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merveilleux du christianisme, lui dont les efforts tendoient sans cesse à détruire ce merveilleux? Telle est néanmoins la puissance des idées religieuses, que l'auteur de la Henriade doit au culte même qu'il a persécuté les morceaux les plus frappants de son poëme épique, comme il lui doit les plus belles scènes de ses tragédies.

Une philosophie modérée, une morale froide et sérieuse, conviennent à la Muse de l'histoire; mais cet esprit de sévérité transporté à l'épopée est peut-être un contre-sens. Ainsi, lorsque Voltaire s'écrie, dans l'invocation de son poëme :

Descends du haut des cieux, auguste Vérité!

il est tombé, ce nous semble, dans une méprise. La poésie épique Se soutient par la fable, et vit de fiction.

Le Tasse, qui traitoit un sujet chrétien, a fait ces vers charmants, d'après Platon et Lucrèce 1:

Sai, che la torre in mondo, ove piu versi

Di sue dolcezze il lusinghier Parnasso, etc.

Là il n'y a point de poésie où il n'y a point de menterie, dit Plutarque 2.

Est-ce que cette France à demi barbare n'étoit plus assez couverte de forêts, pour qu'on n'y rencontrât pas quelques-uns de ces châteaux du vieux temps, avec des machicoulis, des souterrains, des tours verdies par le lierre, et pleines d'histoires merveilleuses? Ne pouvoit-on trouver quelque temple gothique dans une vallée, au milieu des bois? Les montagnes de la Navarre n'avoient-elles point encore quelque Druide, qui, sous le chêne, bord du torrent, au murmure de la tempête, chantoit les souvenirs des Gaules, et pleuroit sur la tombe des héros? Je m'assure qu'il y avoit quelque chevalier du règne de François Ier qui regrettoit dans son manoir les tournois de la vieille cour, et ces temps où la France s'en alloit en guerre contre les mécréants et les infidèles. Que de choses à tirer de cette révolution des Bataves, voisine, et, pour ainsi dire, sœur de la Ligue! Les Hollandois s'éta

« Comme le médecin qui, pour sauver le malade, mêle à des breuvages flatteurs les remèdes propres à le guérir, et jette au contraire des drogues amères dans les aliments qui lui sont nuisibles, etc. » Platon, de Leg., lib. 1. Ac veluti pueris absinthia tetra medentes, etc. Lucret., liv. v.

‚a Si l'on disoit que le Tasse a aussi invoqué la Vérité, nous répondrions qu'il ne l'a pas fait comme Voltaire. La Vérité du Tasse est une Muse, un Ange, je ne sais quoi jetė.dans le vague, quelque chose qui n'a pas de nom, un étre chrétien, et nou pas la Vérité direc tement personnifiée, comme celle de la Henriade.

blissoient aux Indes, et Philippe recueilloit les premiers trésors du Pérou Coligny même avoit envoyé une colonie dans la Caroline; le chevalier de Gourgue offroit à l'auteur de la Henriade l'épisode le plus touchant une épopée doit renfermer l'univers.

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L'Europe, par le plus heureux des contrastes, présentoit au poëte le peuple pasteur en Suisse, le peuple commerçant en Angleterre, et le peuple des arts en Italie la France se trouvoit à son tour à l'époque la plus favorable pour la poésie épique; époque qu'il faut toujours choisir, comme Voltaire l'avoit fait, à la fin d'un âge, et à la naissance d'un autre âge, entre les anciennes mœurs et les mœurs nouvelles. La barbarie expiroit, l'aurore du siècle de Louis commençoit à poindre; Malherbe étoit venu, et ce héros, à la fois barde et chevalier, pouvoit conduire les François au combat en chantant des hymnes à la Victoire.

On convient que les caractères dans la Henriade ne sont que des portraits, et l'on a peut-être trop vanté cet art de peindre dont Rome en décadence a donné les premiers modèles. Le portrait n'est point épique; il ne fournit que des beautés sans action et sans mouvement.

Quelques personnes doutent aussi que la vraisemblance des mœurs soit poussée assez loin dans la Henriade. Les héros de ce poëme débitent de beaux vers qui servent à développer les principes philosophiques de Voltaire; mais représentent-ils bien les guerriers tels qu'ils étoient au seizième siècle? Si les discours des Ligueurs respirent l'esprit du temps, ne pourroit-on pas se permettre de penser que c'étoient les actions des personnages encore plus que leurs paroles, qui doivent déceler cet esprit? Du moins, le chantre d'Achille n'a pas mis l'Iliade en harangues.

Quant au merveilleux, il est, sauf erreur, à peu près nul dans la Henriade. Si l'on ne connoissoit le malheureux système qui glaçoit le génie poétique de Voltaire, on ne comprendroit pas comment il a préféré les divinités allégoriques au merveilleux du christianisme. Il n'a répandu quelque chaleur dans ses inventions qu'aux endroits mêmes où il cesse d'être philosophe pour devenir chrétien aussitôt qu'il a touché à la religion, source de toute poésie, la source a abondamment coulé.

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Le serment des Seize dans le souterrain, l'apparition du fantôme de Guise qui vient armer Clément d'un poignard, sont des machines fort épiques, et puisées dans les superstitions mêmes d'un siècle ignorant et malheureux.

Le poëte ne s'est-il pas encore un peu trompé lorsqu'il a trans

porté la philosophie dans le ciel? Son Éternel est sans doute un dieu fort équitable, qui juge avec impartialité le bonze et le derviche, le juif et le mahométan; mais étoit-ce bien cela qu'on attendoit de sa muse? Ne lui demandoit-on pas de la poésie, un ciel chrétien, des cantiques, Jéhovah, enfin le mens divinior, la religion? Voltaire a donc brisé lui-même la corde la plus harmonieuse de sa lyre en refusant de chanter cette milice sacrée, cette armée des martyrs et des anges, dont ses talents auroient pu tirer un parti admirable. Il eût trouvé parmi nos saintes des puissances aussi grandes que celles des déesses antiques, et des noms aussi doux que ceux des Graces. Quel dommage qu'il n'ait rien voulu dire de ces bergères transformées par leurs vertus en bienfaisantes divinités; de ces Geneviève qui, du haut du ciel, protégent avec une houlette l'empire de Clovis et de Charlemagne! Il nous semble qu'il y a quelque enchantement pour les Muses à voir le peuple le plus spirituel et le plus brave consacré par la religion à la fille de la simplicité et de la paix. De qui la Gaule tiendroit-elle ses troubadours, son esprit naïf et son penchant aux graces, si ce n'étoit du chant pastoral, de l'innocence et de la beauté de sa patronne? Des critiques judicieux ont observé qu'il y a deux hommes dans Voltaire l'un plein de goût, de savoir, de raison; l'autre qui pèche par les défauts contraires à ces qualités. On peut douter que l'auteur de la Henriade ait eu autant de génie que Racine; mais il avoit peut-être un esprit plus varié et une imagination plus flexible. Malheureusement la mesure de ce que nous pouvons n'est pas toujours la mesure de ce que nous faisons. Si Voltaire eût été animé par la religion comme l'auteur d'Athalie, s'il eût étudié comme lui les Pères et l'antiquité; s'il n'eût pas voulu embrasser tous les genres et tous les sujets, sa poésie fût devenue plus nerveuse, et sa prose eût acquis une décence et une gravité qui lui manquent trop souvent. Ce grand homme eut le malheur de passer sa vie au milieu d'un cercle de littérateurs médiocres, qui, toujours prêts à l'applaudir, ne pouvoient l'avertir de ses écarts. On aime à se le représenter dans la compagnie des Pascal, des Arnauld, des Nicole, des Boileau, des Racine : c'est alors qu'il eût été forcé de changer de ton. On auroit été indigné, à Port-Royal, des plaisanteries et des blasphèmes de Ferney; on y détestoit les ouvrages faits à la bâte; on y travailloit avec loyauté, et l'on n'eût pas voulu, pour tout au monde, tromper le public, en lui donnant un poëme qui n'eût pas coûté au moins douze bonnes années de . labeur. Et ce qu'il y avoit de très merveilleux, c'est qu'au milieu

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de tant d'occupations, ces excellents hommes trouvoient encore le secret de remplir les plus petits devoirs de leur religion, et de porter dans la société l'urbanité de leur grand siècle.

C'étoit une telle école qu'il falloit à Voltaire. Il est bien à plaindre d'avoir eu ce double génie qui forcé à la fois à l'admirer et à le haïr. Il édifie et renverse; il donne les exemples et les préceptes les plus contraires; il élève aux nues le siècle, de Louis XIV, et attaque ensuite en détail la réputation des grands hommes de ce siècle tour à tour il encense et dénigre l'antiquité; il poursuit à travers soixante-dix volumes ce qu'il appelle l'infame : et les morceaux les plus beaux de ses écrits sont inspirés par la religion. Tandis que son imagination vous ravit, il fait luire une fausse raison. qui détruit le merveilleux, rapetisse l'ame et borne la vue. Excepté dans quelques-uns de ses chefs-d'œuvre, il n'aperçoit que le côté ridicule des choses et des temps, et montre, sous un jour hideusement gai, l'homme à l'homme. Il charme et fatigue par sa mobilité; il vous enchante et vous dégoûte; on ne sait quelle est la forme qui lui est propre il seroit insensé s'il n'étoit si sage, et méchant si sa vie n'étoit remplie de traits de bienfaisance. Au milieu de ses impiétés, on peut remarquer qu'il haïssoit les sophistes. Il aimoit naturellement les beaux-arts, les lettres et la grandeur, et il n'est pas rare de le surprendre dans une sorte d'admiration pour la cour de Rome. Son amour-propre lui fit jouer toute sa vie un rôle pour lequel il n'étoit point fait, et auquel il étoit fort supérieur. Il n'avoit rien en effet de commun avec MM. Diderot, Raynal et d'Alembert. L'élégance de ses mœurs, ses belles manières, son goût pour la société, et surtout son humanité, l'auroient vraisemblablement rendu un des plus grands ennemis du régime révolutionnaire. Il est très décidé en faveur de l'ordre social, sans s'apercevoir qu'il le sape par les fondements en attaquant l'ordre religieux. Ce qu'on peut dire sur lui de plus raisonnable, c'est que son incrédulité l'a empêché d'atteindre à la hauteur où l'appeloit la nature, et que ses ouvrages, excepté, ses poésies. fugitives, sont demeurés au-dessous de son véritable talent: exemple qui doit à jamais effrayer quiconque suit la carrière des lettres. Voltaire n'a flotté parmi tant d'erreurs, tant d'inégalités de style et de jugement, que parcequ'il a manqué du grand contre-poids de la religion : il a prouvé que des mœurs graves et une pensée pieuse sont encore plus nécessaires dans le commerce des Muses qu'un beau génie.

Voyez la note 13, à la fin du volume.

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LIVRE SECOND.

POÉSIE DANS SES RAPPORTS AVEC LES HOMMES.

CARACTÈRES.

CHAPITRE PREMIER.

Caractères naturels.

PASSONS de cette vue générale des épopées aux détails des compositions poétiques. Avant d'examiner les caractères sociaux, tels que ceux du prêtre et du guerrier, considérons les caractères naturels, tels que ceux de l'époux, du père, de la mère, etc., et 'partons d'abord d'un principe incontestable.

Le christianisme est une religion pour ainsi dire double: s'il s'occupe de la nature de l'être intellectuel, il s'occupe aussi de notre propre nature: il fait marcher de front les mystères de la Divinité et les mystères du cœur humain; en dévoilant le véritable Dieu, il dévoile le véritable homme.

Une telle religion doit être plus favorable à la peinture des caractères, qu'un culte qui n'entre point dans le secret des passions. La plus belle moitié de la poésie, la moitié dramatique, ne recevoit aucun secours du polythéisme; la morale étoit séparée de la mythologie. Un dieu montoit sur son char, un prêtre offroit un sacrifice; mais ni le dieu ni le prêtre n'enseignoient ce que c'est que l'homme, d'où il vient, où il va, quels sont ses penchants, ses vices, ses fins dans cette vie, ses fins dans l'autre.

Dans le christianisme au contraire la religion et la morale sont une seule et même chose. L'Écriture nous apprend notre origine, nous instruit de notre nature; les mystères chrétiens nous regardent: c'est nous qu'on voit de toutes parts; c'est pour nous que le Fils de Dieu s'est immolé. Depuis Moïse jusqu'à Jésus-Christ, depuis les Apôtres jusqu'aux derniers Pères de l'Église, tout offre le tableau de l'homme intérieur, tout tend à dissiper la nuit qui le couvre et c'est un des caractères distinctifs du christianisme, d'avoir toujours mêlé l'homme à Dieu, tandis que les fausses religions ont séparé le Créateur de la créature.

Voilà donc un avantage incalculable que les poëtes auroient dû remarquer dans la religion chrétienne, au lieu de s'obstiner à la décrier. Car si elle est aussi belle que le polythéisme dans le merveilleux, ou dans les rapports des choses surnaturelles, comme nous

Voyez la note 14, à la fin du volume.

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