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cours des siècles, finir sacrée. D'Ovide au départ, elle va à l'arrivée aboutir à saint Thomas d'Aquin. « Cet Art d'Aimer, dit Gaston Paris, alla s'élevant et se subtilisant de plus en plus... », — et cela est la vérité même, mais Gaston Paris ajoute «... et il finit par devenir si sublime et si ténu qu'il s'évanouit en une sorte d'éther mystique. » Je ne suis pas sûr de suivre tout à fait jusqu'à ce point la pensée de l'illustre maitre; sans doute comme lui, je prends quelque plaisir à l'objectivité réaliste un peu sensuelle du haut moyen-âge français; je suis d'accord aussi avec lui pour penser que le vieil Art d'aimer spiritualisé est arrivé parfois, avec Cavalcanti par exemple, à s'abstraire par trop en subtile quintessence. Mais Dante l'attendra au passage, avec son génie de vérité plastique, avec ses fermes mains d'ouvrier; il ne le laissera pas s'amenuiser en je ne sais quel jeu aérien de métaphores impalpables. Il va au contraire l'emplir d'humanité vivante. Dans sa suprême aventure, le vieil Art d'aimer va s'épanouir en rien moins qu'en la Vita Nova et la Divine Comédie.

Dante n'avait donc pas tort de nous montrer que cette singulière transformation de l'antique poësie était chose unique et profonde. Le Doux Style nouveau n'est pas seulement une tendance générale de l'esprit du poëte vers l'idéalisme; c'est une méthode poëtique, née en un certain temps et un certain lieu: Nous pouvons préciser l'un et l'autre : le temps c'est la dernière

moitié du XIIe siècle; le lieu, c'est Bologne. Le Doux Style nouveau est d'origine bolonaise; son premier poëte fut le bolonais Guido Guinizelli. On verra combien il importe encore de retenir ce point 1.

Guinizelli n'est pas seulement un poëte à tendances idéalistes, de ceux qui s'appliquent à contempler seulement en Madame ses grâces et ses charmes les plus spirituels. Il fait plus : il s'efforce de spiritualiser complètement Madame, de la contempler dans la seule beauté de son âme. Ce qu'il chante est encore l'amour, tel que les poëtes le chantaient depuis des siècles; mais il va le dépouiller de tout ce qui le fail charnel et périssable. Comme Dante et avant lui, il ne désire plus de Madame que le bien moral qu'elle peut donner à l'âme et la béatitude qui en résulte. Comme lui et avant lui, il chante l'effet du Salut de Madame, qui est véritablement Salut, puisqu'en le cœur il détruit tout vice, et qu'il y met toute humilité et gentillesse. Comme lui encore et avant lui, il pose la théorie philosophique de l'Amour, suivant les principes de la scolastique et c'est lui que Dante citera comme autorité, dans son sonnet métaphysique: Amour et cœur gentil.

1. A l'époque où nous nous plaçons, Dante probablement n'avait jamais été à Bologne. C'est par voie indirecte que l'enseignement bolonais, aussi bien poëtique que philosophique, était venu jusqu'à lui.

Au point où Guinizelli a amené la poësie, elle n'est donc plus que l'idéalisation chrétienne de l'amour et de la femme. L'éloge traditionnel de la femme dans sa beauté, dans le charme de son être, dans le bonheur que son amour promet à l'homme depuis le jour où Dieu au Paradis terrestre les créa l'un pour l'autre, s'est peu à peu limité à la seule part spirituelle de cette beauté, de ce charme, de ce bonheur. Pour pousser jusqu'à ce point l'éloge de Madame, le poële reste cependant fidèle aux formules des vieux chanteurs d'amour profane. Ces formules se plient aisément au symbolisme traditionnel de l'Ecriture et des Pères de l'Eglise. Car depuis les jours du Cantique des Cantiques, on a souvent vu transposer du profane au sacré et du naturel au surnaturel les images et le langage de l'amour. La littérature chrétienne apporte au poëte un trésor de ces moyens d'expression: ce sont spécialement les images radieuses dont les plus lyriques des Pères de l'Église ont peint la joie de l'âme sanctifiée dans la possession de l'amour de Dieu, la transfiguration des âmes dans l'éternelle béatitude. Se conformant à la pensée et à la langue même de l'Église catholique, le poëte va béatifier Madame, la canoniser, la transporter illuminée au Paradis1.

Encore un peu plus et Madame s'immatérialise tout à

1 Dans sa Beatrice beata, E. PROTO a fait voir combien Dante, dans la V. N. notamment, a fait d'emprunts directs aux lettres de S. Jérome à Eustochie, où il s'agit du bonheur du ciel.

fait, son amour n'est plus que la charité, sa beauté que la vérité éternelle. Mais non! Ce restera toujours Madame, et la poësie théologique de ces poëtes singuliers sera toujours, comme nous le verrons, une poësie amoureuse. Sur ces limites presqu'insaisissables de la terre et du ciel, où la tendresse humaine se confond presque en l'amour de Dieu, Dante, dans son voyage surhumain, apercevra la figure de Guinizelli, son maître. Ce sera sur le dernier degré de la montée du Purgatoire, très haut déjà sur la route de pénitence, mais non cependant tout en haut; encore un peu plus outre, et le maître du Doux Style nouveau aura franchi le dernier échelon et effacé la dernière souillure; sa flamme, suivant la belle expression d'un de nos poëtes, aura consumé ce qu'elle avait d'impur. Il n'a plus qu'à sauter le dernier pas, pour traverser le rideau embrasé, qui seul le sépare du sommet enchanté, où est la joie, l'harmonie, la lumière, où est Béatrice. Mais il ne l'a pas sauté : car au cœur du poëte qui chante les passions de l'amour, du plus épuré même, il reste quelque chose des ardeurs humaines. Ainsi Dante, avec la netteté usuelle de ses symboles, a pu nous faire comprendre quel rôle et quelle action il attribuait à Guido Guinizelli son maître.

Il y avait des raisons spéciales pour que l'art savant de Guinizelli se développât à Bologne et non ailleurs. L'Université de Bologne était alors le centre d'enseigne

ment de l'Europe entière: la nouvelle poësie était scolastique. C'est là un mot dont il ne faut pas avoir peur; il ne nuit en rien au charme gentil de cette poësie. J'ai dit avec quelle adoration les bons esprits de jadis ont embrassé la science scolastique, qui nous apparaît, quant à nous, de loin, grave et pesante, dans les longues pages serrées des Sommes. Les arts du dessin, autant que la poësie, en ont vanté les attraits. Combien d'œuvres d'art délicates nous rappellent encore les délices du Trivium et du Quadrivium? De belles jeunes femmes souriantes y figurent les plus austères des sciences.

Il ne faut pas oublier d'ailleurs que l'enseignement, à Bologne surtout, était fondé en grande partie sur la lecture des Pères de l'Eglise aux grandes envolées mystiques, de ceux dont l'éloquence verbale se rapproche le plus de la poésie; tel saint Grégoire, mais surtout saint Augustin, penseur encyclopédique, et orateur aux chaudes métaphores, l'un des Pères dont les œuvres mêlent le plus la tradition des poëtes antiques aux splendeurs du dogme chrétien 1.

Les maîtres qui enseignaient alors la science à Bologne étaient les plus grands qu'ait produits le Moyen

1. Le Vocabulaire même de St Augustin peut être rapproché souvent de celui des poëtes de la nouvelle école. En lisant la V. N. il y aura lieu de se souvenir que St Augustin a écrit : « Toute vertu est amour. »

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