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il sera bon que, pour alléger la fatigue du voyage, tu considères le sol où tu marches. De même que les tombeaux portent des inscriptions où l'on peut lire ce qu'étoient dans leur vie ceux qui y furent déposés (inscriptions qui ne renouvellent de tristes souvenirs que chez les hommes reconnoissans); de même la route étoit couverte de figures sculptées avec goût. On voyoit d'un côté celui qui, créé plus noble qu'aucune autre créature, fut précipité du ciel au milieu des éclats du tonnerre de l'autre on voyoit Briarée atteint d'un trait lancé par une main divine, étendu sur la terre que sa mort accable de douleur. On voyoit Tymbrée, Pallas et Mars armés, autour de leur père, et contemplant les membres épars des géans écrasés. On voyoit Nembrot au pied de sa tour insensée, hors de lui, et regardant, plein de dépit, les nations qui l'accompagnoient dans la contrée de Sennaar. O Niobé, quelle douleur altéroit ton visage, lorsque je t'aperçus sur ce funeste chemin, entourée de tes quatorze enfans frappés de mort! O Saül, tu languissois sans vie, percé de ta propre épée sur le mont Gelboë que ne fécondèrent plus ni les rosées ni les pluies! O folle Arachné, je

te voyois déjà à moitié métamorphosée en araignée, triste et gémissant sur les débris de la toile qui fit ton malheur! O Roboam, tes traits ici n'ont rien de menaçant; mais rempli d'effroi, tu t'enfuis sur un char avant d'être chassé par la fureur populaire! Le sol montroit encore comment Alcméon fit payer à sa mère son orgueilleuse parure, et plus loin comment les fils de Sennacherib se précipitèrent sur lui dans le temple, et l'y massacrèrent sans pitié. On distinguoit la scène cruelle de Tamyris qui disoit à Cyrus : « Tu as soif de sang, et je t'emplis de sang. » Plus loin, les Assyriens fuyoient honteusement, après la mort d'Holopherne, et les Hébreux poursuivoient avec fureur l'armée fugitive. On voyoit Troie en ruines et en cendres. O Ilion, comme le sculpteur qui avoit figuré tes remparts te montroit désolée et avilie! Il fut un dessinateur exact et un coloriste habile, celui qui traça les ombres et les poses de ces scènes que le génie le plus profond n'auroit pu voir sans un sentiment d'admiration. Dans cette image fidèle, les morts paroissoient privés de la vie, les vivans paroissoient respirer. L'homme qui fut témoin de ces événemens funestes, ne les connut pas mieux que je ne les

vis en foulant ce sol rempli de leçons terribles. O fils d'Ève, enorgueillissez-vous, marchez avec une contenance altière; ne baissez pas votre tête, vous verriez de trop près vos excès.

Nous avions déjà parcouru plus de chemin, et le soleil étoit plus avancé dans son cours que ne le pouvoit concevoir l'imagination ainsi occupée, quand celui qui me précédoit, continuellement attentif à ce qu'il falloit faire, me dit: « Lève les yeux, ces objets ne doivent plus retarder ta marche; vois un ange qui s'apprête à venir vers nous : la sixième servante a terminé son office du jour. Que tes traits et tes actions offrent l'empreinte d'une tendre vénération! Qu'il daigne nous envoyer plus haut! Pense que ce jour-ci ne se retrouvera jamais. J'approuvois le conseil qui m'étoit donné de ne pas perdre de temps; aussi compris-je facilement les paroles de mon maître.

La belle créature vêtue de blanc venoit vers nous en scintillant comme l'étoile du matin; elle ouvrit ses bras, étendit ses ailes, et dit : « Venez, il y a ici des degrés, et l'on monte facilement peu d'élus sont appelés à m'entendre. O mortels destinés à voler vers le ciel, pourquoi le moindre vent vous fait-il

tomber? » Il nous mena dans un point où la roche étoit coupée; il me frappa le front de ses ailes, et me promit un heureux voyage.

De même que pour parvenir au mont où est placée une église qui domine cette ville si bien gouvernée, dans le voisinage de Rubaconte, la pente, à main droite, est rendue plus accessible par des escaliers construits dans un temps où l'on ne falsifioit pas les registres et les mesures publiques; de même ici la pente qui conduisoit à l'autre cercle devenoit plus douce seulement le chemin plus étroit serroit le voyageur à droite et à gauche. En marchant dans ce sentier, nous entendîmes des voix chanter : « Heureux les pauvres d'esprit, » avec un charme que je ne puis exprimer.

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Ah! combien ces sentiers sont différens de ceux de l'Enfer! Ici, en entrant, on n'entend que des chants; et là on n'entend que des cris lamentables. Nous franchissions ces escaliers sacrés, et il me sembloit que je montois plus légèrement que je n'avois marché auparavant sur le terrein uni; aussi je m'écriai: «O maître, de quel poids m'a-t-on délivré? Il me semble qu'en marchant je n'éprouve aucune fatigue. » Il répondit : « Quand les P qui sont

en partie effacés sur ton front auront tout-àfait disparu, tes pieds seront si légers, que tu ne sentiras aucune lassitude, et que tu auras du plaisir à continuer le voyage. » Alors je devins semblable à ceux qui, portant à leur tête un signe qu'ils ne connoissent pas, mais dont on leur fait bientôt soupçonner la présence, y placent la main, cherchent, trouvent, et acquièrent une certitude que la vue ne pouvoit obtenir aussi en étendant les doigts de la main droite, je trouvai encore six des lettres que l'ange gardien des clefs avoit imprimées sur mon front.

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Mon guide alors me regarda en souriant.

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