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LE VER LUISANT

En nos climats, peu d'insectes rivalisent de renommée populaire avec le ver luisant, la curieuse bestiole qui pour célébrer ses petites joies de la vie, s'allume un phare au bout du ventre. Qui ne le connait au moins de nom; dans les chaudes soirées de l'été, qui ne l'a vu errer parmi les herbages, pareil à une étincelle tombée de la pleine lune? L'antiquité grecque le nommait Lampyre, signifiant porteur de lanterne sur le croupion. La science officielle fait usage du même vocable; elle appelle le porteur de lanterne Lampyris noctiluca Lin. Ici l'expression vulgaire ne vaut pas le terme savant, si expressif et si correct, une fois traduit.

On pourrait en effet chercher chicane à l'appellation de ver. Le lampyre n'est pas du tout un ver, ne seraitce que sous le rapport de l'aspect général. Il a six courtes pattes dont il sait très bien faire usage; c'est un trotte-menu. A l'état adulte, le male est correctement vêtu d'élytres, en vrai coléoptère qu'il est. La femelle est une disgraciée à qui sont inconnues les joies de l'essor; elle garde, sa vie durant, la conformation larvaire, pareille, du reste, à celle du måle, incomplet lui aussi, tant que n'est pas venue la maturité de la pariade. Même en cet état initial, le terme de ver est mal appliqué. Une locution vulgaire dit: nu comme un ver, pour désigner le dénûment de toute enveloppe défensive. Or le lampyre est habillé, c'est-à-dire vêtu d'un épiderme de quelque consistance; en outre, il est

assez richement coloré d'un brun marron sur l'ensemble du corps et agrémenté d'un rose tendre sur la poitrine, surtout à la face inférieure. Enfin chaque segment est décoré au bord postérieur de deux petites cocardes d'un roux assez vif. Pareil costume exclut l'idée de ver.

Laissons tranquille cette dénomination mal réussie et demandons-nous de quoi se nourrit le lampyre. Un maître en gastronomie, Brillat Savarin, disait : Montremoi ce que tu manges et je dirai qui tu es. Pareille question devrait s'adresser au préalable à tout insecte dont on étudie les mœurs, car, du plus gros au moindre dans la série animale, le ventre est le souverain du monde; les données fournies par le manger dominent les autres documents de la vie. Eh bien! malgré ses innocentes apparences, le lampyre est un carnassier, un giboyeur exerçant son métier avec une rare scélératesse. Sa proie réglementaire est l'escargot.

Ce détail est connu depuis longtemps par les entomologistes. Ce que l'on sait moins, ce que l'on ne sait pas même du tout encore, me semble-t-il d'après mes lectures, c'est la singulière méthode de l'attaque, dont je ne connais pas d'autre exemple ailleurs.

Avant de s'en repaître, le ver luisant anesthésie sa victime; i la chloroformise, émule en cela de notre merveilleuse chirurgie qui rend son sujet insensible à la douleur avant de l'opérer. Le gibier habituel est un escargot de médiocre volume atteignant à peine celui d'une cerise. Telle est l'hélice variable (Helix variabilis Drap.) qui, l'été, au bord des chemins, s'assemble en grappes sur les chaumes de fortes graminées et autres longues tiges sèches, et là profondément médite,“ immobile, tant que durent les torridités estivales. C'est en pareille station que bien des fois il m'a été donné de surprendre le lampyre attablé à la pièce qu'il venait

d'immobiliser sur le tremblant appui au moyen de sa tactique chirurgicale.

Mais d'autres réserves de vivres lui sont familières. Il fréquente les bords des rigoles d'arrosage, à terrain frais, à végétation variée, lieu de délice pour le mollusque. Alors, il travaille sa pièce à terre. Dans ces conditions il m'est facile de l'élever en domesticité et de suivre dans les moindres détails la manoeuvre de l'opérateur. Essayons de faire assister le lecteur à l'étrange spectacle.

Dans un large bocal, garni d'un peu d'herbage, j'installe quelques lampyres et une provision d'escargots de taille convenable, ni trop gros ni trop petits. L'hélice variable domine. Soyons patients et attendons. Que la surveillance soit surtout assidue, car les événements désirés surviennent à l'improviste et sont de brève durée.

Enfin nous y voici. Le ver luisant explore un peu la pièce, d'habitude rentrée en plein dans la coquille moins le bourrelet du manteau qui déborde un peu. Alors s'ouvre l'outil du vénateur, outil très simple mais exigeant le secours de la loupe pour être bien reconnu. I consiste en deux mandibules fortement recourbées en croc, très acérées et menues comme un bout de cheveu. Le microscope y constate dans toute la longueur un fin canalicule. C'est tout.

De son instrument, l'insecte tapote à diverses reprises le manteau du mollusque. On dirait innocents baisers plutôt que morsures, tant les choses se passent avec douceur. Entre jeunes camarades, échangeant des agaceries, nous appelions jadis pichenettes de légères pressions du bout des doigts, simple chatouillement plutôt que sérieuse agression. Servons-nous de ce mot. Dans une conversation avec la bête, le langage n'a rien à perdre à rester enfantin. C'est la vraie manière de se comprendre entre naïfs.

Le lampyre dose ses pichenettes. Il les distribue méthodiquement, sans se presser, avec un bref repos après chacune d'elles, comme si l'insecte voulait chaque fois se rendre compte de l'effet produit. Leur nombre n'est pas considérable; une demi-douzaine tout au plus pour dompter la proie et l'immobiliser en plein. Que d'autres coups de crocs soient donnés après, au moment de la consommation, c'est très probable sans que je puisse rien préciser, car la suite du travail m'échappe. Mais il suffit des quelques premières, toujours en petit nombre, pour amener l'inertie et l'insensibilité du mollusque, tant est prompte, je dirais presque foudroyante la méthode du lampyre, qui instille, à n'en pas douter, certain virus au moyen de ses crocs canaliculés. Les preuves de la soudaine efficacité de ces piqûres, en apparence si bénignes, les voici :

Je retire au lampyre l'escargot qu'il vient d'opérer sur le bourrelet du manteau à quatre ou cinq reprises. Avec une fine aiguille, je le pique en avant, dans les parties que l'animal contracté dans sa coquille laisse encore à découvert. Nul frémissement des chairs blessées, nulle réaction contre les rudesses de l'aiguille. Un vrai cadavre ne serait pas plus inerte.

Voici qui est encore plus probant. La chance me vaut parfois des escargots assaillis par le lampyre tandis qu'ils cheminent, le pied en douce reptation, les tentacules turgides, dans la plénitude de leur extension. Quelques mouvements déréglés trahissent un court émoi du mollusque; puis tout s'arrête, le pied ne rampe plus, l'avant perd sa gracieuse courbure en col de cygne; les tentacules deviennent flasques, pendillent affaissés sous leur poids et coudés en manière de bâton rompu. Cet état est persistant.

L'escargot est-il mort en réalité? En aucune manière, car il m'est loisible de ressusciter l'apparent trépassé. Après deux ou trois jours de ce singulier état qui n'est

plus la vie et n'est pas davantage la mort, j'isole le patient, et, quoique ce ne soit pas bien nécessaire au succès, je le gratifie d'une ablution qui représentera l'ondée si agréable au mollusque valide.

En une paire de jours environ, mon séquestré que viennent de mettre à mal les perfidies du lampyre, revient à son état normal. Il ressuscite en quelque sorte; il reprend mouvement et sensibilité. Il est impressionné par le stimulant d'une aiguille; il se déplace, rampe, exhibe les tentacules, comme si rien d'insolite ne venait de se passer. La torpeur générale, sorte d'ivresse profonde, est complètement dissipée. Le mort présumé revient à la vie. De quel nom appeler cette façon d'être qui, temporairement, abolit l'aptitude au mouvement et à la douleur ? Je n'en vois qu'une de convenable approximativement c'est celui d'anesthésie.

Par les prouesses d'une foule d'hyménoptères dont les larves carnassières sont approvisionnées de proie immobile quoique non morte, nous connaissions l'art savant de l'insecte paralyseur, qui engourdit de son venin les centres nerveux locomoteurs. Voici maintenant une humble bestiole qui pratique au préalable l'anesthésie de son patient. La science humaine n'a pas en réalité inventé cet art, l'une des merveilles de la chirurgie actuelle. Bien avant, dans le recul des siècles, le lampyre et d'autres apparemment le connaissaient aussi. La science de la bête a de beaucoup devancé la notre; la méthode seule est changée. Nos opérateurs procèdent par l'inhalation des vapeurs venues soit de l'éther, soit du chloroforme; l'insecte procède par l'inoculation d'un virus spécial issu des crocs mandibulaires à dose infinitésimale. Ne saurat-on un jour tirer parti de cette indication? Que de superbes trouvailles nous réserverait l'avenir, si nous connaissions mieux les secrets de la petite bête!

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