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ton autre moitié te réclame. » En parlant ainsi, ta douce main saisit la mienne : je cédai; et depuis ce temps j'ai connu combien la grace est surpassée par une mâle beauté, et par la sagesse, qui seule est véritablement belle.

Ainsi parla la mère des hommes. Avec des regards pleins d'amour, et dans un tendre abandon, elle se penche, embrassant à demi notre premier *père. La moitié de son sein qui se gonfle vient mystérieusement, sous l'or de ses tresses flottantes, toucher de sa voluptueuse nudité la nudité du sein de son époux. Adam, ravi de sa beauté et de ses graces soumises, sourit avec un supérieur amour : tel est le sourire que le ciel laisse au printemps tomber sur les nuées, et qui fait couler la vie dans ces nuées grosses de la semence des fleurs. Adam presse ensuite d'un baiser pur les lèvres fécondes de la mère des hommes.

Cependant le soleil étoit tombé au-dessous des Açores; soit que ce premier orbe du ciel, dans son incroyable vitesse, eût roulé vers ces rivages; soit que la terre, moins rapide, se retirant dans l'orient, par un plus court chemin, eût laissé l'astre du jour à la gauche du monde. Il avoit déja revêtu de pourpre et d'or les nuages qui flottent autour de son trône occidental; le soir s'avançoit tranquille, et par degrés un doux crépuscule enveloppoit les objets de son ombre uniforme. Les oiseaux du ciel reposoient dans leurs nids, les animaux de la terre sur leur couche; tout se taisoit, hors le rossignol, amant des veilles il remplissoit la nuit de ses plaintes amoureuses, et le silence étoit ravi. Bientôt le firmament étincela de vivants saphirs : l'étoile du soir, à la tête de l'armée des astres, se montra longtemps la plus brillante; mais enfin la reine des nuits, se levant avec majesté à travers les nuages, répandit sa tendre lumière, et jeta son manteau d'argent sur le dos des ombres '.

Adam et Ève se retirent au berceau nuptial, après avoir offert leur prière à l'Éternel. Ils pénètrent dans l'obscurité du bocage, et se couchent sur un lit de fleurs. Alors le poëte; resté comme à la porte du berceau, entonne à la face du firmament et du pôle chargé d'étoiles, un cantique à l'Hymen. Il commence ce magnifique épithalame, sans préparation et par un mouvement inspiré, à la manière antique :

Hail, wedded love, mysterious law, true source

Of human offspring....

« Salut, amour conjugal, loi mystérieuse, source de la postérité! » C'est ainsi que l'armée des Grecs chante tout à coup, après la mort d'Hector :

Ceux qui savent l'anglois sentiront combien la traduction de ce morceau est difficile. On nous pardonnera la hardiesse des tours dont nous nous sommes servi en faveur de la lutte contre le texte. Nous avons aussi fait disparoître quelques traits de mauvais goût, en particulier la comparaison allégorique du sourire de Jupiter, que nous avons remplacée par son sens propre.

Πάρμεθα μέγα αὕδος, ἐπέφνομεν Εκτορα δίον, etc.

Nous avons remporté une gloire signalée! Nous avons tué le divin Hector; c'est de même que les Saliens, célébrant la fête d'Hercule, s'écrient brusquement dans Virgile : Tu nubigenas, invicte, bimembres, etc. C'est toi qui domptas les deux centaures, fils d'une nuée, etc.

Cet hynme met le dernier trait au tableau de Milton, et achève la peinture des amours de nos premiers pères '.

Nous ne craignons pas qu'on nous reproche la longueur de cette citation. « Dans tous les autres poëmes, dit Voltaire, l'amour est regardé comme une foiblesse; dans Milton seul il est une vertu, Le poëte a su lever d'une main chaste le voile qui couvre ailleurs les plaisirs de cette passion. Il transporte le lecteur dans le jardin des délices. Il semble lui faire goûter les voluptés pures dont Adam et Ève sont remplis. Il ne s'élève pas au-dessus de la nature humaine, mais au-dessus de la nature humaine corrompue; et comme il n'y a pas d'exemple d'un pareil amour, il n'y en a point d'une pareille poésie". »

Si l'on compare les amours d'Ulysse et de Pénélope à celles d'Adam et d'Eve, on trouve que la simplicité d'Homère est plus ingénue, celle de Milton plus magnifique. Ulysse, bien que roi et héros, a toutefois quelque chose de rustique; ses ruses, ses attitudes, ses paroles, ont un caractère agreste et naïf. Adam, quoiqu'à peine né et sans expérience, est déja le parfait modèle de l'homme on sent qu'il n'est point sorti des entrailles infirmes d'une femme, mais des mains vivantes de Dieu. Il est noble, majestueux, et tout à la fois plein d'innocence et de génie; il est tel que le peignent les livres saints, digne d'être respecté par les anges, et de se promener dans la solitude avec son Créateur.

Quant aux deux épouses, si Pénélope est plus réservée, et ensuite plus tendre que notre première mère, c'est qu'elle a été éprouvée par le malheur, et que le malheur rend défiant et sensible. Eve au contraire s'abandonne; elle est communicative et séduisante; elle a même un léger degré de coquetterie. Et pourquoi seroit-elle sérieuse et prudente comme Pénélope? Tout ne lui sourit-il pas? Si le chagrin ferme l'ame, la félicité la dilate: dans

Il y a encore un autre passage où ces amours sont décrites: c'est au vine livre, lorsqu'Adam raconte à Raphaël les premières sensations de sa vie, ses conversations avec Dieu sur sa solitude, la formation d'Eve, et sa première entrevue avec elle. Ce morceau n'est point inférieur à celui que nous venons de citer, et doit aussi sa beauté à une religion sainte et pure.

2 Essai sur la Poésie épique, chap. 9.

le premier cas, on n'a pas assez de déserts où cacher ses peines; dans le second, pas assez de cœurs à qui raconter ses plaisirs. Cependant Milton n'a pas voulu peindre son Ève parfaite; il l'a représentée irrésistible par les charmes, mais un peu indiscrète et amante de paroles, afin qu'on prévît le malheur où ce défaut va l'entraîner. Au reste, les amours de Pénélope et d'Ulysse sont pures et sévères, comme doivent l'être celles de deux époux.

C'est ici le lieu de remarquer que, dans la peinture des voluptés, la plupart des poëtes antiques ont à la fois une nudité et une chasteté qui étonnent. Rien de plus pudique que leur pensée, rien de plus libre que leur expression : nous au contraire nous bouleversons les sens, en ménageant les yeux et les oreilles. D'où naît cette magie des anciens, et pourquoi une Vénus de Praxitèle toute nue charme-t-elle plus notre esprit que nos regards? C'est qu'il y a un beau idéal qui touche plus à l'ame qu'à la matière. Alors le génie seul, et non le corps, devient amoureux; c'est lui qui brûle de s'unir étroitement au chef-d'œuvre. Toute ardeur terrestre s'éteint, et est remplacée par une tendresse divine: l'ame échauffée se replie autour de l'objet aimé, et spiritualise jusqu'aux termes grossiers dont elle est obligée de se servir pour exprimer sa flamme.

Mais ni l'amour de Pénélope et d'Ulysse, ni celui de Didon pour Énée, ni celui d'Alceste pour Admète, ne peut être comparé au sentiment qu'éprouvent l'un pour l'autre les deux nobles personnages de Milton: la vraie religion a pu seule donner le caractère d'une tendresse aussi sainte, aussi sublime. Quelle association d'idées! l'univers naissant, les mers s'épouvantant pour ainsi dire de leur propre immensité, les soleils hésitant comme effrayés dans leurs nouvelles carrières, les anges attirés par ces merveilles, Dieu regardant encore son récent ouvrage, et deux êtres, moitié esprit, moitié argile, étonnés de leurs corps, plus étonnés de leurs ames, faisant à la fois l'essai de leurs premières pensées, et l'essai de leurs premières amours.

Pour rendre le tableau parfait, Milton a eu l'art d'y placer l'esprit de ténèbres comme une grande ombre. L'ange rebelle épie les deux époux : il apprend de leurs bouches le fatal secret, il se réjouit de leur malheur à venir; et toute cette peinture de la félicité de nos pères n'est réellement que le premier pas vers d'affreuses calamités. Pénélope et Ulysse rappellent un malheur passé; Ève et Adam annoncent des maux près d'éclore. Tout drame pèche essentiellement par la base s'il offre des joies sans mélange de chagrins évanouis ou de chagrins à naître. Un bonheur absolu

nous ennuie; un malheur absolu nous repousse : le premier est dépouillé de souvenirs et de pleurs; le second, d'espérances et de sourires. Si vous remontez de la douleur au plaisir, comme dans la scène d'Homère, vous serez plus touchant, plus mélancolique, parceque l'ame ne fait que rêver au passé, et se repose dans le présent; si vous descendez au contraire de la prospérité aux larmes, comme dans la peinture de Milton, vous serez plus triste, plus poignant, parceque le cœur s'arrête à peine dans le présent, et anticipe les maux qui le menacent. Il faut donc toujours, dans nos tableaux, unir le bonheur à l'infortune, et faire la somme des maux un peu plus forte que celle des biens, comme dans la nature. Deux liqueurs sont mêlées dans la coupe de la vie, l'une douce et l'autre amère mais outre l'amertume de la seconde, il y a encore la lie, que les deux liqueurs déposent également au fond du vase.

:

CHAPITRE IV.

Le Père. Priam.

Du caractère de l'époux passons à celui de père; considérons la paternité dans les deux positions les plus sublimes et les plus touchantes de la vie, la vieillesse et le malheur. Priam, ce monarque tombé du sommet de la gloire, et dont les grands de la terre avoient recherché les faveurs, dum fortuna fuit; Priam, les cheveux souillés de cendres, le visage baigné de pleurs, seul au milieu de la nuit, a pénétré dans le camp des Grecs. Humilié aux genoux de l'impitoyable Achille, baisant les mains. terribles, les mains dévorantes (ávopogóvovs, qui dévorent les hommes) qui fumèrent tant de fois du sang de ses fils, il redemande le corps de son Hector :

Μνῆσαι πατρὸς σεῖο.

. ποτὶ στόμα χεῖρ ὀρέγεσται.

<< Souvenez-vous de votre père, ô Achille semblable aux Dieux! il est courbé comme moi sous le poids des années, et comme moi il touche au dernier terme de la vieillesse. Peut-être en ce moment même est-il accablé par de puissants voisins, sans avoir auprès de lui personne pour le défendre. Et cependant, lorsqu'il apprend que vous vivez, il se réjouit dans son cœur ; chaque jour il espère revoir son fils de retour de Troie. Mais moi, le plus infortuné des pères, de tant de fils que je comptois dans la grande Ilion, ne crois pas qu'un seul me soit resté. J'en avois cinquante quand les Grecs descendirent sur ces rivages. Dix-neuf étoient sortis des mêmes entrailles; différentes captives m'avoient donné les autres : la plupart ont fléchi sous le cruel

je

Mars. Il y en avoit un qui, seul, défendoit ses frères et Troie. Vous venez de le tuer, combattant pour sa patrie... Hector. C'est pour lui que je viens à la flotte des Grecs; je viens racheter son corps, et je vous apporte une immense rançon. Respectez les dieux, ô Achille ! ayez pitié de moi; souvenezvous de votre père. Oh, combien je suis malheureux! nul infortuné n'a jamais été réduit à cet excès de misère : je baise les mains qui ont tué mes fils!

Que de beautés dans cette prière ! quelle scène étalée aux yeux du lecteur! la nuit, la tente d'Achille, ce héros pleurant Patrocle auprès du fidèle Automédon, Priam apparoissant au milieu des ombres et se précipitant aux pieds du fils de Pélée! Là sont arrêtés, dans les ténèbres, les chars qui apportent les présents du souverain de Troie, et à quelque distance les restes défigurés du généreux Hector sont abandonnés, sans honneur, sur le rivage de l'Hellespont.

Étudiez le discours de Priam: vous verrez que le second mot prononcé par l'infortuné monarque est celui de père, пaτρòs; la seconde pensée, dans le même vers, est un éloge pour l'orgueilleux Achille, Soi imeixeλ' Axile, Achille semblable aux dieux. Priam doit se faire une grande violence pour parler åinsi au meurtrier d'Hector; il y a une profonde connoissance du cœur humain dans tout cela.

Le souvenir le plus tendre que l'on put offrir au fils de Pélée, après lui avoir rappelé son père, étoit sans doute l'âge de ce même père. Jusque-là Priam n'a pas encore osé dire un mot de lui-même ; mais soudain se présente un rapport qu'il saisit avec une simplicité touchante Comme moi, dit-il, il touche au dernier terme de la vieillesse. Ainsi Priam ne parle encore de lui qu'en se confondant avec Pélée; il force Achille à ne voir que son propre père dans un roi suppliant et malheureux. L'image du délaissement du vieux monarque, peut-être accablé par de puissants voisins pendant l'absence de son fils; la peinture de ses chagrins soudainement oubliés lorsqu'il apprend que ce fils est plein de vie; enfin, cette comparaison des peines passagères de Pélée, avec les maux.irréparables de Priam, offrent un mélange admirable de douleur, d'adresse, de bienséance et de dignité.

Avec quelle respectable et sainte habileté le vieillard d'Ilion n'amène-t-il pas ensuite le superbe Achille jusqu'à écouter paisiblement l'éloge même d'Hector! D'abord, il se garde bien de nommer le héros troyen il dit seulement, il y en avoit un, et il ne nomme Hector à son vainqueur qu'après lui avoir dit qu'il l'a tué, combattant pour la patrie:

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