Le hardi Sauvage, dans les abris de son écueil mobile, presse sur son cœur la femme que Dieu lui a donnée, et trouve avec elle des joies inconnues dans ce mélange de voluptés et de périls.

Ce barbare a d'ailleurs de fort bonnes raisons pour préférer son pays et son état aux nôtres. Toute dégradée que nous paroisse sa nature, on reconnoît soit en lui, soit dans les arts qu'il pratique, quelque chose qui décèle encore la dignité de l'homme. L'Européen se perd tous les jours sur un vaisseau, chef-d'œuvre de l'industrie humaine, au même bord où l'Esquimaux, flottant dans une peau de veau marin, se rit de tous les dangers. Tantôt il entend gronder l'Océan qui le couvre, à cent pieds au-dessus de sa tête; tantôt il assiége les cieux sur la cime des vagues: il se joue dans son outre au milieu des flots, comme un enfant se balance sur des branches unies, dans les paisibles profondeurs d'une forêt. En plaçant cet homme dans la région des orages, Dieu lui a mis une marque de royauté : « Va, lui a-t-il crié du milieu du tourbillon, je te jette nu sur la terre; mais afin que, tout misérable › Voyez Charlevoix, Hist. de la Nouv.-Fr.

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