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superstition ridicule. J'entre dans une sainte colère, quand on veut rapprocher les auteurs du dix-huitième siècle des écrivains du dix-septième et même à présent que je vous en parle, cé seul souvenir est prêt à m'emporter la raison hors des gonds, comme dit Blaise Pascal. Il faut que je sois bien séduit par le talent de Mme de Staël, pour rester muet dans une pareille cause.

Mon ami, nous n'avons pas d'historiens, dit-elle. Je pensois que Bossuet-étoit quelque chose! Montesquieu lui-même lui doit son livre de la Grandeur et de la décadence de l'empire romain, dont il a trouvé l'abrégé sublime dans la troisième partie du Discours sur l'Histoire universelle. Les Hérodote, les Tacite, les Tite-Live, sont petits, selon moi, auprès de Bossuet : c'est dire assez que les Guichardin, les Mariana, les Hume, les Robertson, disparoissent devant lui. Quelle revue il fait de la terre! Il est en mille lieux à la fois patriarche sous le palmier de Tophel, ministre à la cour de Babylone, prêtre à Memphis, législateur à Sparte, citoyen à Athènes et à Rome, il change de temps et de place à son gré; il passe avec la rapidité et la majesté des siècles. La verge de la loi à la main, avec une autorité incroyable, il chasse pêle-mêle devant lui et Juifs et Gentils au tombeau; il vient enfin lui-même à la suite du convoi de tant de générations; et, marchant appuyé sur Isaïe et sur Jérémie, il élève ses lamentations prophétiques à travers la poudre et les débris du genre humain.

Sans religion on peut avoir de l'esprit ; mais il est presque impossible d'avoir du génie. Qu'ils me semblent petits la plupart de ces hommes du dix-huitième siècle, qui, au lieu de l'instrument infini dont les Racine et les Bossuet se servoient pour trouver la note fondamentale de leur éloquence, emploient l'échelle d'une étroite philosophie, qui subdivise l'ame en degrés et en minutes, et réduit tout l'univers, Dieu compris, à une simple soustraction du néant!

Tout écrivain qui refuse de croire en un Dieu, auteur de l'univers et juge des hommes, dont il a fait l'ame immortelle, bannit l'infini de ses ouvrages. Il enferme sa pensée dans un cercle de boue, dont il ne sauroit plus sortir. Il ne voit plus rien de noble dans la nature. Tout s'y opère par d'impurs moyens de corruption et de régénération. Le vaste abîme n'est qu'un peu d'eau bitumineuse; les montagnes sont de petites protubérances de pierres calcaires ou vitrescibles. Ces deux admirables flambeaux des cieux, dont l'un s'éteint quand l'autre s'allume, afin d'éclairer nos travaux et nos veilles, ne sont que deux masses pesantes, formées

au hasard par je ne sais quelle agrégation fortuite de matière. Ainsi, tout est désenchanté, tout est mis à découvert par l'incrédule; il vous dira même qu'il sait ce que c'est que l'homme; et, si vous voulez l'en croire, il vous expliquera d'où vient la pensée, et ce qui fait que votre cœur se remue au récit d'une belle action : tant il a compris facilement ce que les plus grands génies n'ont pu comprendre! Mais approchez et voyez en quoi consistent les hautes lumières de la philosophie! Regardez au fond de ce tombeau; contemplez ce cadavre enseveli, cette statue du néant, voilée d'un linceul c'est tout l'homme de l'athée.

Voilà une lettre bien longue, mon cher ami, et cependant je ne vous ai pas dit la moitié des choses que j'aurois à vous dire.

On m'appellera capucin, mais vous savez que Diderot aimoit fort les capucins. Quant à vous, en votre qualité de poëte, pourquoi seriez-vous effrayé d'une barbe blanche? Il y a longtemps qu'Homère a réconcilié les Muses avec elle. Quoi qu'il en soit, il est temps de mettre fin à cette épître. Mais, comme vous savez que nous autres papistes avons la fureur de vouloir convertir notre prochain, je vous avouerai en confidence que je donnerois beaucoup de choses pour voir Mme de Staël se ranger sous les drapeaux de la religion. Voici ce que j'oserois lui dire si j'avois l'honneur de la connoître :

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« Vous êtes sans doute une femme supérieure; votre tête est forte, et votre imagination quelquefois pleine de charmes, témoin «ce que vous dites d'Herminie déguisée en guerrier. Votre expression a souvent de l'éclat et de l'élévation.

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Mais, malgré tous ces avantages, votre ouvrage est bien loin « d'être ce qu'il auroit pu devenir. Le style en est monotone, sans << mouvement, et trop mêlé d'expressions métaphysiques. Le sophisme des idées repousse, l'érudition ne satisfait pas, et le cœur « surtout est trop sacrifié à la pensée. D'où proviennent ces dé«fauts? de votre philosophie. C'est la partie éloquente qui manque "essentiellement à votre ouvrage. Or, il n'y a point d'éloquence « sans religion. L'homme a tellement besoin d'une éternité d'espé«rance, que vous avez été obligée de vous en former une sur la "terre par votre système de perfectibilité, pour remplacer cet infini, « que vous refusez de voir dans le ciel. Si vous êtes sensible à la " renommée, revenez aux idées religieuses. Je suis convaincu .« que vous avez en vous le germe d'un ouvrage beaucoup plus beau que tous ceux que vous nous avez donnés jusqu'à présent. "Votre talent n'est qu'à demi développé ; la philosophie l'étouffe;

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« et si vous demeurez dans vos opinions, vous ne parviendrez point à la hauteur où vous pouviez atteindre, en suivant la route *« qui a conduit Pascal, Bossuet 'et Racine à l'immortalité. » Voilà comme je parlerois à Mme de Staël sous les rapports de la gloire. Quand je viendrois à l'article du bonheur, pour rendre mes sermons moins ennuyeux, je varierois ma manière. J'emprunterois cette langue des forêts qui m'est permise en ma qualité de Sauvage. Je dirois à ma néophyte :

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« Vous paroissez n'être pas heureuse: vous vous plaignez sou<< vent dans votre ouvrage de manquer de cœurs qui vous entendent. Sachez qu'il y a de certaines ames qui cherchent en vain dans la nature les ames auxquelles elles sont faites pour s'unir, « et qui sont condamnées par le grand Esprit à une sorte de veuvage éternel.

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Si c'est là votre mal, la religion seule peut le guérir. Le mot philosophie, dans le langage de l'Europe, me semble correspondre au mot solitude, dans l'idiome des Sauvages. Or, comment « la philosophie remplira-t-elle le vide de vos jours? Comble-t-on « le désert avec le désert?

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« Il y avoit une femme des monts Apalaches qui disoit : Il n'y a point de bons génies, car je suis malheureuse, et tous les habi«tants des cabanes sont malheureux. Je n'ai point encore rencon«< tré d'homme, quel que fût son air de félicité, qui n'entretìnt une plaie cachée. Le cœur le plus serein en apparence ressemble au puits naturel de la savane Alachua: la surface yous en paroît « calme et pure; mais lorsque vous regardez au fond du bassin tranquille, vous apercevez un large crocodile que le puits nourrit « dans ses ondes.

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"La femme alla consulter le jongleur du désert de Scambre, pour « savoir s'il y avoit de bons génies. Le jongleur lui répondit : Ro<< seau du fleuve, qui est-ce qui t'appuiera, s'il n'y a point de bons génies? Tu dois y croire, par cela seul que tu es malheureuse. Que « feras-tu de la vie, si tu es sans bonheur, et encore sans espérance? Occupe-toi, remplis secrètement la solitude de tes jours par des « bienfaits. Sois l'astre de l'infortune; répands tes clartés modestes « dans les ombres; sois témoin des pleurs qui coulent en silence, et que les misérables puissent attacher les yeux sur toi, sans être éblouis. Voilà le seul moyen de trouver ce bonheur qui te man« que. Le grand Esprit ne t'a frappée que pour te rendre sensible « aux maux de tes frères, et pour que tu cherches à les soulager. « Si notre cœur est comme le puits du crocodile, il est aussi comme

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«ces arbres qui ne donnent leur baume pour les blessures des << hommes que lorsque le fer les a blessés eux-mêmes.

« Lejongleur du désert de Scambre, ayant ainsi parlé à la femme « des monts Apalaches, rentra dans le creux de son rocher.

Adieu, mon cher ami, je vous aime et vous embrasse de tout

mon cœur.

L'AUTEUR DU GÉNIE DU CHRISTIANISME.

NOTES

ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

NOTE 1.

L'ENCYCLOPÉDIE est un fort mauvais ouvrage, c'est l'opinion de Voltaire lui

même.

« J'ai vu par hasard quelques articles de ceux qui se font, comme moi, les gara çons de cette grande boutique; ce sont, pour la plupart, des dissertations sans « méthode. On vient d'imprimer dans un journal l'article Femme, qu'on tourne « horriblement en ridicule. Je ne peux croire que vous ayez souffert un tel article « dans un ouvrage si sérieux: Chloé presse du gonou un potit mattre, ct chif fonne les dentelles d'un autre ; il semble que cet article soit fait pour le laquais « de Gil Blas.

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« J'ai vu Enthousiasme, qui est meilleur ; mais on n'a que faire d'un si long « discours pour savoir que l'enthousiasme doit être gouverné par la raison. Le « lecteur veut savoir d'où vient ce mot, pourquoi les anciens le consacrérent à la divination, à la poésie, à l'éloquence, au zèle de la superstition; le lecteur veut « des exemples de ce transport secret de l'ame, appelé enthousiasme; ensuite if « est permis de dire que la raison, qui préside à tout, doit aussi conduire ce trans« port. Enfin, je ne voudrois, dans votre dictionnaire, que vérité et méthode. « Je ne me soucie pas qu'on me donne son avis particulier sur la comédie: je veux « qu'on m'en apprenne la naissance et les progrès chez chaque nation; voilà ce qui plaît, voilà ce qui instruit. On ne lit point ces petites déclamations, dans lesquelles un auteur ne donne que ses propres idées, qui ne sont qu'un sujet « de dispute. » Correspondance de Voltaire et de d'Alembert, vol. 1er, p. 19, édit. in-8° de Beaumarchais, (Lettre du 13 novembre 1756.)

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Page 25. « Vous m'encouragez à vous réprésenter en général qu'on se plaint << de la longueur des dissertations vagues et sans méthode que plusieurs personnes « vous fournissent pour se faire valoir; il faut songer à l'ouvrage, et non à soi. « Pourquoi n'avez-vous pas recommandé une espèce de protocole à ceux qui vous a servent: étymologie, définitions, exemples, raisons, clarté et brièveté? Je n'ai « vu qu'une douzaine d'articles, mais je n'y ai rien trouvé de tout cela.» (22 décembre 1756.)

Page 62. « Je cherche, dans les articles dont vous me chargez, à ne rien dire « que de nécessaire, et je crains de n'en pas dire assez ; d'un autre côté, je crains « de tomber dans la déclamation.

« Il me paroît qu'on vous a donné plusieurs articles remplis de ce défaut; il me « revient toujours qu'on s'en plaint beaucoup. Le lecteur ne veut qu'être instruit, « et il ne l'est point du tout par les dissertations vagues et puériles, qui, pour la « plupart, renferment des paradoxes, des idées hasardées, dont le contraire est « souvent vrai, des phrases ampoulées, des exclamations qu'on simferoit dans << une académie de province. » (29 décembre 1757.)

D'Alembert, dans le discours à la tête du troisième volume de l'Encyclopedis,

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