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L'auteur a beaucoup cité dans son livre, mais il paroît encore qu'il eût dû citer davantage. Par une fatalité singulière, il est presque toujours arrivé qu'en voulant blâmer l'auteur, les critiques ont compromis leur mémoire. Ils ne veulent pas que l'auteur dise, déchirer le rideau des mondes, et laisser voir les abîmes de l'éternité; et ces expressions sont de Tertullien: ils soulignent le puits de l'abîme et le cheval pâle de la mort, apparemment comme étant une vision de l'auteur; et ils ont oublié que ce sont des images de l'Apocalypse ils rient des tours gothiques coiffées de nuages; et ils ne voient pas que l'auteur traduit littéralement un vers de Shakspeare 3: ils croient que les ours enivrés de raisins sont une circonstance inventée par l'auteur; et l'auteur n'est ici qu'historien fidèle 4: l'Esquimaux qui s'embarque sur un rocher de glace leur paroît une imagination bizarre; et c'est un fait rapporté par Charlevoix 5 le crocodile qui pond un auf est une expression d'Hérodote ; ruse de la sagesse appartient à la Bible 7, etc. Un critique prétend qu'il faut traduire l'épithète d'Homère, Hoves, appliquée à Nestor, par Nestor au doux langage. Mais Hove ne voulut jamais dire au doux langage. Rollin traduit à peu près comme l'auteur du Génie du Christianisme, Nestor, cette bouche éloquente 8, d'après le texte grec, et non d'après la leçon latine du Scoliaste, Suaviloquus, que le critique a visiblement suivi.

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Au reste, l'auteur a.déja dit qu'il ne prétendoit pas défendre les talents qu'il n'a pas sans doute mais il ne peut s'empêcher d'observer que tant de petites remarques sur un long ouvrage ne servent qu'à dégoûter un auteur sans l'éclairer; c'est la réflexion que Montesquieu fait lui-même dans ce passage de sa Défense:

« Les gens qui veulent tout enseigner empêchent beaucoup

Cum ergo finis et limes medius, qui interhiat, adfuerit, ut etiam mundi ipsius species transferatur æque temporalis, quæ illi dispositioni æternitatis aulœi vice oppansa est. Apolog. cap. XLVII.

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Equus pallidus, cap. vi, v. 8. Puteus abyssi, cap. ix, v. 2.

3 The clouds-capttowers, the gorgeous palaces, etc.

Delille avoit dit dans les Jardins, en parlant des rochers:

(In the Temp.)

J'aime à voir leur front chauve et leur tête sauvage

Se colffer de verdure, et s'entourer d'ombrage.

J'ai cependant mis, dans les dernières éditions, couronnées d'un chapiteau de nuages. 4 Voyez la note 65, à la fin du volume.

5 « Croiroit-on que sur ces glaces énormes on rencontre des hommes qui s'y sont embarqués exprès? On assure pourtant qu'on y a vu plus d'une fois les Esquimaux, etc. » Histoire de la Nouv.-France, tome II, liv. x, pag. 293, édit. de Paris, 1744.

6 Τίκτει μὴν γὰρ ὡς ἐν τῆ ἐλείπει. Herod. lib. II, cap. Lxvii.

7 Astulias sapientiæ. Eccl. cap. 1, v. 6.

8 Traité des Études, tome 1, De la lecture d'Homère.

d'apprendre; il n'y a point de génie qu'on ne rétrécisse lorsqu'on l'enveloppera d'un million de scrupules vains: avez-vous les meilleures intentions du monde, on vous forcera vous-même d'en douter. Vous ne pouvez plus être occupé à bien dire quand vous êtes effrayé par la crainte de dire mal, et qu'au lieu de suivre votre pensée, vous ne vous occupez que des termes qui peuvent échapper à la subtilité des critiques. On vient nous mettre un béguin sur la tête, pour nous dire à chaque mot: Prenez garde de tomber: vous voulez parler comme vous, je veux que vous parliez comme moi. Va-t-on prendre l'essor, ils vous arrêtent par la manche. A-t-on de la force et de la vie, on vous l'ôte à coups d'épingle. Vous élevez-vous un peu, yoilà des gens qui prennent leur pied ou leur toise, lèvent la tête, et vous crient de descendre pour vous mesurer... Il n'y a ni science ni littérature qui puisse résister à ce pédantisme. »

C'est bien pis encore quand on y joint les dénonciations et les calomnies. Mais l'auteur les pardonne aux critiques; il conçoit que cela peut faire partie de leur plan, et ils ont le droit de réclamer pour leur ouvrage l'indulgence que l'auteur demande pour le sien. Cependant que revient-il de tant de censures multipliées où l'on n'aperçoit que l'envie de nuire à l'ouvrage et à l'auteur, et jamais un goût impartial de critique? Que l'on provoque des hommes que leurs principes retenoient dans le silence, et qui, forcés de descendre dans l'arène, peuvent y paroître quelquefois avec des armes qu'on ne leur soupçonnoit pas.

1 Défense de l'Esprit des Lois, troisième partie.

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J'ATTENDOIS avec impatience, mon cher ami, la seconde édition du livre de Mme de Staël sur la littérature. Comme elle avoit promis de répondre à votre critique, j'étois curieux de savoir ce qu'une femme aussi spirituelle diroit pour la défense de la perfectibilité. Aussitôt que l'ouvrage m'est parvenu dans ma solitude, je me suis hâté de lire la préface et les notes; mais j'ai vu qu'on n'avoit résolu aucune de vos objections". On a seulement tâché d'expliquer le mot sur lequel roule tout le système. Hélas! il seroit fort doux de croire que nous nous perfectionnons d'âge en âge, et que le fils est toujours meilleur que son père. Si quelque chose pouvoit prouver cette excellence du cœur humain, ce seroit de voir que Mme de Staël a trouvé le principe de cette illusion dans son propre cœur. Toutefois j'ai peur que cette dame, qui se plaint si souvent des hommes en vantant leur perfectibilité, ne soit comme ces prêtres qui ne croient point à l'idole dont ils encensent les autels.

Je vous dirai aussi, mon cher ami, qu'il me semble tout à fait indigne d'une femme du mérite de l'auteur d'avoir cherché à vous répondre en élevant des doutes sur vos opinions politiques. Et que font ces prétendues opinions à une querelle purement littéraire? Ne pourroit-on pas rétorquer l'argument contre Mme de Staël, et lui dire qu'elle a bien l'air de ne pas aimer le gouvernement actuel 3, et de regretter les jours d'une plus grande liberté? Mme de Staël étoit trop au-dessus de ces moyens pour les employer.

A présent, mon cher ami, il faut que je vous dise ma façon de penser sur ce nouveau cours de littérature; mais en combattant le système qu'il renferme, je vous paroîtrai peut-être aussi déraisonnable que mon adversaire. Vous n'ignorez pas que ma folie à moi est de voir Jésus-Christ partout, comme Mme de Staël la perfectibilité. J'ai le malheur de croire, avec Pascal, que la religion

› De la Littérature considérée dans ses rapports avec la morale, etc. (1801.)

» M. de Fontanes avoit fait trois extraits d'excellente critique sur la première édition de 'ouvrage de madame de Staël.

3 Le consulat, en 1801.

chrétienne a seule expliqué le problème de l'homme. Vous voyez que je commence par me mettre à l'abri sous un grand nom, afin que vous épargniez un peu mes idées étroites et ma superstition antiphilosophique. Au reste, je m'enhardis en songeant avec quelle indulgence vous avez déja annoncé mon ouvrage '; mais cet ouvrage quand paroîtra-t-il? Il y a deux ans qu'on l'imprime, et il y a deux ans que le libraire ne se lasse point de me faire attendre, ni moi de corriger. Ce que je vais donc vous dire dans cette lettre sera tiré en partie de mon livre futur sur les beautés de la religion chrétienne. Il sera divertissant pour vous de voir comment deux esprits partant de deux points opposés sont quelquefois arrivés aux mêmes résultats. Mme de Staël donne à la philosophie ce que j'attribue à la religion; et en commençant par la littérature ancienne, je vois bien, avec l'ingénieux auteur que vous avez réfuté, que notre théâtre est supérieur au théâtre ancien; je vois bien encore que cette supériorité découle d'une plus profonde étude du cœur humain. Mais à quoi devons-nous cette connoissance des passions? -Au christianisme, et non à la philosophie. Vous riez, mon ami : écoutez-moi.

S'il existoit une religion dont la qualité essentielle fût de poser une barrière aux passions de l'homme, elle augmenteroit nécessairement le jeu de ces passions dans le drame et dans l'épopée ; elle seroit, par sa nature même, beaucoup plus favorable au développement des caractères que toute autre institution religieuse, qui, ne se mêlant point aux affections de l'ame, n'agiroit sur nous que par des scènes extérieures. Or, la religion chrétienne a cet avantage sur les cultes de l'antiquité : c'est un vent céleste qui enfle les voiles de la vertu, et multiplie les orages de la conscience autour du vice.

Toutes les bases du vice et de la vertu ont changé parmi les hommes, du moins parmi les hommes chrétiens, depuis la prédication de l'Évangile. Chez les anciens, par exemple, l'humilité étoit une bassesse, et l'orgueil une qualité. Parmi nous, c'est tout le contraire l'orgueil est le premier des vices, et l'humilité la première des vertus. Cette seule mutation de principes bouleverse la morale entière. Il n'est pas difficile d'apercevoir que c'est le christianisme qui a raison, et que lui seul a rétabli la véritable nature. Mais il résulte de là que nous devons découvrir dans les passions des choses que les anciens n'y voyoient pas, sans qu'on puisse attribuer ces nouvelles vues du cœur humain à une perfection croissante du génie de l'homme.

Génie du Christianisme.

Donc, pour nous, la racine du mal est la vanité, et la racine du bien la charité. De sorte que les passions vicieuses sont toujours un composé d'orgueil, et les passions vertueuses un composé d'amour. Avec ces deux termes extrêmes, il n'est point de termes moyens qu'on ne trouve aisément dans l'échelle de nos passions. Le christianisme a été si loin en morale, qu'il a, pour ainsi dire, donné les abstractions ou les règles mathématiques des émotions de l'ame.

Je n'entrerai point ici, mon cher ami, dans le détail des caractères dramatiques, tels que ceux du père, de l'époux, etc. Je ne traiterai point aussi de chaque sentiment en particulier : vous verrez tout cela dans mon ouvrage. J'observerai seulement, à propos de l'amitié, en pensant à vous, que le christianisme en développe singulièrement les charmes, parcequ'il est tout en contrastes comme elle. Pour que deux hommes soient parfaits amis, ils doivent s'attirer et se repousser sans cesse par quelque endroit il faut qu'ils aient des génies d'une même force, mais d'un genre différent, des opinions opposées, des principes semblables; des haines et des amours diverses, mais au fond la même dose de sensibilité; des humeurs tranchantes, et pourtant des goûts pareils, en un mot, de grands contrastes de caractères, et de grandes harmonies de cœur.

En amour, Mme de Staël a commenté Phèdre : ses observations sont fines, et l'on voit par la leçon du Scoliaste, qu'il a parfaitement entendu son texte. Mais si ce n'est que dans les siècles modernes que s'est formé ce mélange des sens et de l'ame, cette espèce d'amour dont l'amitié est la partie morale, n'est-ce pas encore au christianisme que l'on doit ce sentiment perfectionné? N'est-ce pas lui qui, tendant sans cesse à épurer le cœur, est parvenu à répandre de la spiritualité jusque dans le penchant qui en paroissoit le moins susceptible? Et combien n'en a-t-il pas redoublé l'énergie en le contrariant dans le cœur de l'homme? Le christianisme seul a établi ces terribles combats de la chair et de l'esprit, si favorables aux grands effets dramatiques. Voyez, dans Héloïse, la plus fougueuse des passions luttant contre une religion menaçante. Héloïse aime, Héloïse brûle; mais là s'élèvent des murs glacés; là tout s'éteint sous des marbres insensibles; là des châtiments ou des récompenses éternelles attendent sa chute ou son triomphe. Didon ne perd qu'un amant ingrat: oh! qu'Héloïse est travaillée d'un tout autre soin! Il faut qu'elle choisisse entre Dieu et un amant fidèle, et qu'elle n'espère pas détourner secrè

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