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S IX.

Décomposition sociale de la France et de l'Europe, par les nobles, les magistrats, les hommes de lettres soi-disant philosophes. Réunion de la Lorraine à la France. Suppression des Jésuites. Sociétés secrètes. Commencements du règne de Louis XVI.

Cependant la France politique, nobiliaire, judiciaire, administrative ne s'occupait pas mieux que l'Angleterre protestante de remédier aux principes d'irreligion et d'anarchie que la France littéraire disséminait non-seulement en France, mais par toute l'Europe. Depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, tout était malade dans le corps social.

<< Le dix-huitième siècle, dit le protestant Sismondi dans son Histoire des Français, fut en général, pour les familles qui occupaient les divers trônes de l'Europe, un temps de langueur, de faiblesse, d'incapacité et de vices. Comme on avait vu dans les races régnantes, chez les conquérants barbares qui avaient renversé l'empire romain, comme on le voyait et qu'on le voit encore chez les Turcs, les Persans, les Mogols, les souverains de l'Inde et tous les Orientaux, le premier effet du pouvoir absolu et d'une richesse sans bornes avait été de porter les princes à s'abandonner avec excès à tous les plaisirs des sens; presque tous s'y étaient livrés avec la brutalité la plus ignoble. Parmi eux, toutefois, quelques êtres assez fortement constitués pour résister aux funestes effets de l'intempérance, conservaient seuls, au milieu de ces excès, leur raison et leur santé; ceux-là pouvaient s'élever parfois à une vraie grandeur, non point en raison de leurs vices, mais en raison de la vigueur extraordinaire de constitution qui les avait portés à la débauche. Louis XIV était un brillant exemple de ces exceptions; malgré son goût pour la table, malgré le scandale qu'il avait donné par ses mœurs, il ne s'était jamais laissé subjuguer par ses sens; son esprit et son caractère s'étaient relevés au-dessus des plaisirs qui l'avaient séduit. Victor-Amédée de Savoie, dont la vie privée n'avait pas été moins déréglée, n'avait pas aussi montré moins d'énergie ou moins de talents, quoique ceux-ci, entachés de plus de fraudes, n'eussent pas le même caractère de grandeur.

> Mais la génération qui vint ensuite, mais le frère, le fils, le neveu et les petits-enfants de Louis XIV ne montrèrent tous qu'une

âme énervée, une raison affaiblie par les excès des plaisirs des sens; Philippe V, son petit-fils, qui croyait ne s'y abandonner qu'en sûreté de conscience, s'était ainsi précipité lui-même dans un état de vapeurs, de langueurs, de tristesses, que, s'il n'eût été roi, on n'aurait pas hésité à nommer folie. La maison qui l'avait précédé sur le trône d'Espagne s'était éteinte par l'abus qu'elle avait fait des plaisirs des sens. Les enfants de Philippe IV avaient été victimes des déréglements de leur père, et c'était ce funeste héritage qui avait fait languir trente-quatre années Charles II entre la vie et la mort. Les monstrueuses débauches de Jean V, roi de Portugal, malgré le soin qu'il prenait de s'y faire toujours accompagner par son confesseur et son médecin, ont empreint sur la figure de ses descendants les marques d'un mauvais sang, et dans leur cerveau des germes toujours renaissants de folie. La maison Farnèse, à Parme, venait de s'éteindre, étouffée par l'obésité; la maison de Médicis était près de finir à Florence, et son dernier représentant, Jean Gaston de Médicis, ne quittait plus le lit, où il était retenu par les conséquences des débauches les plus infâmes. Sur le nouveau trône de Russie, les souverains semblaient ne pouvoir pas résister plus de deux ou trois ans à l'ivresse des plaisirs; et ce qui ajoutait encore à leur turpitude, c'étaient des femmes, des impératrices, qui affichaient ainsi leurs déréglements. Auguste II, roi de Pologne et électeur de Saxe, avait étonné l'Europe par un faste de débauche inouï; ce prince, mettant à l'enchère toutes les dignités de la république, rapace avec ses sujets qu'il accablait d'impôts, cruel et perfide au besoin, prodigue avec plus de profusion que de goût dans les monuments dont il ornait Dresde, ne s'était cependant fait un nom que par le nombre de ses maîtresses et de ses enfants naturels. Il n'avait laissé à son fils, Auguste III, qu'un sang dégénéré, avec tous les vices de la faiblesse et de la fausscté. Les vices du roi de Prusse, Frédéric-Guillaume Ier, étaient ceux d'un soldat sauvage et brutal, l'ivrognerie, la violence, la dureté. Son fils, à qui il avait déjà fait éprouver son emportement et ses fureurs, prenait autant qu'il pouvait le contre-pied d'un caractère dont il avait eu tant à souffrir; il se vouait aux arts, aux lettres, à la poésie française; ses principes ne le prémunissaient pas contre les vices, mais dès qu'il fut monté sur le trône, l'ambition et la guerre ne lui laissèrent pas le temps de s'y livrer. La maison d'Autriche, enfin, qui sur le trône d'Allemagne avait donné moins de scandales, ne produisait plus cependant que des princes sans talents, sans élévation, doués tout au plus d'une bravoure passive, lorsque, ce qui arrivait rarement, ils se montraient aux armées, et qui met

taient dans l'obstination toute leur énergie. Charles VI, le dernier de cette race, n'avait que deux filles pour recueillir un héritage que les lois réservaient exclusivement aux mâles. Aussi sa politique n'avait-elle plus qu'un seul but, celui de faire reconnaître par tous les souverains de l'Europe la Pragmatique-sanction, ou l'ordonnance qu'en vertu de sa toute-puissance il avait rendue le dix-neuf avril 1713, pour changer la loi fondamentale de succession dans ses états.

» L'extinction simultanée de tant de familles souveraines, l'occasion qui s'offrait à la politique de disposer de tant d'héritages, que les lois nationales ne garantissaient plus depuis que, dans presque tous les états, le pouvoir absolu avait aboli les institutions antiques destinées à faire respecter les voeux du peuple, devaient presque nécessairement replonger l'Europe dans des guerres universelles la sagesse de sir Robert Walpole ou la modération du cardinal de Fleury ne pouvaient pas les détourner plus long-temps. La mort d'Auguste II, suivie d'une élection contestée au trône de Pologne, ne produisit, il est vrai, qu'une courte explosion, comprimée au bout de peu d'années; mais le levain de nouvelles révolutions se trouvait partout, et il devait bientôt exciter des guerres plus longues et plus cruelles '.>

Pour ce qui est en particulier de la France royale et nobiliaire, voici quel était son état moral. Nous avons vu combien chaste et pieuse était la reine de France, Marie Leczinska, ainsi que sa nombreuse famille. Louis XV vécut dans l'intimité avec son épouse jusqu'après 1730. Cela ne faisait pas le compte des courtisans ni des courtisanes. Ils entreprirent et réussirent de faire contracter au roi, 7 d'abord la passion du jeu, puis celle de la chasse, enfin de l'intempérance. Ce n'était point encore assez : il fallait lui faire fouler aux pieds la fidélité conjugale, et le jeter publiquement dans les bras de la volupté la plus crapuleuse. Trois personnages travaillèrent et réussirent à ce projet : le duc de Richelieu, une dame de Tencin, une demoiselle de Charolais . Celui-là, petit-neveu du cardinal de Richelieu, était premier gentilhomme de la chambre du roi, surtout premier gentilhomme en fait de vice, de libertinage, d'adultère et de scandales; il en faisait parade et gloire : quand il ne pouvait séduire une honnête femme, il s'en donnait au moins les apparences. Claudine de Tencin, sœur d'un archevêque-cardinal, était une religieuse sortie du cloître, puis livrée au monde, et dont un des bâtards fut d'Alembert, l'un des chefs de l'incrédulité mo

'Sismondi. Hist. des Français, t. 28, c. 47. 2 Ibid., c. 48,

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derne. Mademoiselle de Charolais était une princesse de Condé, mais qui se croyait au-dessus des lois de la décence. Ces trois personnes nobiliaires travaillèrent donc à faire du roi un libertin et du trône un mauvais lieu. Louis XV opposa de la résistance : il était naturellement timide et retenu. Mais à la suite de quelques orgies nocturnes où il se plongea dans le vin et la bonne chère, on eut triomphé de cet obstacle. Une famille nobiliaire prostitua à la débauche royale et à l'inceste ses cinq filles. La première était mariée, la seconde ne l'était pas. La cabale ne se contenta point du vice, il lui fallut de l'éclat : les deux sœurs furent déclarées favorites, c'est-à-dire prostituées du roi. La seconde étant devenue enceinte, un marquis de Vintimille, petit-neveu de l'archevêque de Paris, l'épousa dans la chapelle et avec la bénédiction de son grand-oncle: elle mourut peu après être accouchée de son bâtard adulterin et incestueux. Déjà elle était remplacée par une troisième sœur, mariée à un duc de Lauraguais. Celle-ci, ainsi que sa sœur aînée, fut supplantée par leur cinquième sœur, que le roi fit duchesse de Châteauroux, pour prix de ses adultères incestueux. Cependant, de temps à autre, le roi éprouvait des remords, des terreurs religieuses; il ressentait quelque envie de se convertir, il faisait des prières, il pratiquait des jeûnes pour ne pas pécher, disait-il, de tous les côtés. Mais le duc de Richelieu, son instructeur dans le vice, avait soin de faire avorter ces bons retours. En 1744, le roi étant tombé grièvement malade à Metz, Richelieu fit tous ses efforts pour écarter de lui les prêtres, et ne le laisser voir qu'aux deux prostituées nobiliaires Lauraguais et Châteauroux. Il fallut qu'un prince du sang forçât la consigne pour avertir le roi de son état. Louis XV se confessa, témoigna publiquement son repentir, renvoya les deux concubines, et reçut le saint viatique : il fut un instant si mal, qu'on lui dit les prières de l'agonie. Il en réchappa néanmoins.

Personne ne se montra mieux dans ces circonstances que le peuple français, nous disons le simple peuple. Pendant la maladie du roi, le peuple de Metz témoignait une indignation extrême contre les deux concubines; elles dûrent s'échapper furtivement pour ne pas entendre ses malédictions. Le protestant Sismondi signale à ce propos l'horreur du peuple pour le libertinage. « Le peuple, dit-il, voit toujours avec bláme, avec tristesse, avec dégoût, les mauvaises mœurs des grands. Comme aucun vice ne trouble plus la paix des ménages et le bonheur domestique que le libertinage, chacun fait au roi l'application des règles de conduite qu'il s'impose à lui-même; un sujet comprend micux l'effet de ces

désordres privés que celui des crimes publics, et il est moins disposé à lui pardonnr ses torts envers sa femme, qu'une guerre injuste, une loi tyrannique ou la violation des priviléges d'une province.... Aussi la conduite privée de Louis XV, depuis qu'elle ne pouvait plus être soustraite aux regards du public, avait-elle causé, en dehors de la cour et dans la masse de la nation, une tristesse générale et un grand dégoût; mais on s'était rattaché à lui quand on l'avait vu partir pour l'armée, quand on avait annoncé qu'il allait combattre pour son peuple, et que les deux favorites n'avaient point eu la permission de le suivre. Au bout d'un mois, il est vrai, elles avaient couru après lui, mais c'était sans sa permission; d'ailleurs elles avaient été sévèrement punies, et leur humiliation, leur exil à cinquante lieues de la cour, et la confession publique qu'avait faite Louis XV de son repentir, étaient peut-être les actes de son règne qui lui aient le plus concilié l'affection de ses sujets. » Ce fut dans cette occasion et pour ces motifs que le peuple français lui donna le surnom de Bien-Aimé.

C'était assez lui dire comment il pouvait le mériter toujours. Louis XV n'en était pas incapable. Il n'était ni incrédule ni impie, il croyait sincèrement en Dieu, il craignait l'enfer; il n'était pas endurci, il sentait qu'il faisait mal. Mais Richelieu, le premier ministre de la débauche royale, le poussait dans l'abîme, au lieu de l'en retirer. Après quelques mois, la principale concubine fut rappelée, lorsqu'elle tomba malade et mourut, en témoignant beaucoup de repentir à son confesseur. Louis XV faisait dire des messes pour elle pendant sa maladie.

Richelieu ne laissa pas long-temps la place vacante. Le boucher des Invalides, nommé Poisson, qui fit banqueroute, avait une fille qui épousa un receveur des finances nommé Lenormand d'Etioles. Eh bien! cette fille du boucher banqueroutier, prostituée à Louis XV, sera pendant vingt ans la maîtresse du roi et du royaume de France, sous le nom de marquise de Pompadour, qu'elle se fait donner. Et les grandes dames, et les grands seigneurs, et les grands littérateurs, comme Voltaire, et les ministres du roi se mettaient aux pieds de cette femme adultère. Il n'en fut pas de même du peuple. A la vue de ces scandales, son affection pour le roi devint de la tristesse et du dégoût. En 1750, il y eut à Paris une émeute: la police, au lieu de veiller à la sûreté et à l'honneur des familles, enlevait les jeunes filles d'une jolie figure : c'était pour servir de supplément aux débauches du roi et soulager la prostituée titu

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