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pour les peindre tous, de citer les noms de l'abbé Chaulieu, qui commence le siècle, et de l'abbé Voisenon, qui, quoique prêtre et grand vicaire, le finit et se montra pire que le premier. Quels que fussent les droits de ces hommes au titre qu'ils portaient, quelle que fût la nature, la réalité ou le néant de leur engagement dans les ordres sacrés, ils portaient l'habit ecclésiastique et déshonoraient, aux yeux du public, le corps respectable qui les tolérait et auquel ils semblaient appartenir par leur titre et par leur costume. Au reste, parmi cette jeunesse cléricale, qui se préparait si singulièrement à la pratique des vertus chrétiennes, il y en avait qui prétendaient aux premières dignités de l'Église et qui y parvenaient. Je ne citerai pas pour exemple l'abbé Dubois, parce que ce fut un personnage trop infâme et tout à fait exceptionnel; mais je nommerai l'abbé de Bernis, que la faveur de madame de Pompadour fit d'abord ambassadeur à Venise, puis ministre, et qui obtint enfin le chapeau de cardinal et l'ambassade de Rome.

La majorité du clergé français détestait ces scandales; mais elle n'y pouvait rien, car la feuille des bénéfices n'était pas à sa disposition. Elle protestait par ses mœurs et par des œuvres. Il y eut un grand nombre d'ouvrages du premier mérite produit par cette partie respectable du corps ecclésiastique; il se fit aussi des œuvres de charité remarquables. Un grand nombre de prêtres se distinguèrent dans la chaire. Personne n'ignore quelles furent l'énergie et la franchise du père Bridaine. L'évêque de Senez, prêchant devant Louis XV et la Dubarry, eut le courage de prononcer cette phrase qui suffit pour faire connaître l'esprit du sermon : « Salomon, rassasié de voluptés, las d'avoir épuisé, pour réveiller ses sens flétris, tous les genres de plaisirs qui entourent le trône, finit par en chercher d'une espèce nouvelle dans les vils restes de la corruption publique.» Louis XV laissa dire; car, chose singulière, ce prince accomplissait fidèlement toutes les pratiques extérieures de la religion.

Louis XV n'eut qu'un seul enfant mâle, qui mourut à l'âge de trente-six ans, le 20 décembre 1765, laissant trois fils, qui furent Louis XVI, Louis XVIII et Charles X; et une fille, madame Élisabeth. Louis, dauphin de France par la mort de son père, fut marié, en 1770, avec Marie-Antoinette d'Autriche, fille de l'impératrice Marie-Thérèse. Les fêtes de son mariage donnèrent lieu à un accident grave qu'il n'est pas permis de passer complétement sous silence, parce que, dans ce siècle où l'on commençait à douter de la religion, mais où l'on croyait à Cagliostro, à Mesmer et aux présages, l'on en tira un sinistre augure dont les contemporains ont

transmis la mémoire presque jusqu'à nous. Un feu d'artifice, tiré dans les Champs-Élysées, attira la masse du public sur la place Louis XV, qui n'était pas encore achevée, et par suite encombrée de matériaux et remplie de trous. Après le feu, la foule, opérant simultanément le même mouvement de retour, encombra les passages. La presse devint excessive, et il s'ensuivit tous les accidents ordinaires en pareilles circonstances. Il y eut quelques personnes étouffées; mais, comme la peur avait été grande, on en exagéra le nombre, on le porta jusqu'à quinze cents. Il y eut des gens qui, au lieu d'y voir un effet naturel, virent dans ce malheur l'effet d'une conspiration contre le peuple : preuve singulière de la situation où étaient alors les esprits.

CHAPITRE IV.

Préliminaires de la révolution.

Règne de Louis XVI.

Tous les contemporains s'accordent à dire qu'au moment où la mort ferma les yeux de Louis XV, la révolution était prochaine. La France était prête à mettre fin, par la violence, au honteux régime des courtisans et des maîtresses. Louis XVI débuta par une réaction. Soit sentiment du besoin de reconquérir l'opinion publique, soit souvenir de l'abandon où il avait été laissé et de l'espèce d'oppression où il avait vécu, il commença par renvoyer le ministère, et il donna le soin d'en former un autre au comte de Maurepas, vieillard peu capable, dit-on, mais qui avait le mérite de s'être fait chasser des affaires, et exiler par madame de Pompadour. Après quelques hésitations et quelques changements le ministère se trouva composé ainsi qu'il suit M. de Maurepas, président; aux sceaux, Miroménil; à la guerre, le comte de Saint-Germain; à la marine, Sartines; aux affaires étrangères, Vergennes; aux finances, Turgot; à la maison du roi, Lamoignon de Malesherbes.

Aucun de ces hommes n'était nouveau; tous étaient honorablement connus à divers titres : Vergennes, par son habileté dans les ambassades de Turquie et de Suède; Saint-Germain, par son amour de la discipline militaire, et par quelques beaux faits d'armes dans la guerre de sept ans, où il y en avait eu si peu. Il était le seul général, par exemple, à la bataille de Rosbach, dont les troupes n'eussent pas été entraînées dans la déroute générale, le seul qui eût opéré une retraite et par là sauvé les débris de l'armée. M. de Lamoignon de Malesherbes avait déjà cette haute réputation qui s'est

comme attachée à son nom. Il était particulièrement aimé des gens de lettres. Mais le plus remarquable, le plus connu des ministres était Turgot. Il était célèbre déjà par son affiliation au parti des économistes, par de nombreux écrits, par sa participation à l'Encyclopédie, et enfin par sa belle conduite dans l'administration de l'intendance de Limoges. Il faut convenir que M. de Maurepas, pour si peu habile qu'on l'ait dit, ne débutait point par de mauvais choix; personne ne s'y trompa. Le public s'attendait à plus même qu'une réaction, mais à un travail de réformation. Il est certain que c'était chose possible. Turgot, particulièrement, proposa à peu près tout ce que la révolution nous a légué d'améliorations. Encore une fois, la question de réorganisation était posée; encore une fois le pouvoir était mis en demeure; il pouvait changer les menaces de l'avenir en bénédictions; il avait liberté de faire le bien; la voie fatale n'était pas encore ouverte; mais le monarque manqua de volonté. Soit préjugé, soit faiblesse, il ne soutint pas ses ministres contre l'opposition inévitable de la cour et des priviléges de toute sorte sur lesquels il fallait passer le niveau. Il perdit le moment d'agir; plus tard il ne fut plus libre: la nécessité des événements l'entraîna avec une force qui devint irrésistible. De l'avis de tout le monde aujourd'hui, l'histoire tout entière du règne de Louis XVI n'est pas autre chose il y eut un instant où il fut le maître de l'opinion, mais à condition de la satisfaire; maître de diriger la réforme ou la révolution, mais à condition de l'opérer. Cet instant passé, ce furent les événements qui furent ses maîtres et le gouvernèrent, ainsi que nous allons le voir.

Le ministère débuta par plusieurs mesures manifestement réactionnaires; je ne ferai connaître que les principales. D'abord parut un premier édit par lequel le roi renonçait au droit dit de joyeux avénement. Un autre supprima la torture préparatoire. C'était une concession faite à l'humanité, mais qui fut incomplète. Dans ce siècle si remarquable par la mollesse et la facilité des mœurs, la justice criminelle avait conservé toute la férocité des siècles païens, ou plutôt du système de procédure que les Romains appliquaient aux esclaves. Cette tradition barbare n'avait point disparu avec l'esclavage. Les hommes libres ayant remplacé les esclaves, ils les avaient remplacés aussi dans leur sujétion à la torture. Il y avait deux espèces de torture, dissimulées sous le nom moins dur de question préparatoire et de question préalable. La question préparatoire était donnée aux accusés afin d'obtenir l'aveu de leurs crimes; ceux dont on n'obtenait pas cet aveu ne pouvaient être condamnés à mort, mais seulement à toutes autres peines prochaines de la mort, ad omnia

circa mortem. La question préalable était celle que l'on administrait au condamné pour lui faire avouer ses complices. La première fut supprimée, ainsi que nous venons de le dire. La seconde resta. Ce fut la révolution qui en fit justice.

La présence de Turgot fut marquée tout de suite par deux premiers édits significatifs. Par le premier, il annulait la loi odieuse qui rendait les taillables solidaires pour le payement de l'impôt. En cette circonstance on anéantit encore une tradition du régime romain. En effet, pour en trouver l'origine, il faut remonter au code de Théodose. En vertu de cette antique coutume, les riches contribuables de chaque paroisse étaient responsables de la somme de taille assise sur la communauté. Les collecteurs étaient autorisés à les emprisonner et à saisir leurs biens pour les forcer à parfaire le montant de l'impôt, lorsque la misère du plus grand nombre rendait nulles quelques-unes des cotes. Dans les romans et les pastorales on se complaît à décrire la douce quiétude des fermiers de cette époque, libres de toutes les agitations politiques et de toutes les agitations de pensées qui sont le propre de notre temps: douce quiétude, en effet, que celle des hommes sur qui chaque année ramenait le danger de cette solidarité terrible!

Le second édit de Turgot (13 septembre 1774) fut pour rétablir la libre circulation des grains et des farines, mais sans en permettre l'exportation. Son but, en cette circonstance, était d'améliorer la condition de la classe pauvre, en diminuant le prix des subsistances. Aussi ne se borna-t-il point à lever les obstacles qui gênaient ou empêchaient le transport des blés. Il attaqua tous les abus qui grevaient la matière. Pour donner une idée de ce qu'il détruisit, nous ne parlerons que de ce qu'il fit dans une seule ville, à Rouen. Là, une compagnie de cent douze marchands, créés en titres d'offices, avait seule le droit d'acheter les grains qui entraient dans la ville, et son monopole s'étendait même jusque sur les marchés des Andelys, d'Elbeuf, de Duclair et de Caudebec, les plus considérables de la province. Venait ensuite une seconde compagnie de quatre-vingtdix officiers, porteurs, chargeurs et déchargeurs de grains, qui pouvaient seuls se mêler de la circulation de cette denrée, et devaient y trouver, outre le salaire de leur travail, l'intérêt de leur finance et la rétribution convenable au titre d'officiers du roi. Venait enfin la ville elle-même, qui, propriétaire de cinq moulins jouissant du droit de banalité, avait donné à ce troisième monopole l'extension étrange que voici les moulins communaux ne pouvant suffire à la consommation, on vendait aux boulangers le droit de faire moudre ailleurs. Par suite, il était défendu aux boulangers de 15

TOME I.

l'extérieur de vendre leur pain à un prix moindre que les boulangers de l'intérieur, et il leur était ordonné, en outre, de mettre dixhuit onces à la livre; de telle sorte que pour la même somme on achetait, aux marchands de la ville, une livre de seize onces, et aux marchands de l'extérieur, une livre de dix-huit onces. On calcule que ce troisième monopole augmentait, à lui seul, le prix du pain d'un huitième. Des abus analogues existaient partout, sous des formes diverses; et ils frappaient, non-seulement les blés, seigles, méteils et farines de toute espèce, mais encore les légumes secs, 'avoine et les fourrages. (Daire, Vie de Turgot). Le ministère fit supprimer ces institutions pernicieuses. Il ordonna le remboursement des offices, suspendit les droits des villes sur les grains, et nomma une commission devant laquelle tous les propriétaires particuliers de droits de ce genre furent astreints à produire leurs titres. Il voulait ainsi préparer la grande mesure du rachat des nombreuses banalités seigneuriales qui grevaient les campagnes. (Arrêts de 1775.)

Avant de dire quel fut le résultat de ces premières mesures, nous devons parler du dernier des actes de la réaction opérée par le nouveau ministère, qui nous mettra sous les yeux tous les éléments de l'opposition que nous allons voir se développer. Je veux parler du rétablissement des parlements. Cette mesure, proposée par Miroménil, fut accueillie diversement dans le conseil du roi. Turgot fut contre. Il n'est pas difficile de deviner ses motifs; au reste, il ne les cacha point; il les fit, au contraire, valoir dans le conseil. Il prévoyait que là se trouverait la plus grande résistance, la résistance organisée, contre les projets de réforme que l'on méditait. Maurepas fut d'abord de son avis; mais il ne tarda pas à se laisser entraîner. Le rétablissement de cette corporation tenait grandement à cœur à la reine, à la plupart des princes du sang, c'est-à-dire au comte d'Artois, au duc d'Orléans, au duc de Chartres, au prince de Conti, enfin aux pairs du royaume, qui y reprenaient le privilége de se mêler des affaires publiques et de compter, pour quelque chose, dans le gouvernement. Maurepas céda, et les parlements furent rétablis (12 nov. 1774). Seulement dans l'ordonnance de reconstitution, on leur retirait quelques-uns des droits dont ils jouissaient autrefois, entre autres celui de convoquer les pairs. C'était leur ôter l'un de leurs plus puissants moyens d'influence. Aussi, dès le lendemain du jour où ils avaient été réinstallés (2 déc.), comme pour montrer qu'ils n'avaient rien perdu de leur ancien esprit, ils protestèrent contre ces mesures, et particulièrement contre la dernière. De là, ils passèrent à

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