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jour se passer sous nos yeux des choses extraordinaires sans y prendre aucun intérêt; mais nous aimons à entendre raconter des faits obscurs qui sont déja loin de nous. C'est qu'au fond les plus grands événements de la terre sont petits en eux-mêmes : notre ame, qui sent ce vice des affaires humaines, et qui tend sans cesse à l'immensité, tàche de ne les voir que dans le vague, pour les agrandir.

Or, l'esprit des siècles héroïques se forme du mélange d'un état civil encore grossier, et d'un état religieux porté à son plus haut point d'influence. La barbarie et le polythéisme ont produit les héros d'Homère; la barbarie et le christianisme ont enfanté les chevaliers du Tasse.

Qui, des héros ou des chevaliers, méritent la préférence, soit en morale, soit en poésic? C'est ce qu'il convient d'examiner.

En faisant abstraction du génie particulier des deux poètes, et ne comparant qu'homme à homme, il nous semble que les personnages de la Jérusalem sont supérieurs à ceux de l'Iliade.

Quelle différence, en effet, entre des chevaliers si francs, si désintéressés, si humains, et des guerriers perfides, avares, cruels, insultant aux cadavres de leurs ennemis, poétiques, enfin, par leurs vices, comme les premiers le sont par leurs vertus!

Si, par héroïsme, on entend un effort contre les passions en faveur de la vertu, c'est sans doute Godefroy, et non pas Agamemnon, qui est le véritable héros. Or, nous demandons pourquoi le Tasse, en peignant les chevaliers, a tracé le modèle du parfait guerrier, tandis qu'Homère, en représentant les hommes des temps héroïques, n'a fait que des espèces de monstres? C'est que le christianisme a fourni, dès sa naissance, le beau idéal moral ou le beau idéal des caractères, et que le polythéisme n'a pu donner cet avantage au chantre d'Ilion. Nous arrêterons un peu le lecteur sur ce sujet ; il importe trop au fond de notre ouvrage pour hésiter à le mettre dans tout son jour.

Il y a deux sortes de beau idéal, le beau idéal moral et le beau idéal physique : l'un et l'autre sont nés de la société.

L'homme très près de la nature, tel que le Sauvage, ne les connoît pas; il se contente, dans ses chansons, de rendre fidèlement ce qu'il voit. Comme il vit au milieu des déserts, ses tableaux sont nobles et simples: on n'y trouve point de mauvais goût, mais aussi ils sont monotones, et les actions qu'ils expriment ne vont pas jusqu'à l'héroïsme.

Le siècle d'Homère s'éloignoit déja de ces premiers temps. Qu'un

Canadien perce un chevreuil de ses flèches; qu'il le dépouille au milieu des forêts; qu'il étende la victime sur les charbons d'un chêne embrasé tout est poétique dans ces mœurs. Mais, dans la tente d'Achille, il y a déja des bassins, des broches, des vases; quelques détails de plus, et Homère tomboit dans la bassesse des descriptions, ou bien il entroit dans la route du beau idéal, en commençant à cacher quelque chose.

Ainsi, à mesure que la société multiplia les besoins de la vie, les poètes apprirent qu'il ne falloit plus, comme par le passé, peindre tout aux yeux, mais voiler certaines parties du tableau.

Ce premier pas fait, ils virent encore qu'il falloit choisir; ensuite que la chose choisie étoit susceptible d'une forme plus belle, ou d'un plus bel effet dans telle ou telle position.

Toujours cachant et choisissant, retranchant ou ajoutant, ils se trouvèrent peu à peu dans des formes qui n'étoient plus naturelles, mais qui étoient plus parfaites que la nature : les artistes appelèrent ces formes le beau idéal.

On peut donc définir le beau idéal, l'art de choisir et de cacher. Cette définition s'applique également au beau idéal moral et au beau idéal physique. Celui-ci se forme en cachant avec adresse la partie infirme des objets; l'autre, en dérobant à la vue certains côtés foibles de l'ame : l'ame a ses besoins honteux et ses bassesses comme le corps.

Et nous ne pouvons nous empêcher de remarquer qu'il n'y a que l'homme qui soit susceptible d'être représenté plus parfait que nature, et comme approchant de la Divinité. On ne s'avise pas de peindre le beau idéal d'un cheval, d'un aigle, d'un lion. Ceci nous fait entrevoir une preuve merveilleuse de la grandeur de nos fins et de l'immortalité de notre ame.

La société où la morale parvint le plus tôt à son développement dut atteindre le plus vite au beau idéal moral, ou, ce qui revient au même, au beau idéal des caractères: or, c'est ce qui distingue éminemment les sociétés formées dans la religion chrétienne. Il est étrange, et cependant rigoureusement vrai, que tandis que nos pères étoient des barbares pour tout le reste, la morale, au moyen de l'Évangile, s'étoit élevée chez eux à son dernier point de perfection de sorte que l'on vit des hommes, si nous osons parler ainsi, à la fois sauvages par le corps, et civilisés par l'ame.

C'est ce qui fait la beauté des temps chevaleresques, et ce qui leur donne la supériorité, tant sur les siècles héroïques que sur' les siècles tout à fait modernes.

Car si vous entreprenez de peindre les premiers âges de la Grèce, autant la simplicité des mœurs vous offrira des choses agréables, autant la barbarie des caractères vous choquera: le polythéisme ne fournit rien pour corriger la nature sauvage et l'insuffisance des vertus primitives.

Si au contraire vous chantez l'âge moderne, vous serez obligé de bannir la vérité de votre ouvrage, et de vous jeter à la fois dans le beau idéal moral et dans le beau idéal physique. Trop loin de la nature et de la religion sous tous les rapports, on ne peut représenter fidèlement l'intérieur de nos ménages, et moins encore le fond de nos cœurs.

La chevalerie seule offre le beau mélange de la vérité et de la fiction.

D'une part, vous pouvez offrir le tableau des mœurs dans toute sa naïveté un vieux château, un large foyer, des tournois, des joutes, des chasses, le son du cor, le bruit des armes, n'ont rien qui heurte le goût, rien qu'on doive ou choisir ou cacher.

Et d'un autre côté, le poëte chrétien, plus heureux qu'Homère, n'est point forcé de ternir sa peinture en y plaçant l'homme barbare ou l'homme naturel; le christianisme lui donne le parfait héros.

Ainsi, tandis que le Tasse est dans la nature relativement aux objets physiques, il est au-dessus de cette nature par rapport aux objets moraux.

Or, le vrai et l'idéal sont les deux sources de l'intérêt poétique: le touchant et le merveilleux.

CHAPITRE XII.

Suite du Guerrier.

MONTRONS à présent que ces vertus du chevalier, qui élèvent son caractère jusqu'au beau idéal, sont des vertus véritablement chrétiennes.

Si elles n'étoient que de simples vertus morales imaginées par le poëte, elles seroient sans mouvement et sans ressort. On en peut juger par Énée, dont Virgile a fait un héros philosophe.

Les vertus purement morales sont froides par essence: ce n'est pas quelque chose d'ajouté à l'ame, c'est quelque chose de retranché de la nature; c'est l'absence du vice, plutôt que la présence 'de la vertu.

Les vertus religieuses ont des ailes, elles sont passionnées.

Non contentes de s'abstenir du mal, elles veulent faire le bien : elles ont l'activité de l'amour, et se tiennent dans une région supérieure et un peu exagérée. Telles étoient les vertus des chevaliers.

La foi ou la fidélité étoit leur première vertu ; la fidélité est pareillement la première vertu du christianisme.

Le chevalier ne mentoit jamais. - Voilà le chrétien.

Le chevalier étoit pauvre, et le plus désintéressé des hommes. Voilà le disciple de l'Évangile.

Le chevalier s'en alloit à travers le monde, secourant la veuve et l'orphelin. Voilà la charité de Jésus-Christ.

Le chevalier étoit tendre et délicat. Qui lui auroit donné cette douceur, si ce n'étoit une religion humaine, qui porte toujours au respect pour la foiblesse? Avec quelle bénignité Jésus-Christ luimême ne parle-t-il pas aux femmes dans l'Evangile!

Agamemnon déclare brutalement qu'il aime autant Briséis que son épouse, parcequ'elle fait d'aussi beaux ouvrages.

Un chevalier ne parle pas ainsi.

Enfin le christianisme a produit l'honneur ou la bravoure des héros modernes, si supérieure à celle des héros antiques.

La véritable religion nous enseigne que ce n'est pas par la force du corps que l'homme se doit mesurer, mais par la grandeur de l'ame. D'où il résulte que le plus foible des chevaliers ne tremble jamais devant un ennemi; et, fût-il certain de recevoir la mort, il n'a pas même la pensée de la fuite.

Cette haute valeur est devenue si commune, que le moindre de nos fantassins est plus courageux que les Ajax, qui fuyoient devant Hector, qui fuyoit à son tour devant Achille. Quant à la clémence du chevalier chrétien envers les vaincus, qui peut nier qu'elle découle du christianisme?

Les poëtes modernes ont tiré une foule de traits nouveaux du caractère chevaleresque. Dans la tragédie il suffit de nommer Bayard, Tancrède, Nemours, Coucy: Nérestan apporte la rançon de ses frères d'armes, et se vient rendre prisonnier, parcequ'il ne peut satisfaire à la somme nécessaire pour se racheter lui-même. Les belles mœurs chrétiennes! Et qu'on ne dise pas que c'est une pure invention poétique; il y a cent exemples de chrétiens qui se sont remis entre les mains des infidèles, ou pour délivrer d'autres chrétiens, ou parcequ'ils ne pouvoient compter l'argent qu'ils avoient promis.

On sait combien le caractère chevaleresque est favorable à l'épo

pée. Qu'ils sont aimables tous ces chevaliers de la Jérusalem, ce Renaud si brillant, ce Tancrede si généreux, ce vieux Raymond de Toulouse, toujours abattu et toujours relevé ! On est avec eux sous les murs de Solyme; on croit entendre le jeune Bouillon s'écrier, au sujet d'Armide: « Que dira-t-on à la cour de France quand on saura que nous avons refusé notre bras à la beauté?» Pour juger de la différence qui se trouve entre les héros d'Homère et ceux du Tasse, il suffit de jeter les yeux sur le camp de Godefroy et sur les remparts de Sion. D'un côté sont les chevaliers, et de l'autre les héros antiques. Soliman même n'a tant d'éclat que parceque le poëte lui a donné quelques traits de la générosité du chevalier: ainsi le principal héros infidèle emprunte lui-même sa majesté du christianisme.

Mais c'est dans Godefroy qu'il faut admirer le chef-d'œuvre du caractère héroïque. Si Enée veut échapper à la séduction d'une femme, il tient les yeux baissés: Immota tenebat lumina; il cache son trouble; il répond des choses vagues : « Reine, je ne nie point tes bontés, je me souviendrai d'Élise, » Meminisse Elisa.

Ce n'est pas de cet air que le capitaine chrétien repousse les adresses d'Armide: il résiste, car il connoit les fragiles appas du monde ; il continue son vol vers le ciel, comme l'oiseau rassasié qui ne s'abat point où une nourriture trompeuse l'appelle.

Qual saturo augel, che non si cali,

Ove il cibo mostrando, altri l' invita.

Faut-il combattre, délibérer, apaiser une sédition, Bouillon est partout grand, partout auguste. Ulysse frappe Thersite de son sceptre (σκήπτρω δὲ μετάφρενον, ἠδὲ καὶ ὤμω πλῆξεν), et arrête les Grecs prêts à rentrer dans leurs vaisseaux ; ces mœurs sont naïves et pittoresques. Mais voyez Godefroy se montrant seul à un camp furieux qui l'accuse d'avoir fait assassiner un héros. Quelle beauté noble et touchante dans la prière de ce capitaine, plein de la conscience de sa vertu ; comme cette prière fait ensuite éclater l'intrépidité du général, qui, désarmé et tête nue, se présente à une soldatesque effrénée!

Au combat, une sainte et majestueuse valeur, inconnue aux guerriers d'Homère et de Virgile, anime le guerrier chrétien. Enée, couvert de ses armes divines, et debout sur la poupe de sa galère, qui approche du rivage rutule, est dans une attitude héroïque; Agamemnon, semblable au Jupiter foudroyant, présente une image pleine de grandeur: cependant Godefroy n'est inférieur ni au père

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