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rejaillit vers la Toscane et le Nord de l'Italie, pour y trouver des destinées nouvelles.

Oui, nouvelles en vérité ! - Car, usée et ressassée depuis tant d'années en l'éloge des dames, et la plainte séculaire de leurs sévérités, la poësie amoureuse vient d'être utilisée pour un emploi qu'elle n'avait jamais encore connu. Et cela, Dante encore le sait bien. Son âme de Florentin, avide de réalités et de nouveautés, pas plus que son âme de philosophe, ne se fût pliée au jeu suranné d'une redite continuelle en une banale galanterie. Au moment où il se donne à la poësie courtoise, elle vient de rajeunir. Le groupe florentin auquel il s'est affilié appartient à une nouvelle école. Une nouvelle méthode poëtique a ouvert à la poésie amoureuse une veine inconnue. A cette méthode Dante donnera un nom ; car il a souvent réussi à trouver pour les choses de l'âme des noms qui à jamais en fixent l'image. Le nom qu'il inventera est celui-ci, que la postérité n'a pas oublié « IL DOLCE STIL NUovo, le Doux Style

nouveau. >>

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Pour comprendre la Vita Nova, il faut savoir, du moins en façon générale, ce que l'on doit entendre par

ce nom.

Le Doux Style nouveau est l'évolution dernière la plus haute de la poësie courtoise vers le symbolisme et l'expression de vérités métaphysiques.

Quelques mots d'explication sont ici nécessaires.

B

Le Doux Style nouveau est un fait particulier, bien défini. Il ne faut pas le confondre avec le mouvement idéaliste, qui modifiait depuis quelques années déjà la veine d'inspiration des poëtes courtois. La poësie amoureuse du XIe siècle avait été très naïve et très sensuelle; au XIIe siècle elle tendit à se purifier. Les poëtes s'efforcèrent d'idéaliser la femme et l'amour. Cela est si vrai que plusieurs poëtes, français notamment, du XIII et des débuts du XIV° siècle, arrivent à se rencontrer, par la pensée, et presque par l'expression même, avec des Italiens du Doux Style nouveau. Nous trouvons dans Adam de la Halle tels accents qui font songer à la Vita Nova:

Car ma Dame est tant douche a resgarder
que mauvestés ne porroit demorer

en cuer d'ome qui la voie 1.

C'est ici l'expression de l'idéal féminin de la chevalerie; la Dame ici chantée est celle pour laquelle on se croise et l'on combat l'infidèle, celle qui hait toute bassesse et toute lâcheté, et pour plaire à laquelle

1. Cf. BERTONI, Il dolce stil nuovo dans Studi medievali, vol. II, fasc. 3, p. 352, sq., et Guy, Adam de la Halle, Paris, 1898. A peine ai-je besoin de dire que je ne fais ici que résumer, telles que je les comprends, les nombreuses et souvent excellentes études publiées récemment en Italie sur le Dolce stil nuovo? Je recommande en particulier la belle Lecture donnée à Florence par Vittorio Rossi (insérée dans LECTURA DANTIS. Le opere minori. Florence, 1906, p. 35, sq.)

il n'est rien, que de bien vouloir et bien faire. Renan a dit quelque part l'influence de civilisation et de moralisation qu'eut la femme chrétienne et la pudeur chrétienne de la femme, dans les siècles durs et rudes. Cette influence est bien sensible dans la littërature.

L'exaltation de l'idéal féminin est une des conséquences du grand élan religieux du XIII° siècle, dont les prédicateurs monastiques furent les plus puissants instruments; elle se lie particulièrement au développement nouveau qu'avait pris le culte de la Vierge Marie depuis les jours de Bernard de Clairvaux et par son influence1. Ce fut, avec un flot de foi et de prière, un flot puissant d'idéal qui passa sur l'humanité. Il était impossible qu'il n'eut pas quelque influence sur les poëtes courtois, dont le métier était de chanter la femme, d'exalter sa beauté et solliciter sa bienveillance; que de nouvelles images ne leur apportait pas ce mouvement de pensée et d'amour vers la plus belle, la plus pure des femmes, la bénie

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1. Cf. surtout VACANDARD: La Vie de Saint Bernard. Paris, Lecoffre, 1895, et notamment t. II, p. 90, sq. On relève tous les jours des preuves nouvelles de l'influence de la dévotion à Marie dans le domaine de la poësie. Voir par exemple des imitations pieuses de Ballettes et de Pastourelles dans JEANROY: les Origines de la poésie lyrique en France, 2o éd. Paris, Champion, 1904. Cf. aussi les curieuses Canzoni du Génois LANFRANCO CICALa dans BERTONI, loc. cit. Certaines expressions même, chères au poëte courtois pour désigner la dame de ses pensées, sont devenues les noms usuels et populaires de Marie; en Italie : Madonna; en France: Notre-Dame.

entre toutes, la pleine de grâces? Ce fut, au-dessus des pauvres petites humanités féminines en leur grâce périssable, l'apparition d'un « éternel féminin », vrai, vivant, accessible à tous, en humilité, en gentillesse, en charité.

C'est là un ordre de sentiments auquel le Doux Style nouveau n'est pas étranger; mais ils ne lui sont pas spéciaux. Cet idéal féminin possède le cœur de Dante en perfection; mais il était bien connu, nous l'avons vu, à notre « bossu d'Arras ». Il y a tout cela dans la Vita Nova, mais il y a autre chose et plus. Ici il faut écouter Dante et l'en croire, lorsqu'il distingue formellement son école de toutes les précédentes, fussent-elles les plus spiritualistes. Il a rendu en somme un jugement littéraire, net et définitif, dans un dialogue qu'il suppose engagé, au Purgatoire, entre luimême et un poëte de l'ancien style, Bonagiunta de Lucques.

Notez que le dialogue s'est engagé justement à propos d'une des Chansons de la Vita Nova, la première de toutes, celle qui commence par ces mots, si pleins de sens profond pour qui connaît la langue mystique de Dante: «Dames qui avez entendement d'amour ».

Dante donc a été amené à définir l'inspiration sacrée : « Je suis un homme, dit-il, qui chante quand Amour « souffle, et qui vais parlant en la façon qu'il me dicte « au dedans ».

Alors le vieux poële lui répond avec un accent de tristesse : « O frère, je vois le noeud qui nous a rete«nus, moi et les autres, loin du Doux Style nouveau « que tu me fais entendre 1 ! »

Un noeud retenait la poësie loin du symbolisme chrétien. Ce nœud ne fut rompu qu'une fois. Dante nous l'a fait constater avec une extrême précision ; il a eu raison, car la chose mérite qu'on y apporte une attention très grande. Ce fut en effet une rupture étrange, une circonstance, quand on y pense, particulière, et presqu'unique dans l'histoire des lettres.

Il faut se rappeler d'où était née cette poësie amoureuse du moyen-âge, que l'on voit ici s'affiner si singulièrement. Elle tirait son origine de sources qui ne sont guère pures; une des principales est la basse poësie galante de l'Empire Romain. Gaston Paris nous le montrait bien2, (avec les réserves voulues); il a fait voir aussi combien par essence cette poésie était, malgré toute apparence contraire, antimatrimoniale et donc antichrétienne. Née profane, elle va, par le

1. Purg., XXIV, v. 55 sq.

2. Voir notamment sa belle lecture à l'Institut sur « Les anciennes versions françaises de l'Art d'Aimer et des Remèdes d'Amour d'Ovide » dans : La Poësie du Moyen-Age (Paris, 1885).

Voir aussi, pour ce qui suivra, son compte-rendu de la 1oo éd. du livre de Jeanroy sur Les Origines de la poésie lyrique (tirage à part du Journal des Savants. Paris, 1892), - et La Littérature Française au Moyen-Age. Paris, 1888.

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