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Il laisse une proposition: Viète résolut cette proposition. Le Hollandais revient, on la lui donne le voilà bien étonné. Il prend son parti d'attendre jusqu'à l'heure du dîner. Le maître des requêtes revient; le Hollandais lui embrasse les genoux; M. Viète, tout honteux, le relève, lui fait un million d'amitiés ; ils dînent ensemble, et après il le mène dans son cabinet. Adrianus fut six semaines sans le pouvoir quitter (1). »

Malgré certains détails manifestement inexacts, le fond de ce récit est certainement vrai. Mais d'après de Thou (2), mieux informé, ce serait à la suite de la résolution, par Viète, du problème proposé par Romanus, dans le Methodus, et des essais tentés par ce dernier pour résoudre à son tour un problème posé par Viète (3), que des relations suivies se seraient établies entre les deux géomètres. De Thou fait remarquer que Romanus habitait alors Wurtzbourg, détail qui a son importance, comme on le verra tout à l'heure.

Un des ouvrages qui portèrent le plus haut la réputation du savant de Louvain, fut son Apologia pro Archimede, publiée à Wurtzbourg, en 1597 (4). Reymarus Ursus, Oronce Finée et Joseph Scaliger avaient mis au jour de prétendues solutions du problème de la quadrature du

(1) Historiettes de Tallemant des Réaux, t. II, p. 88 (édit. de Montmerqué).

(2) Histoire universelle, t. XIV, Londres, 1734, p. 163.

(3) Le problème de tracer un cercle tangent à trois cercles donnés. Adrianus en donnait une solution reposant sur les lignes du second ordre. Viète le résolut par le cercle et la ligne droite, ce qui était plus conforme à l'esprit géométrique des Anciens.

(4*) In Archimedis Circuli dimensionem expositio et analysis. Apologia ad Archimedem, Wurtzbourg, 1597. Dans cette dispute scientifique entre Romanus et trois des hommes les plus célèbres de son temps, il faut reconnaître que tout l'honneur est demeuré à Romanus, aussi bien pour le fond de la question que pour la forme toujours courtoise et modérée avec laquelle il combattit ses adversaires. Voyez GILBERT, art. cité de 1859, pp. 394-397, et H. BOSMANS, dans la Biogr. Nation., t. 19, col. 566-571, no 15, ainsi que les travaux de D. BIERENS DE HAAN, cités par le P. Bosmans.

cercle, dont on avait donné déjà des réfutations, assez mal accueillies par leurs auteurs, surtout par Scaliger (1). Romanus entra à son tour en lice, et, sous la forme la plus modérée, mais avec une netteté irréprochable, il fit justice des paralogismes de ses savants adversaires. L'Apologia n'a plus aujourd'hui d'importance, quant à son objet propre ; à part quelques cerveaux détraqués, personne ne s'occupe plus de la quadrature du cercle dans le sens que lui attribuaient Scaliger et Finée. Mais il n'en était pas de même en 1595, et c'était rendre un vrai service que de dévoiler, dans les écrits d'hommes aussi célèbres, des sophismes qui ne tendaient à rien moins qu'à bouleverser la Géométrie.

Mais ce n'est pas à ce point de vue que l'ouvrage de Romanus est surtout intéressant: on y trouve clairement énoncées des idées qui, par leur généralité et leur nouveauté, montrent que van Roomen avait pressenti le grand mouvement dont-Viète allait être l'initiateur dans les Sciences mathématiques. C'est là son principal titre de gloire.

L'Algèbre, en effet, telle qu'elle avait été cultivée par les Arabes et les géomètres italiens du XIIIe siècle, était une science presque entièrement numérique. Dans les problèmes, l'inconnue seule était représentée par une lettre, ses diverses puissances par des dénominations variables, et quant aux données, aux quantités regardées comme connues, elles étaient toujours des nombres déterminés. Il en était de même pour les applications de l'Algèbre à la Géométrie, et l'inconvénient évident de cette manière de procéder était de faire disparaître dans les résultats du calcul toute trace des opérations qui y

(1*) Scaliger, atteint plus que tout autre par l'épidémie, qui régnait alors, de fausses quadratures du cercle, ne démordait point de sa thèse π = V10 et rudoyait fort l'excellente et commode égalité (approchée) d'Archimède, î restée classique.

22/7 (ou π

3,14), qui est

avaient conduit. Ceux qui s'étaient avancés le plus loin, comme Léonard de Pise et Lucas di Borgo, se bornaient à figurer par des lettres quelques-unes des quantités sur lesquelles ils opéraient, afin de faciliter le langage, mais c'était tout le raisonnement, la déduction mathématique se faisait en langage ordinaire.

L'admirable invention de Viète ne consiste donc pas à avoir représenté par des lettres les quantités connues aussi bien que les inconnues, mais à avoir substitué au raisonnement développé en langage vulgaire un langage conventionnel pratiqué sur des lettres représentant des quantités ; à peindre, par des combinaisons, toute la suite des opérations de l'esprit, ainsi que les résultats auxquels elles conduisent, en sorte qu'on y lise immédiatement comment les quantités cherchées se composent invariablement avec les données primitives de la question. « Ce qu'on attribue à Viète, dit un illustre géomètre, c'est d'avoir le premier figuré des calculs virtuels avec des lettres, calculs qu'on ne savait faire qu'avec des nombres ; c'est d'avoir créé les expressions et les formules algébriques, et cet art des transformations qui équivalent à de longs et pénibles calculs auxquels l'esprit humain ne pouvait suffire; enfin, c'est d'avoir créé ce qu'on appelle aujourd'hui l'Algèbre ou le calcul des symboles (1) ».

Or, dans un passage de sa réfutation de Scaliger, Adrianus Romanus avait été amené à déclarer qu'à ses yeux « il existe une science mathématique commune à l'Arithmétique et à la Géométrie, une science universelle, embrassant les propriétés qui conviennent à toute quantité, à toute chose mesurable, non seulement abstraite, comme les nombres et les grandeurs géométriques, mais concrète, comme les lieux, les mouvements, les forces,

(1) CHASLES, Note sur la nature des opérations de l'Algèbre et sur les droits de Viète méconnus, dans les Comptes Rendus de l'Acad. des Sciences, 1841, t. XII, p. 741.

etc. (1). » Il se propose ensuite de donner une certaine esquisse ou idée de cette « Mathématique universelle », dans laquelle il n'est fait usage d'aucun nombre, et énonce une série de définitions et de théorèmes applicables à toutes les quantités, en se servant des lettres A, B, C, pour désigner celles-ci. Plus loin, sa pensée se développe : il explique l'usage des signes algébriques, définit, indique et figure les opérations les plus simples de l'Arithmétique sur des quantités quelconques, positives ou négatives, représentées par des lettres ; il indique le rapport de deux

A

quantités A et B par le symbole, ce qui est tout à fait

B

conforme à l'esprit de l'Algèbre de Viète (2).

Pour prouver que je n'exagère pas l'importance de ces premières lueurs, au moins au point de vue du mérite

(1) Apologia, p. 12. L'exemplaire de l'Apologia, conservé à la Bibliothèque universitaire avant l'incendie de 1914, était celui qui avait appartenu à l'auteur même et que celui-ci avait enrichi de notes manuscrites en marge; le volume portait les armes de Romanus. Il importe d'observer que Gilbert cite tantôt le texte imprimé, tantôt les notes autographes de Romanus.

(2*) Apologia, pp. 43-50. Il y aurait lieu d'examiner ici l'influence qu'exerça sur Romanus, dans l'invention de son Algèbre « littérale » ou symbolique », le Libro de Algebra, de PEDRO NUNEZ, écrit en espagnol et publié en 1567, à Anvers. Ce livre du grand cosmographe portugais, professeur à l'Université de Coïmbre, cut quelque célébrité durant le dernier tiers du xvIe siècle. L'Université de Louvain possédait, avant la catastrophe de 1914, l'exemplaire qui avait appartenu à Romanus et était marqué de ses armes. Les algébristes Butéon, Gosselin, Peletier, Petri de Deventer et surtout Pedro Nunez préparèrent l'œuvre de Romanus et furent les précurseurs, après Tartaglia, Cardan et Michel Stifel, du grand Viète. Nunez, inspiré par l'algébriste du XIIe siècle Jordan de Némore, qui représentait les éléments de ses démonstrations par des lignes munies chacune d'une lettre particulière, représente lui aussi par des lettres, mais sans lignes annexées, les divers éléments de la démonstration et raisonne sur ces symboles. Stévin et Romanus parlent de Nunez avec grand éloge. Voy. à ce sujet, les articles de H. Bosmans, sur L'Algèbre de Pedro Nunez, dans les Annaes da Academia polytechnica de Porto, t. III, Coïmbre, 1908, 50 pages, et dans la Bibliotheca Mathem., d'Enestroem, série 3, t. 3, janvier 1908, pp. 154-169.

personnel du savant belge, je citerai ici l'opinion d'un juge bien compétent, Michel Chasles :

<< Parmi les modernes, dit l'illustre géomètre français, ceux qui nous paraissent avoir le plus approché, relativement, de l'invention de Viète, et qui peuvent mériter une mention dans l'histoire de cette grande découverte, sont, à des titres différents, Stifel, Peletier et Butéon, et de l'autre, Adrianus Romanus... C'est sous un autre point de vue que nous citerons Romanus. Ce géomètre s'est servi de lettres, non pas seulement comme désignation abrégée des quantités sur lesquelles il avait à raisonner, ainsi que tant d'autres avaient fait avant lui, mais dans une pensée philosophique neuve et profonde, qui nous paraît être celle que Viète a réalisée; savoir, de créer une Science mathématique universelle embrassant, sous la forme de symboles abstraits et généraux, les quantités de toute nature, telles que les grandeurs de la Géométrie et les nombres de l'Arithmétique.

>> Pour donner une idée de cette science qu'il concevait, Romanus a énoncé sur des lettres les premières règles de l'Arithmétique, telles que la règle de trois. Il faut surtout remarquer dans ces prolégomènes l'application des signes et aux lettres, car ce fait porte essentielle+ ment le caractère de l'abstraction algébrique.

>> Il semble donc que c'est Romanus qui a le plus approché de la conception de Viète, dans ce sens qu'il en a eu l'idée ; mais il n'a pas su appliquer cette idée heureuse... Néanmoins, la tentative de Romanus lui fait honneur et rehausse le mérite et la gloire de Viète, car Romanus était lui-même un homme de génie et un très habile et très célèbre géomètre. C'est à tort, je crois, que l'on avait passé sous silence jusqu'ici, dans l'histoire des Mathématiques, sa conception analytique que nous venons de rappeler (1). »

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