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chimère, et que l'équilibre avait pu être maintenu, grâce au réalisme florentin de Dante. Car il s'est servi pour faire comprendre sa pensée surnaturelle d'un art essentiellement naturaliste. Je ne crois pas, en parlant ainsi, exposer une théorie, mais constater des faits. Je les ferai mieux constater peut-être au lecteur en prenant un exemple, et en analysant un épisode de la Vita Nova, pour y faire reconnaître par analyse, d'abord une allégorie, puis une vérité objective, et la marque enfin d'une esthétique naturaliste.

C'est ainsi que je finirai.

Chacun connaît l'épisode de la « dame pitoyable », vers la fin du récit de la Vita Nova. Une dame regarde par une fenêtre. Cette dame est belle et gentille, et, comme elle s'aperçoit qu'amèrement Dante pleure la mort de Béatrice, elle a pitié de lui de façon singulière. L'amant infortuné se laisse attirer par la douceur de cette pitié et de cette beauté, jusqu'à tel point qu'il en vient à aimer moins sa véritable Dame. Une apparition de Béatrice, redevenue enfant, vêtue de la petite robe rouge d'autrefois, le rappelle à son devoir: il se repent de sa faute et sollicite le pardon. Tel est, en analyse succincle, l'épisode. Dante a condensé ici en un seul récit, un fait général de son histoire comme de toute histoire morale :

1. V. N. Ch. XXXV et sq. Cet épisode a son explication complète au Chant XXX du Purgatoire. (Cf. ma note, p. 219.)

l'infidélité, le péché, le repentir. Or ce fait, développé, généralisé, sera tout le fond de la Divine Comédie ; car, c'est à cause de ses péchés que Dante (représentant l'âme humaine) devra supporter la pensée et la terreur de la damnation éternelle, puis monter les rudes échelons du Purgatoire, avant d'obtenir le pardon et enfin la béatitude. Le sens final de cette histoire, sous la forme abrégée que lui donne la Vita Nova, ou bien dans le développement grandiose de la Divine Comédie, est donc moral et allégorique cela est incontestable.

:

Mais l'épisode eut-il un point de départ réel? Fut-il quelque part quelque dame véritable et vivante, dont la beauté et la pitié purent un moment, dans le cœur incertain de l'amant égaré, balancer le souvenir de Béatrice? Ou bien le sujet de l'allégorie est-il imaginaire ? C'est un des points qu'ont vivement débattus les critiques idéalistes et réalistes. Les idéalistes ont pu triompher un peu, en citant le Convivio; car dans ce livre, la dame qu'aime trop le poële après la mort de Béatrice, est bien manifestement allégorique: elle n'est pas autre chose que la Philosophie. A vrai dire il existe une profonde différence entre le récit du Convivio et celui de la Vita Nova. Dans le Convivio, Dante ne se reproche aucunement son

1. Voir un résumé très complet du débat dans l'éd. Melodia.

nouvel amour, ne le considère nullement comme vil, mais bien comme noble. Il s'y abandonne sans remords et même sans scrupule, avec seulement quelque « honnête lamentation » en songeant au culte de Béatrice.

Le récit de la Vita Nova est tout autre, certes. Mais

pourtant, soyons sincères : on peut le prendre lui aussi dans un sens purement allégorique. Il faut l'avouer. J'ajoute même que ce sens est celui qui nous apparaît le premier, lorsque nous nous sommes persuadés du moins, en commentant les chapitres précédents, que tout du long du « petit livre », Amour figure la vertu et Béatrice la béatitude. Les détails descriptifs, si pittoresques soient-ils, ne suffisent pas pour nous détourner de cette interprétation: la dame regarde par la fenêtre; oui; mais, ce faisant, comme chacun sait, elle symbolise la vie extérieure, tandis que Béatrice, figure la vie intérieure. Le regard par la fenêtre c'est donc l'attrait du monde et de ses mensonges; la pitié ou l'amour qui vient par cette voie, c'est, comme Dante le dira, cette « fausse image de bien », qui entraîne au péché les âmes supérieures.

Pour se procurer un type fictif de dame et y adapter cette allégorie, Dante, en quelque sorte, n'avait qu'à prendre dans le trésor de la poësie courtoise. Car les exemples sont nombreux chez les poëtes, de secondes amours, rivales de l'amour primitif, de conflits d'amour,

de fautes par infidélité de pensée, de remords et de généreux pardons. Ce sont épisodes usuels.

Voilà qui va bien : nous sommes ici dans la fiction pure: la dame pitoyable est irréelle et il faut rendre les armes à la critique idéaliste. Ah! que non pas ! Autant qu'à la réalité de Béatrice je crois à la réalité de sa rivale posthume. Qui a lu Dante n'ignore pas que le souvenir de diverses dames et de diverses tendres inclinations paraît çà et là dans la Divine Comédie, comme il paraît dans le Canzoniere 1. Les « doux pensers » n'étaient-ils pas les dangers où leur profession même exposait les poëtes amoureux? J'ai dit comme le plus pur de ses maîtres est apparu à Dante, à la porte même sans doute du Paradis, mais en deça pourtant des flammes purificatrices, et tout rouge de honte. La probabilité est grande que quelque aventure réelle ait pu suggérer à un poëte, à Dante, l'épisode de la fenêtre, de l'oubli et du remords.

Il y a peut-être plus qu'une probabilité : il semble que la courte infidélité de pensée où Dante s'abandonna a laissé quelque trace dans les œuvres de son maitre Cavalcanti. Une ingénieuse hypothèse a été proposée à ce sujet. Ce Guido Cavalcanti qui avait introduit Dante

1. Voir surtout le commentaire de A. SANTI dans la dernière et bonne édition du Canzoniere. Rome, Læscher, 1907.

2. Voir le commentaire délicat de mon maître et ami CARL APPEL sur un sonnet de Cavalcanti. · · Das Sonnet Guido Caval

dans le monde mystique du Doux Style nouveau, est celui qui sut l'y retenir. Dans les moments de doute, d'erreur, car il y en eut, ce fut lui qui rappela son disciple au culle pur de Béatrice.

Nous revenons donc peu à peu vers la réalité. On peut la coloyer tout à fait. Nous allons approcher de plus près la dame de la fenêtre, ou quelque dame au moins trop tendrement aimée. Que dis-je? Nous allons savoir son nom, ou au moins son surnom. Car ces dames énigmatiques, ne l'oubliez pas, étaient toujours nominativement désignées. Un sonnet, que l'on est en droit d'attribuer à Dante, nous représente une dame, charmante mais téméraire, qui tente de forcer l'entrée d'une âme, l'âme d'un amant mystique. Mais elle s'est heurtée à une âme forte et fidèle, et toute confuse elle a dù s'en aller. C'est bien là l'aventure qu'avait couru la dame pitoyable.

Le nom de la dame du sonnet est donné par un bon manuscrit; quelques critiques sùrs et en particulier Barbi nous autorisent à tenir pour probable cette précieuse indication. La dame de la fenêtre, (ou telle autre qui courut la même aventure), avait pour nom: LISETTE.

Nous découvrons donc une dame vivante. Le sonnet si beau qui nous la révèle est aussi un exemple excellent

canti's « I'vegno 'l giorno a te infinile volle ». (Tirage à part des MÉLANGES WAHLUND. Macon, 1896.)

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